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Annulation d’autorisation de commercialisation de pesticides (sulfoflaxor) : le tribunal administratif de Nice procède à une application volontariste du principe de précaution
Par un jugement du 29 novembre 2019 (n° 1704687), le tribunal administratif de Nice a annulé, sur le fondement du principe de précaution, des autorisations de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques composés de sulfoflaxor, en raison des risques importants de toxicité que cette substance représente pour les insectes pollinisateurs. Une interprétation volontariste de ce principe, mais en cohérence avec l’évolution de la législation.
Les néonicotinoïdes sont des substances insecticides que l’on retrouve dans les produits phytopharmaceutiques, et qui sont notamment employées en agriculture.
Ces dernières années, plusieurs études scientifiques ont révélé les effets néfastes de ces substances sur les abeilles, dont elles modifient le comportement et provoquent une hausse de la mortalité.
La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité avait modifié l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, en y ajoutant un II interdisant en principe l’utilisation de telles substances : « L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits est interdite à compter du 1er septembre 2018. »
Il existe toutefois d’autres substances, similaires et controversées pour ces mêmes raisons, comme le sulfoxaflor, que l’on retrouve dans des produits phytopharmaceutiques tels que « Closer » ou « Transform ».
Ce sont ces produits qui font l’objet du jugement ici commenté.
Par plusieurs requêtes distinctes, les associations Générations futures et Agir pour l’environnement et l’Union nationale de l’apiculture française ont demandé l’annulation de deux décisions, en date du 27 septembre 2017, par lesquelles le directeur de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) avait autorisé la mise sur le marché français de deux produits phytopharmaceutiques de la société Dow Agrosciences, « Closer » et « Transform ».
Pour rappel, ces décisions avaient déjà été suspendues par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice le 23 novembre 2017. Le Conseil d’Etat avait rejeté le pourvoi de la société Dow Agrosciences par une décision du 15 février 2018.
En l’espèce, le tribunal administratif de Nice s’est donc prononcé sur le fond de l’affaire, en annulant les deux décisions contestées pour méconnaissance du principe de précaution.
Dans un premier temps, le juge rappelle l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui définit ce principe en ces termes :
« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »
Il rappelle également l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui fonde la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement notamment sur le principe de précaution ; ainsi que les dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, également fondées sur le principe de précaution.
Le tribunal administratif reprend ensuite le considérant de principe énoncé par le Conseil d’Etat dans sa décision du 3 octobre 2016 (n° 388649), qui détaille l’application du principe de précaution en ces termes :
« En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment ses arrêts National Farmers’ Union et autres du 5 mai 1998, C-157/96, Royaume-Uni c. Commission du 5 mai 1998, C-180/96 et Commission c. France du 28 janvier 2010, C-333/08, il découle du principe de précaution consacré par ces dispositions que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Une application correcte de ce principe présuppose l’identification des conséquences potentiellement négatives d’un produit et une évaluation complète du risque fondée sur les données scientifiques les plus fiables et les résultats les plus récents de la recherche internationale. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives. »
Dans son analyse de l’espèce, le juge administratif affirme qu’il « est constant que [les insecticides composés de sulfoxaflor et classés dans la catégorie des sulfoximines, tels que ceux en cause] ont pour effet d’agir sur le système nerveux central des insectes ». Il souligne ensuite que plusieurs études scientifiques, notamment menées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, la Commission européenne ainsi que des organisations non gouvernementales ont identifié « des risques importants de toxicité pour les insectes pollinisateurs ». Il rappelle ainsi que les conclusions de l’évaluation relative à la demande d’autorisation de mise sur le marché de l’ANSES faisaient état de la dangerosité des produits en cause pour les insectes pollinisateurs lors d’un usage sous abri.
Il revient ensuite sur les mesures d’atténuation des risques invoquées par l’ANSES et la société Dow Agrosciences (comme, par exemple, l’absence d’application du produit durant la période de floraison), pour juger qu’elles « ne peuvent être regardées comme suffisantes dès lors qu’elles présentent une portée générale et ne sont assorties d’aucune obligation pour les utilisateurs du produit ».
Il en conclut finalement qu’au regard de l’ensemble de ces circonstances, « l’existence d’un risque pour les pollinisateurs doit être regardée comme une hypothèse suffisamment plausible en l’état des connaissances scientifiques ». Il juge ainsi que, de ce fait, les décisions contestées ont méconnu le principe de précaution ainsi que le règlement européen précité, et qu’elles doivent être annulées.
Si l’on reprend les termes de l’article 5 précité de la Charte de l’environnement, le tribunal administratif juge donc que le risque d’atteinte aux abeilles par ces produits, auquel concluent plusieurs études scientifiques, aurait dû conduire l’ANSES, qui avait procédé à une évaluation préliminaire des risques, à refuser la mise sur le marché des produits en cause – quand l’article 5 mentionne « l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Il pourrait donc être considéré qu’il s’agit là d’une application particulièrement volontariste du principe de précaution, l’interdiction de mise sur le marché étant une mesure définitive et non provisoire.
Toutefois, il peut également être considéré qu’il s’agit d’une mesure proportionnée, au regard des études scientifiques précitées conduites sur le sulfoxaflor.
Au soutien de cette thèse, il convient de souligner qu’il y a un an, la loi n° 2018-938 dite EGALIM du 30 octobre 2018 a complété l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, rappelé en introduction, pour interdire également « l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits».
En application de ce nouvel article, un projet de décret, listant les substances actives présentes dans les produits phytopharmaceutiques et présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes, était en consultation publique au mois de septembre dernier. Au sein de cette liste de substances interdites : le sulfoxaflor.
Ainsi, ce jugement illustre la synergie qui existe parfois entre l’évolution de la société (particulièrement l’appréhension des questions environnementales et sanitaires), l’action des juges et l’évolution du droit : aujourd’hui, le juge administratif annule les décisions de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques composés de sulfoxaflor, en se fondant sur la méconnaissance du principe de précaution ; demain, il pourra le faire en se fondant sur de nouvelles dispositions législatives et réglementaires.
Camille Pifteau
Avocate – Cabinet Gossement Avocats
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