Allégations environnementales : interdiction de principe de l’affirmation dans une publicité qu’un produit ou un service est « neutre en carbone » ou d’employer toute formulation équivalente (Loi climat et résilience)

Juil 21, 2021 | Environnement

Le Parlement a adopté, ce 20 juillet 2021, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. La mention « neutre en carbone » sera en principe interdite dans toute publicité pour un produit ou un service. Analyse.

Résumé

  • Le projet de loi « climat et résilience » a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat, ce 20 juillet.
  • Il définit, à l’article 4 bis C une interdiction de principe de l’affirmation dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone, ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente
  • Il définit également, au même article, les conditions à remplir cumulativement pour déroger à cette interdiction.

I. L’historique de la mesure

Lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture à l’Assemblée nationale, les députés ont voté, en séance publique, un amendement n°4981 prévoyant une interdiction assez stricte de l’affirmation « neutre en carbone » dans une publicité :

« Le chapitre IX du titre II du livre II du code de l’environnement est complété par une section 8 ainsi rédigée :

Section 8

Publicité sur les produits et services ayant un impact excessif sur le climat

Art. L. 229‑60. – Est interdit, dans une publicité, le fait d’affirmer à tort qu’un produit ou un service est neutre en carbone, dépourvu de conséquences négatives sur le climat, ou toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires. »

Lors de la séance publique du 1er avril 2021, la ministre de la transition écologique a ainsi résumé ce qui apparaît avoir été un sentiment majoritaire parmi les députés qui se sont prononcés sur l’amendement n°4981 :

« Mme Barbara Pompili, ministre.

Monsieur le député, je vous invite à lire une note de l’ADEME, l’Agence de la transition écologique, qui est sortie aujourd’hui, et qui spécifie bien que la neutralité carbone peut être envisagée à l’échelle nationale ou internationale mais pas à partir d’un seul produit, précisément pour éviter les erreurs.
Par ailleurs, je rappelle que le fait de vouloir compenser des émissions carbone est une bonne chose, mais que la priorité, c’est de les réduire. Il ne faut pas encourager les entreprises qui produisent des objets ayant demandé énormément d’énergie mais qui se dédouanent en expliquant qu’elles vont compenser ces émissions en fabriquant des puits de carbone. C’est pourquoi il faut voter cet amendement – et je sais que vous allez probablement le faire, monsieur Herth !« 

Ainsi, pour la ministre de la transition écologique qui a fermement défendu cet amendement, aucun produit ne peut jamais être présenté comme étant « neutre en carbone ». La compensation des émissions de gaz à effet de serre d’un produit ou d’un service n’annule pas son inconvénient pour le climat.

Enfin, on notera que la ministre de la transition écologique s’est explicitement référée à un avis de l’ADEME intitulé « la neutralité carbone » et publié en mars 2021 Cet avis a manifestement inspiré la rédaction de cet amendement parlementaire soutenu par le Gouvernement.

La lecture de cet avis est donc importante pour préciser le sens et la portée de l’amendement n°4981 :

  • l’avis donne la définition suivante de la « neutralité carbone » : « En cohérence avec le rapport 1,5°C du GIEC, la . neutralité carbone / se définit par le fait de séquestrer autant de carbone que nous en émettons, de manière à stabiliser son niveau de concentration dans l’atmosphère et ainsi limiter l’augmentation de la température globale de la planète ».
  • L’avis indique que la neutralité carbone ne peut jamais être atteinte et donc revendiquée à l’échelle d’un acteur : « Pour mettre en œuvre toutes les actions de réduction et de séquestration, la contribution de l’ensemble des acteurs, au-delà des Etats, est nécessaire. Il faut donc qu’ils s’engagent en faveur de la neutralité carbone : en met-tant en place des stratégies climat cohérentes avec l’Accord de Paris, en réduisant leurs émissions et en séquestrant du carbone quand ils le peuvent, ils contribuent à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone. Individuelle-ment ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens qui s’engagent pour la neutralité carbone, ne sont, ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, .neutres en carbone/, ce qui n’a pas de sens à leur échelle. En revanche, ils peuvent valoriser leur contribution à cet objectif mondial via leurs actions respectives ». (nous soulignons)

Ainsi, aux termes de l’avis de l’ADEME qui a inspiré la rédaction de l’amendement interdisant le recours à l’allégation « neutre en carbone », celle-ci ne peut jamais être justifiée à l’échelle d’un acteur.

