En bref
Solaire : publication du décret du 3 décembre 2024 précisant les caractéristiques des panneaux solaires photovoltaïques permettant le report de l‘obligation de solarisation de certains parkings
Hydroélectricité : modifications des modalités d’expérimentation du dispositif du médiateur
Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) : Modification des dispositions relatives à l’élaboration, la modification et la révision des SAGE
Déchets : Assouplissement des conditions pour la reprise des déchets de construction par les distributeurs
Charte de l’environnement : le Conseil constitutionnel étend la portée du droit à l’environnement (Conseil constitutionnel, 12 août 2022, Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, n° 2022-843 DC)
Par une décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022 relative à la constitutionnalité de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, le Conseil constitutionnel a précisé la portée de l’article 1er de la Charte de l’environnement.
Résumé
Le droit à l’environnement impose la recherche d’un double équilibre. Par sa décision n°2022-843 DC du 12 août 2022 le Conseil constitutionnel a élargi la portée du droit à l’environnement consacré à l’article 1er de la Charte de l’environnement en en combinant le contenu avec celui de plusieurs dispositions du préambule de ladite Charte. Il a ainsi précisé que le respect par le législateur du droit à l’environnement consacré à l’article 1er de la Charte de l’environnement impose la recherche d’un double équilibre :
- d’une part, un équilibre entre la préservation de l’environnement et les autres intérêts fondamentaux de la Nation et,
- d’autre part, un équilibre entre les besoins du présent et ceux des générations futures.
Deux réserves d’interprétation fondées sur l’article 1er de la Charte de l’environnement Par une décision n°2022-843 DC du 12 août 2022 le Conseil constitutionnel a émis – en se fondant sur l’article 1er de la Charte de l’environnement – deux réserves d’interprétations importantes, à l’endroit de deux séries de dispositions de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, relatives,
- d’une part, à la création d’un terminal méthanier flottant (article 29 et 30)
- d’autre part, à l’élévation du plafond d’émissions de gaz à effet de serre applicable aux
installations de production d’électricité à partir de combustibles
fossiles (articles 32 et 36)
- de donner une autorité – indirecte – à certaines phrases du préambule de la Charte de l’environnement ;
- d’élargir la portée de l’article 1er de la Charte de l’environnement ;
- de limiter la portée de plusieurs dispositions de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, au moyen de ces deux réserves d’interprétation.
L’application temporaire de dispositions permanentes. Concrètement, ces réserves d’interprétation ont pour effet de conditionner la constitutionnalité de ces articles 29, 30, 32 et 36 à la preuve par l’Etat de l’existence d’une « menace grave » pour l’approvisionnement en gaz et en électricité. A défaut de cette preuve ou passée cette menace : ces dispositions ne peut plus s’appliquer, privant ainsi de base légale les autorisations délivrées pour leur application.
« 4. Considérant, en premier lieu, que les dix articles de la Charte de l’environnement sont précédés de sept alinéas qui disposent :
« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;
« Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
« Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
« Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
« Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ;
« Que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
« Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins » ;
5. Considérant que, si ces alinéas ont valeur constitutionnelle, aucun d’eux n’institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; qu’ils ne peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » (cf. CC, 7 mai 2014, Société Casuca, n°2014-394 QPC).
« Aux termes du préambule de la Charte de l’environnement : « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel … l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Il en découle que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle. » (cf. CC, 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques, n°2019-823 QPC).
Aux termes de sa décision n°2022-843 DC du 12 août 2022 ici commentée, le Conseil constitutionnel a isolé les mêmes dispositions au sein du préambule de la Charte de l’environnement :
« 2. Aux termes du préambule de la Charte de l’environnement : « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel … l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains … la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins« .
On notera :
- que les dispositions ici isolées par le Conseil constitutionnel sont les mêmes que celles citées dans sa décision 2019-823 QPC
- qu’il est encore délicat d’en déduire que certaines dispositions du préambule de la Charte de l’environnement aurait une valeur juridique supérieure à celle des autres
- que, dans ses deux décisions n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020 et n°2022-843 DC du 12 août 2022, le Conseil constitutionnel ne procède pas à un contrôle direct de la conformité de la loi à ces dispositions du préambule de la Charte de l’environnement. Par sa décision n°2019-823 QPC du 31 janvier 2020, il a d’abord dégagé un objectif de valeur constitutionnelle. Par sa décision n°2022-843 DC du 12 août 2022, il combine ces dispositions du préambule de la Charte de l’environnement à son article 1er. Mais c’est bien le respect de ce dernier par la loi objet du contrôle a priori qui est assuré.
Sur l’article 1er de la Charte de l’environnement. L’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé« .
Par une décision n°2022-991 QPC du 13 mai 2022, le Conseil constitutionnel a précisé la portée de cet article 1er pour la liberté d’appréciation du législateur :
« 4. L’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
5. S’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement.
6. Les limitations apportées par le législateur à l’exercice de ce droit doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. » (cf. CC, 13 mai 2022, Association France nature environnement et autres [Exemption pour certains moulins à eau des obligations visant à assurer la continuité écologique des cours d’eau], n°2022-991 QPC – nous soulignons).
Par une décision n°2020-809 DC du 10 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a confirmé, dans les mêmes termes, son analyse de la portée de l’article 1er de la Charte de l’environnement :
« 12. L’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Aux termes de son article 2, « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Aux termes de son article 6, « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ».
