Energies renouvelables : création d’un troisième régime de recours devant le juge administratif (Décret n° 2022-1379 du 29 octobre 2022 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes aux installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables (hors énergie éolienne) et aux ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité)

Oct 31, 2022 | Environnement

Par un décret 200-1379 du 29 octobre 2022, le Gouvernement a créé une procédure « toboggan » pour contraindre les juridictions administratives à instruire les recours dirigés contre certaines installations de production d’énergie renouvelable, en moins de dix mois. Présentation.
Résumé

Rappel : création du régime contentieux spécial pour l’éolien terrestre. Le décret n°2018-1054 du 29 novembre 2018 a inséré l’article R311-5 au sein du code justice administrative, aux termes duquel les cours administratives d’appel sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges portant sur les décisions relatives aux éoliennes terrestres, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu’aux ouvrages de raccordement (cf. décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 relatif aux éoliennes terrestres, à l’autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l’environnement).

Rappel : création du régime contentieux spécial pour l’éolien en mer. Le décret n°2021-282 du 12 mars 2021 a créé l’article R311-1-1 du code de justice administrative aux termes duquel, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des recours dirigés contre les ouvrages de production et de transport d’énergie renouvelable en mer (cf. décret n° 2021-282 du 12 mars 2021 portant application de l’article L. 311-13 du code de justice administrative).

Décret du 29 octobre 2022 : création d’un régime contentieux spécial pour les autres installations de production d’énergie renouvelable. Le décret n°2022-1379 du 29 octobre 2022, publié au journal officiel du 30 octobre 2022, créé l’article R.311-6 du code de justice administrative dont les caractéristiques principales sont les suivantes :

  • Ce décret intéresse le régime des recours dirigés contre les autorisations administratives délivrées pour les installations de production d’énergie renouvelable, autres que l’éolien en mer ou terrestre.
  • Il créé un délai de recours – non prorogeable – de deux mois pour demander l’annulation de ces décisions devant le juge administratif
  • Il impose un délai d’instruction maximal des recours de dix mois. Passé ce délai, chaque juridiction est dessaisie au profit de la juridiction de rang supérieur.

Commentaire général

1. En premier lieu, ce décret du 29 octobre 2022 ne créé pas de compétence juridictionnelle spéciale, à la différence des régimes contentieux spéciaux créés en 2018 et 2021 pour l’éolien terrestre et en mer.

– Pour l’éolien en mer (décret n°2021-282 du 12 mars 2021) ou terrestre (décret n°2018-1054 du 29 novembre 2018), le pouvoir réglementaire a créé des régimes contentieux spécifiques se bornant pour l’essentiel à attribuer une compétence de premier et dernier ressort au Conseil d’Etat (pour l’éolien en mer) ou aux cours administratives d’appel (pour l’éolien terrestre). 

– Pour la plupart des autres installations de production d’énergie renouvelable, le décret n°2022-1379 du 29 octobre 2022 ne créé pas une compétence juridictionnelle spécifique mais une procédure « toboggan » : passé un délai d’instruction de dix mois, chaque juridiction est dessaisie au profit de la juridiction de rang supérieur : tribunal administratif puis cour administrative d’appel puis Conseil d’Etat. Aucun délai d’instruction maximal n’est cependant défini devant le Conseil d’Etat.

2. En deuxième lieu, ce décret pourrait avoir une portée assez réduite quant au délai réel d’instruction des recours. S’il créé un délai d’instruction maximal des recours de dix mois, il convient de rappeler que, aux termes du rapport d’activité du Conseil d’Etat pour l’année 2021, le délai moyen de jugement des affaires est :

– de 9 mois et 16 jours devant les tribunaux administratifs (-10 % entre 2011 et 2021)
– de 11 mois et 15 jours devant les cours administratives d’appel (-7% entre 2011 et 2021)
– de 7 mois (-35% entre 2011 et 2021)

NB : ces délais sont des délais moyens, toutes affaires confondues. Il est donc possible que la définition d’un délai maximal de 10 mois ait pour effet un très léger raccourcissement de ce délai, s’agissant du contentieux des énergies renouvelables en particulier.

3. En troisième lieu, la procédure « toboggan » peut avoir des inconvénients pour les porteurs de projets, bénéficiaires d’autorisation dont l’annulation est demandée devant une juridiction administrative.