Finalement, la rédaction de l’article 4 bis C issu de l’amendement n°4981 a été modifiée au Sénat.

En commission, les sénateurs ont adopté l’amendement n°COM-4 de Mme de Cidrac qui prévoyait une définition plus sévère de l’interdiction de la mention « neutre en carbone » :

« I. – Le chapitre IX du titre II du livre II du code de l’environnement est complété par une section 9 ainsi rédigée :

Section 9

Allégations environnementales

Art. L. 229-65 – Il est interdit de faire figurer sur un produit, sur son emballage, ainsi que dans une publicité faisant la promotion d’un produit ou d’un service, toute formulation visant à indiquer que le produit, le service ou l’activité du fabricant est neutre en carbone ou dépourvu de conséquence négative sur le climat. »

II. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2022.« 

En séance publique, les sénateurs ont voté l’amendement n°2221 de Mme de Cidrac qui a ainsi introduit une exception à l’interdiction de principe de l’affirmation « neutre en carbone » : « à l’exception des formulations s’appuyant sur des certifications fondées sur des normes et standards reconnus au niveau français, européen et international« 

Finalement, l’article 4 bis C a été intégralement réécrit en commission mixte paritaire.

II. L’interdiction de principe de principe de la mention « neutre en carbone » ou de toute formule équivalente

L’article 4 bis C du projet de loi, dans sa version au 20 juillet 2021, dispose :

« I. – Le chapitre IX du titre II du livre II du code de l’environnement est complété par une section 9 ainsi rédigée :

Section 9

Allégations environnementales

Art. L. 229‑65. – I. – Il est interdit d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone, ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente, à moins que l’annonceur rende aisément disponible au public les éléments suivants :

1° Un bilan d’émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou service ;

2° La démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est décrite à l’aide d’objectifs de progrès annuels quantifiés ;

3° Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimums définis par décret.

II. – Un décret fixe les modalités de mise en œuvre du présent article.« 

Entrée en vigueur

Alors que le texte initial de cet article 4 bis C prévoyait que cette mesure d’interdiction devait entrer en vigueur le 1er janvier 2022, le texte adopté après la réunion de la commission mixte paritaire subordonne l’entrée en vigueur de cette mesure à l’interdiction d’un décret.

Une interdiction de principe

Le nouvel article L. 229‑65 du code de l’environnement, après entrée en vigueur de la loi climat et résilience, disposera : « Il est interdit d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone, ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente, à moins que l’annonceur rende aisément disponible au public les éléments suivants : (…).« 

Il s’agit bien d’une interdiction de principe qui reçoit une exception lorsque trois conditions sont réunies.

Une interdiction de principe avec un champ d’application large

En premier lieu, cette interdiction de principe intéresse la publicité. Ainsi que nous avons déjà pu le préciser, il serait à notre sens vain de tenter de circonscrire le champ d’application de cette nouvelle interdiction en soutenant que celle-ci n’intéresse que la « publicité ». En droit, le terme « publicité » est en effet défini de manière très large de telle sorte qu’il est impossible de le réduire à un seul mode d’expression pour tenter de réduire le champ d’application de cette nouvelle interdiction. En droit, toute communication peut relever du champ d’application du terme « publicité ».

En droit de l’Union européenne, la publicité est définie à l’article 2 de la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative comme « toute forme de communication » :

« publicité », toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations« 

En droit interne, l’article L581-3 du code de l’environnement retient également une définition très large de la « publicité » :

« Au- sens du présent chapitre :

1° Constitue une publicité, à l’exclusion des enseignes et des préenseignes, toute inscription, forme ou image, destinée à informer le public ou à attirer son attention, les dispositifs dont le principal objet est de recevoir lesdites inscriptions, formes ou images étant assimilées à des publicités ;(…) »

Le droit retenant une définition très large du terme « publicité », les acteurs économiques et institutionnels sont encouragés à n’employer l’expression « neutre en carbone » – ou toute autre expression équivalente » sur aucun de leurs supports de communication.

