Affaire du siècle : la demande d’injonction et d’astreinte des associations sera jugée par la cour administrative d’appel de Paris

Déc 16, 2024 | Environnement

Par une décision n°492030 du 13 décembre 2024, le Conseil d’État a jugé que le jugement, rendu le 22 décembre 2023, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande – présentée par les associations de l’Affaire du siècle – d’exécution dudit jugement du 14 octobre 2021, relève de la compétence de la cour administrative d’appel de Paris. Pour mémoire, par ce jugement en date du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris avait enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2 eq, et sous réserve d’un ajustement au regard des données estimées du CITEPA au 31 janvier 2022.

I. Rappel des étapes passées de la procédure

17 décembre 2018 : quatre organisations de protection de l’environnement ont adressé une demande préalable indemnitaire au Gouvernement pour obtenir la réparation des préjudices nés de sa méconnaissance fautive des objectifs de lutte contre le changement climatique

15 février 2019 : le Gouvernement a rejeté cette demande préalable indemnitaire

14 mars 2019 : les quatre organisations ont déposé un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris (requête sommaire). D’autres organisations ont par la suite formé une intervention volontaire au soutien des demandes des organisations requérantes

Par un jugement avant-dire droit du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a reconnu que l’Etat était responsable d’un préjudice écologique à hauteur des engagements qu’il n’avait pas respectés dans le cadre d’un premier budget carbone (2015-2018). Dans le détail, le tribunal administratif de Paris a :

  • condamné l’Etat a verser un euro aux associations requérantes en réparation de leur préjudice moral.
  • reconnu que l’Etat était responsable d’un préjudice écologique à hauteur des engagements qu’il n’avait pas respectés dans le cadre d’un premier budget carbone (2015-2018).
  • rejeté la demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à verser un euro en réparation de ce préjudice écologique.
  • ordonné, avant de statuer sur les conclusions des quatre requêtes tendant à ce que le tribunal enjoigne à l’État, afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté, de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, un supplément d’instruction afin de soumettre les observations non communiquées des ministres compétents à l’ensemble des parties, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Par un jugement en date du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2 eq, et sous réserve d’un ajustement au regard des données estimées du CITEPA au 31 janvier 2022. La réparation du préjudice devra être effective au 31 décembre 2022, au plus tard.

14 juin 2023 : les trois associations requérantes (Oxfam France, Notre Affaire à Tous et Greenpeace France) ont présenté au tribunal administratif de Paris une demande d’exécution de son jugement du 14 octobre 2021. Elles ont demandé (point 2 du jugement du 22 décembre 2023) :

  • que le tribunal administratif de Paris « prononce une injonction, à l’encontre du Premier ministre et des ministres compétents, tendant à ce que soient prises, à bref délai, toutes mesures sectorielles concrètes utiles permettant de procéder à l’exécution complète du jugement du 14 octobre 2021, de tenir effectivement compte du surplus d’émissions de gaz à effet de serre lié au dépassement du premier budget carbone, d’assurer la réparation du préjudice écologique résultant de ce dépassement et de prévenir, pour l’avenir, sa résurgence ou son aggravation. »
  • que cette injonction soit assortie d’une astreinte d’un montant de 1 102 500 000 (un milliard cent deux millions cinq cent mille) euros, à l’issue du premier trimestre 2023, et de 122,5 millions (cent vingt-deux millions cinq cent mille) euros pour chaque semestre de retard supplémentaire dans l’exécution de la décision à intervenir.

Par un jugement rendu le 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris  a constaté que l’Etat n’a pas complètement réparé le préjudice écologique précité, à la date du 31 décembre 2022. Il a toutefois rejeté la demande d’exécution des associations comportant une mesure d’injonction assortie d’une astreinte.