13. S’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement.
14. Les limitations portées par le législateur à l’exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. » (cf.CC, 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, n°2020-809 DC – nous soulignons).
Aux termes de sa décision n°2022-843 DC du 12 août 2022, le Conseil constitutionnel a rappelé, à la suite de l’énoncé de cet article que « les limitations apportées par le législateur à l’exercice de ce droit doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. »
Toutefois, par cette décision, le Conseil constitutionnel étend la portée du droit à l’environnement consacré à l’article 1er en combinant sa lecture à certaines dispositions du préambule de la Charte de l’environnement. Ce qui a pour effet d’imposer au législateur la recherche d’un double équilibre.
La recherche d’un double équilibre. Aux termes de ce paragraphe 12 de sa décision n°2022-843 DC du 12 août 2022, le Conseil constitutionnel a précisé que le respect par le législateur du droit à l’environnement consacré à l’article 1er de la Charte de l’environnement impose le respect d’un double équilibre :
- d’une part la « recherche » d’un équilibre entre la préservation de l’environnement et les autres intérêts fondamentaux de la Nation et,
- d’autre part, un équilibre entre les besoins du présent et ceux des générations futures.
On notera ici qu’il n’est pas encore question de « droit » ou de « droits » des générations futures mais, plus simplement, de l’anticipation de leurs besoins.
L’application temporaire de dispositions permanentes. En conséquence de cette obligation du législateur de rechercher ce double équilibre, le Conseil constitutionnel en déduit que les dispositions des articles 29 et 30 de la loi déférée à son contrôle ne peuvent s’appliquer « que dans le cas d’une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz »
Cette décision n°2022-843 DC du 12 août 2022 est donc remarquable en ce qu’elle démontre que la Charte de l’environnement peut imposer une application « temporaire » de dispositions de la loi que le législateur avait pourtant rédigées comme permanentes. Concrètement, si l’Etat n’est plus en mesure de prouver qu' »une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz » justifie l’application des articles 29 et 30 de la loi « pouvoir d’achat, ces dispositions ne pourront plus légalement s’appliquer. Ce qui aura pour effet, en cas de recours, d’obliger ce même Etat à suspendre ou à arrêter l’exploitation d’un terminal méthanier dont la ou les autorisations seraient ainsi privées de base légale.
Par cette décision n°2022-843 DC du 12 août 2022 le Conseil constitutionnel a donc, de manière assez discrète, remis en cause le financement sinon l’intérêt même de ce terminal méthanier flottant.
Le raisonnement opéré par le Conseil constitutionnel a l’endroit des articles 29 et 30 relatifs à la création d’un terminal méthanier est le même pour les articles 32 et 36 de la loi « pouvoir d’achat ». Comme le précise le paragraphe 17 de la décision ici commentée, l‘article 36 de la loi déférée permet de rehausser le plafond d’émissions de gaz à effet de serre applicable aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles. Dans le cas où ce rehaussement conduit à une reprise d’activité temporaire de ces installations, l’article 32 permet à leurs exploitants de conclure des contrats de travail à durée déterminée et des contrats de mission selon des règles dérogatoires au droit du travail.
Or, ces dispositions, qui créent une atteinte à la protection de l’environnement, ne peuvent – elles-aussi – s’appliquer qu’en cas de « menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en électricité » :
« 22. D’une part, un tel rehaussement ne peut intervenir qu’en cas de menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité de tout ou partie du territoire national. Ainsi qu’il a été dit au paragraphe 12, il résulte du préambule de la Charte de l’environnement que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. Dès lors, sauf à méconnaître l’article 1er de la Charte de l’environnement, ces dispositions ne sauraient s’appliquer que dans le cas d’une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en électricité.«
A la différence du contrôle de constitutionnalité des articles 29 et 30 de la loi « pouvoir d’achat » qui a aboutit à une réserve d’interprétation fondée sur le seul paragraphe 12 de la décision, le Conseil constitutionnel formule ici une réserve d’interprétation fondée sur les paragraphes 22, 23 et 24. Les paragraphes 23 et 24 ont pour objet de permettre au Conseil constitutionnel d’insister sur l’obligation pour les exploitants des installations de production d’électricité qui vont « bénéficier » de cette élévation du plafond de leurs émissions de GES, de compenser lesdites émissions :
« 24. Il incombe au pouvoir réglementaire de fixer le niveau et les modalités de cette obligation afin de compenser effectivement la hausse des émissions de gaz à effet de serre et de ne pas compromettre le respect des objectifs de réduction de ces émissions et de réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles fixés par l’article L. 100-4 du code de l’énergie. »
A priori, selon notre interprétation de cette phrase, l’obligation de compensation est un moyen de ne pas « compromettre le respect » des objectifs de réduction des émission et de réduction de la consommation primaire d’énergies fossiles. Ce raisonnement peut être discuté car le Conseil constitutionnel aurait pu, préalablement à cette mise en valeur de l’obligation de compensation, rappeler que celle-ci doit être précédée par l’exécution des obligations d’évitement et de réduction des atteintes à l’environnement.
L’obligation de compensation ne peut pas être le moyen premier de respecter les objectifs de réduction des émissions de GES et de la consommation d’énergies fossiles.
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