En bref
[webinaire] 23 octobre 2025 – Procédure et contentieux de l’autorisation environnementale : ce qu’il faut savoir
Me Florian Ferjoux, élu au conseil d’administration d’Enerplan, le syndicat des professionnels du solaire
[jurisprudence cabinet] Biogaz : une unité de stockage de digestat issu d’une unité de méthanisation permet de limiter l’usage d’engrais chimiques et est nécessaire à l’activité agricole (tribunal administratif de Nantes)
Solaire : Gossement Avocats défend la société JP Energie Environnement et obtient le rejet d’un recours dirigé contre une installation photovoltaïque devant le Tribunal administratif d’Orléans
Interdiction de destruction d’espèces protégées : le Conseil d’Etat précise la notion de « raisons impératives d’intérêt public majeur »
Par une décision n° 414353 rendue le 24 juillet 2019, le Conseil d’Etat a apporté de nouvelles précisions sur les dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Se faisant, il met un coup d’arrêt au projet de centre commercial « Val Tolosa » à proximité de Toulouse.
Pour rappel, le principe de l’interdiction de destruction des espèces protégées, largement inspiré de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, est codifié en droit interne à l’article L. 411-1 du code de l’environnement. Sont protégés les sites d’intérêt géologique, les habitats natures les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et leurs habitats de toutes atteintes, telles que la destruction d’œufs, de nids, la coupe de végétaux, leur transport etc.
Des dérogations à l’interdiction de la destruction d’espèces protégées sont limitativement énumérées par la directive du 21 mai 1992 dont les conditions sont reproduites à l’article L. 411-2 du code de l’environnement :
« I. – Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées :
(…)
4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
a) Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;
b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;
c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;
d) A des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;
e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens. »
Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives (cf. CE, 9 oct. 2013, Société d’économie mixte (SEM) Nièvre Aménagement, n°366803 ; CE, 25 mai 2018, n° 413267) sont requises :
– L’absence de solution de substitution satisfaisante ;
– Le maintien dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
– La protection d’un intérêt spécifique tel que « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».
Ni le législateur européen, ni le juge européen n’ont conféré de définition précise à la notion de « raisons impératives d’intérêt public majeur », mais ses contours sont régulièrement précisés :
– L’intérêt est qualifié de majeur uniquement s’il a vocation à durer dans le temps (cf. Guide « Gérer les sites Natura 2000, les dispositions de l’article 6 de la directive « habitats » rédigé en 2000) ;
– L’intérêt public majeur « s’attache par exemple à des infrastructures de transport, à la prévention des inondations, à l’aménagement rural, à des équipements de santé ou d’éducation publiques, assorti à des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement » (cf. circulaire DNP/CFF n° 2008-01 du 21 janvier 2008).
– Les projets peuvent relever d’un intérêt public majeur « lorsqu’ils satisfont un besoin de la collectivité ». « La création d’emploi ne suffit pas toujours » (cf. Guide « Espèces protégées, aménagements et infrastructures »).
La décision du Conseil d’Etat du 24 juillet 2019 s’inscrit dans le cadre de cette appréciation très rigoureuse de la notion d’intérêt public majeur.
Analyse de la décision du Conseil d’Etat
Par un arrêté en date du 29 août 2013, le préfet de la Haute Garonne a autorisé une dérogation « espèces protégées » portant sur 66 espèces protégées et autorisant la destruction de spécimens pour 12 d’entre elles, dans cadre de la réalisation d’un centre commercial de la périphérie toulousaine.
Plusieurs associations de protection de l’environnement ont saisi le Tribunal administratif de Toulouse d’une demande d’annulation de l’arrêté, à laquelle il a été fait droit par un jugement en date du 8 avril 2016. L’appel formé contre ce jugement a été rejeté par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 13 juillet 2017.
Le Conseil d’Etat saisi à son tour a également considéré que les conditions pour accorder une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées n’étaient pas réunies.
Après avoir rappelé les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, le Conseil d’Etat confirme que les dérogations sont accordées uniquement si trois conditions distinctes et cumulatives sont réunies. Selon son analyse, il résulte de ces dispositions :
« qu’un projet (…) susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoires, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».
Le Conseil d’Etat hiérarchise les différentes conditions nécessaires pour obtenir une dérogation.
1° Il convient de justifier d’une raison impérative d’intérêt public majeur,
Et si un intérêt public majeur est démontré, il est nécessaire de démontrer :
2° l’absence d’autres solutions satisfaisantes ;
3° que cette dérogation ne nuit pas au maintien des populations des espèces concernées.