Dans le détail, le tribunal administratif de Paris a :

  • constaté que l’Etat n’a pas complètement réparé le préjudice écologique décrit par le jugement du 3 février 2021 : « en dépit de la mise en œuvre par l’État de mesures visant à compenser le préjudice reconnu par le tribunal, la réparation de celui-ci ne peut être regardée comme étant complète à la date du 31 décembre 2022, au regard du préjudice restant à réparer, qui s’établit à 3 ou 5 Mt CO2 eq, selon les chiffres retenu(..) » (point 18 du jugement)
  • jugé cependant que cette réparation pourrait être complétée en 2023 en raison du rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de prononcer une mesure d’injonction ou d’astreinte à l’encontre de l’Etat pour assurer la complète exécution du jugement du 14 octobre 2021 : « Au regard du rythme constaté de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de la part indicative fixée pour l’année 2023, tous deux mis en perspective avec le quantum du préjudice restant à réparer, il ne résulte pas de l’instruction, et il n’est pas plus allégué, que cette tendance serait susceptible de connaître un infléchissement tel au cours de l’année 2023 que la réparation du préjudice en serait remise en cause, compte tenu des hypothèses rappelées aux points 12 et 13. Dans ces conditions, à la date du présent jugement, il n’y a pas lieu de prononcer des mesures d’exécution supplémentaires. »
  • rejeté la demande d’exécution des associations requérantes

Par un pourvoi enregistré le 22 février 2021, les association requérantes ont demandé au Conseil d’Etat :

  • d’annuler le jugement du 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Paris ;
  • de faire droit à leurs demandes tendant à l’exécution du jugement du 14 octobre 2021 ;
  • de mettre à la charge l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. La demande d’exécution du jugement rendu le 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Paris relève de la compétence de la cour administrative d’appel de Paris

Le rappel du fondement légal de la demande d’exécution. La décision rendue ce 13 décembre 2024 par le Conseil d’Etat comporte bien entendu un rappel des dispositions légales relatives à l’exécution :

  • L’article L.911-4 du code de justice administrative dispose que toute partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d’appel qui a rendu la décision d’en assurer l’exécution.
  • Les voies de recours ouvertes contre la décision d’exécution ou de refus d’exécution sont les mêmes que celles qui sont prévues contre la décision dont il est demandé au juge d’assurer l’exécution.
  • Par exception et aux termes de l’article R. 811-1 du code de justice administrative, les jugements des tribunaux administratifs sont susceptibles d’appel « 8° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n’excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15« .

Il convient de rappeler que l’article R.222-13 du code de justice administrative comporte une liste des cas dans lesquels le président du tribunal administratif est compétent pour statuer. Lorsqu’une demande indemnitaire excède un certain montant fixé à l’article R.222-14 (10 000 euros) et calculé en fonction de la méthode définie à l’article R.222-14 du code de justice administrative, c’est bien le président du tribunal administratif qui est compétent pour statuer. La cour administrative d’appel pourra ensuite être saisie.

Au cas d’espèce, les associations de l’Affaire du siècle n’ont pas présenté de demande indemnitaire excédant ce seuil de 10 000 euros. Aussi, elles sont en droit d’interjeter appel du jugement du 22 décembre 2023, par lequel le tribunal administratif de Paris a notamment rejeté leur demande d’exécution du jugement du 14 octobre 2021, devant la cour administrative d’appel de Paris :

« 8. Il s’ensuit que les jugements du tribunal administratif de Paris en date des 3 février et 14 octobre 2021 ayant statué sur ces conclusions étaient susceptibles d’appel. Il en va de même pour le jugement du 22 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a statué sur les demandes des associations requérantes tendant à l’exécution de ces jugements. Le recours formé par les associations Oxfam France, Notre Affaire à Tous et Greenpeace France, demandant l’annulation du jugement du 22 décembre 2023, présente ainsi le caractère d’un appel, qui ne ressortit pas à la compétence du Conseil d’Etat mais à celle de la cour administrative d’appel de Paris. Il y a donc lieu d’en attribuer le jugement à cette cour.« 

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

 

 

 

 

 

 

 

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