En deuxième lieu, cette interdiction de principe n’intéresse pas la seule mention « neutre en carbone » mais aussi « toute formulation de signification ou de portée équivalente ». Ce qui élargit considérablement le champ d’application de cette interdiction. Reste à savoir ce que recouvre exactement l’expression et il faut espérer que le décret d’application tranche entre les interprétations possibles.

A titre d’exemple, selon une première interprétation – large-, « toute formulation de signification ou de portée équivalente » revient à interdire toute affirmation erronée selon laquelle un produit ou un service n’a aucune conséquence négative pour le climat. Pour mémoire, en première lecture, les députés avaient proposé d’interdire l’affirmation selon laquelle un produit ou un service est « dépourvu de conséquences négatives sur le climat, ou toute autre formulation ayant une finalité et une signification similaires. »

L’exception à l’interdiction de principe

Le nouvel article L. 229‑65 comporte une possibilité de faire exception à l’interdiction de principe :

« I. – Il est interdit d’affirmer dans une publicité qu’un produit ou un service est neutre en carbone, ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente, à moins que l’annonceur rende aisément disponible au public les éléments suivants :

1° Un bilan d’émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou service ;

2° La démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est décrite à l’aide d’objectifs de progrès annuels quantifiés ;

3° Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimums définis par décret.

II. – Un décret fixe les modalités de mise en œuvre du présent article.« 

La charge de la preuve. Celle-ci pèse sur l’annonceur qui doit démontrer, publiquement, que l’affirmation « neutre en carbone » est justifiée dés l’instant où les trois conditions énumérées à l’article L.229-65 du code de l’environnement sont satisfaites.

Trois conditions cumulatives. Pour déroger à l’interdiction d’affirmer qu’un produit ou un service est neutre en carbone, l’annonceur doit démontrer le respect des trois conditions visées à l’article L.229-65 du code de l’environnement par la production des éléments suivants :

1° Un bilan d’émissions de gaz à effet de serre intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou service ;

2° La démarche grâce à laquelle les émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est décrite à l’aide d’objectifs de progrès annuels quantifiés ;

3° Les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimums définis par décret.

Ces conditions appellent les premières observations suivantes :

En premier lieu, il faut rappeler que cette mesure procède d’un avis publié par l’ADEME en mars 2021 selon lequel, la neutralité carbone ne peut jamais être atteinte et donc revendiquée à l’échelle d’un acteur : « Pour mettre en œuvre toutes les actions de réduction et de séquestration, la contribution de l’ensemble des acteurs, au-delà des Etats, est nécessaire. Il faut donc qu’ils s’engagent en faveur de la neutralité carbone : en met-tant en place des stratégies climat cohérentes avec l’Accord de Paris, en réduisant leurs émissions et en séquestrant du carbone quand ils le peuvent, ils contribuent à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone. Individuelle-ment ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens qui s’engagent pour la neutralité carbone, ne sont, ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, .neutres en carbone/, ce qui n’a pas de sens à leur échelle. En revanche, ils peuvent valoriser leur contribution à cet objectif mondial via leurs actions respectives ».

En deuxième lieu, le seul recours à la compensation des émissions de gaz à effet de serre ne saurait suffire. En effet, la mesure reprend ici le principe « ERC » qui est déjà applicable à la rédaction des études d’impact environnementales depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. L’annonceur doit donc : d’abord démontrer qu’il n’est pas possible d’éviter les émissions de gaz effet de serre créées par le produit ou le service en cause ; ensuite démontrer qu’il n’est pas non plus possible de les réduire. Et donc, au bout du bout, qu’il a été indispensable de recourir à une compensation de ces émissions.

A noter qu’en cas de recours à la compensation : les modalités de compensation des émissions de gaz à effet de serre résiduelles respectant des standards minimums définis par décret.

En définitive, il sera sans doute délicat de satisfaire aux trois conditions d’une dérogation à l’interdiction de principe précitée.

Arnaud Gossement

Avocat – Professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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