Naturellement, suivant cette organisation, la Haute juridiction a commencé par examiner l’existence ou non d’une raison d’impérative d’intérêt public majeur.
En premier lieu, elle relève que la Cour administrative d’appel pouvait fonder sa décision sur des circonstances tenant à un « contexte local d’opposition au projet » et à la méconnaissance d’une prescription du SCOT de la grande agglomération toulousaine.
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat, après une analyse des pièces du dossier, en conclut que l’offre en grands centres commerciaux apparaît suffisamment structurée pour répondre à la demande des prochaines années. Dans ces conditions, bien que le projet pourrait permettre la création de 1 500 emplois, il ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur.
Ce motif suffit à lui seul à annuler l’autorisation de dérogation accordée.
On notera que la définition de « l’intérêt public majeur » demeure casuistique et que cette solution n’est pas transposable à d’autres projets.
Pour conclure, bien que l’appréciation des conditions retenues pour autoriser une dérogation « espèces protégées » soit particulièrement drastique, la décision du Conseil d’Etat respecte les textes et la jurisprudence européenne en la matière.
Emilie Bertaina
Avocate Cabinet Gossement Avocats
Vous avez apprécié cet article ? Partagez le sur les réseaux sociaux :
Découvrez le cabinet Gossement Avocats
Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d’excellence :
droit de l’environnement, droit de l’énergie, droit de l’urbanisme, tant en droit public qu’en droit privé.
À lire également
Urbanisme : une loi de simplification pour compliquer le contentieux de l’urbanisme (loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement)
Ce 15 octobre 2025, l'Assemblée nationale a définitivement adopté la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement. Cette loi doit encore être promulguée puis publiée au journal officiel avant d'entrer en vigueur. Son article 26 comporte...
Solaire : le Gouvernement propose une majoration du tarif de l’IFER pour les centrales photovoltaïques installées avant 2021, un nouveau mécanisme de déplafonnement des primes négatives et une réactivation de la procédure de révision des tarifs d’achat S06 et S10 (projet de loi de finances pour 2026)
Le Gouvernement vient de présenter en conseil des ministres, ce 14 octobre 2025, le projet de loi de finances pour 2026. Ce texte comporte plusieurs mesures qui intéressent la fiscalité et le financement des installations de production d'électricité d'origine...
Certificats d’économies d’énergie (CEE) : l’administration ne peut pas imposer, sans texte, une obligation de résultat relative aux économies d’énergie attendues (Conseil d’Etat, 8 octobre 2025, n°496114)
Par une décision n°496114 rendue ce 8 octobre 2025, le Conseil d'État a jugé que l'administration ne peut - d'elle-même et sans texte - imposer au demandeur de certificats d'économies d'énergie la preuve de la "réalité des économies d'énergie attendues" alors que la...
Eolien : le Conseil d’Etat précise la méthode d’appréciation de l’impact d’une installation sur les vues depuis un monument à conserver (Conseil d’Etat, 30 septembre 2025, n°492891)
Par un arrêt n°492891 du 30 septembre 2025, le Conseil d'Etat a précisé la méthode d'appréciation, au cas par cas, de l'impact éventuel d'un parc éolien sur les vues offertes depuis un monument à conserver. Commentaire. Résumé 1. Par une décision rendue ce 30...
[webinaire] 23 octobre 2025 – Procédure et contentieux de l’autorisation environnementale : ce qu’il faut savoir
La procédure de l'autorisation environnementale est, depuis 2017, la procédure suivie par de nombreux porteurs de projets susceptibles d'intéresser la protection de l'environnement : installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), parcs éoliens,...
[conférence] « Dix ans après l’Accord de Paris, le monde économique a-t-il fait sa transition ? » Intervention de Me Arnaud Gossement aux « Rendez-vous de l’histoire », le 11 octobre 2025 à 16h15 à Blois
Le samedi 11 octobre 2025, dans le cadre des "Rendez-vous de l'histoire" organisés à Blois, se tiendra, à l'Hôtel de Ville, une conférence consacrée au sujet suivant : "Dix ans après l'Accord de Paris, le monde économique a-t-il fait sa transition ?" Arnaud Gossement...
Découvrez le cabinet Gossement Avocats
Notre Cabinet
Notre valeur ajoutée :
outre une parfaite connaissance du droit, nous contribuons à son élaboration et anticipons en permanence ses évolutions.
Nos Compétences
Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d'excellence :
droit de l'environnement, droit de l'énergie, droit de l'urbanisme, tant en droit public qu'en droit privé.
Contact
Le cabinet dispose de bureaux à Paris, Rennes et intervient partout en France.