– d’une part, le dessaisissement d’une juridiction au profit d’une autre pourra avoir pour effet que les dix ou vingt premiers premiers mois d’instruction devant le premier juge saisit auront été, en tout ou partie, inutiles. Dans une hypothèse pessimiste, l’instruction d’un recours pourra débuter devant le Conseil d’Etat après plus de 20 mois d’instruction « en vain » devant le tribunal administratif puis devant la cour administrative d’appel.

– d’autre part, si l’autorisation querellée est annulée devant le Conseil d’Etat sans instruction aboutie devant les juridictions subordonnées : son bénéficiaire pourra regretter de ne plus disposer de voie de recours.

– enfin, ce délai de dix mois peut, dans certains cas, être contraignant pour toutes les parties, car trop court. A titre d’exemple, le décret ici commenté du 29 octobre 2022 ne fait aucune exception pour la procédure de médiation à l’initiative du juge. Procédure de médiation dont l’engagement, en cas d’accord des parties, ne devrait pas suspendre la computation de ce délai maximal de dix mois. Il est donc probable qu’aucune médiation ne soit plus recherchée dans le contentieux des installations de production d’énergie renouvelable entrant dans le champ d’application du décret du 29 octobre 2022, le délai de dix mois étant trop bref pour organiser : et une médiation et une instruction en cas d’échec de la médiation.

4. En quatrième lieu, la création de ce nouveau régime contentieux présente un caractère temporaire. Il n’est en effet qu’aux décisions prises entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2026. Il conviendra donc de différencier trois régimes dans le temps : avant cette période, pendant, après.

5. Enfin et de manière plus générale, la création de ce troisième régime contentieux spécial pour la production d »énergie renouvelable pourrait avoir effet d’accroitre la complexité de la procédure devant les juridictions administratives qui présentait jusqu’à une période récente l’intérêt d’être assez simple. La multiplication des régimes spéciaux de recours ou de procédures concourt à cette complexité.

Commentaire détaillé

Les installations concernées. Ce nouvel article R.311-6 du code de justice administrative est applicable à certaines installations de production d’énergie, ce compris leurs ouvrages connexes : 
« Art. R. 311-6. – I. – Le présent article régit les litiges portant sur les installations et ouvrages suivants, y compris leurs ouvrages connexes :
– installation de méthanisation de déchets non dangereux ou de matière végétale brute, à l’exclusion des installations de méthanisation d’eaux usées ou de boues d’épuration urbaines lorsqu’elles sont méthanisées sur leur site de production ;
– ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire photovoltaïque d’une puissance égale ou supérieure à 5 MW ;– gites géothermiques mentionnés à l’article L. 112-1 du code minier à l’exclusion des activités de géothermie de minime importance mentionnées à l’article L. 112-2 du même code ;
– installations hydroélectriques d’une puissance égale ou supérieure à 3 MW ;
– ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité de raccordement des installations de production d’électricité mentionnées au présent I et ouvrages inscrits au schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables mentionné à l’article L. 321-7 du code de l’énergie, ainsi que les autres ouvrages qui relèvent du réseau public de transport et les postes électriques, à l’exclusion des installations et ouvrages relevant des dispositions des articles R. 311-5 et R. 311-1-1 du présent code.« 

L’exposé des motifs du décret du 29 octobre 2022 ne précise pas pour quels motifs, seules les installations d’un niveau de production supérieur à ces seuils sont éligibles à cette réforme du régime contentieux de leurs autorisations. 

Les décisions administratives concernées. Ce nouvel article R.311-6 I du code de justice administrative comporte, à son deuxième alinéa, la liste des décisions relatives aux installations citées au premier alinéa et pour lesquelles un régime contentieux spécifique est créé :
« Il [le présent article] s’applique aux décisions suivantes, y compris de refus, à l’exception des décisions prévues à l’article R. 311-1 et des décisions entrant dans le champ de l’article R. 811-1-1 du présent code :
1° L’autorisation environnementale prévue à l’article L. 181-1 du code de l’environnement ;
2° L’absence d’opposition à la déclaration d’installations, ouvrages, travaux et activités mentionnée au II de l’article L. 214-3 du code de l’environnement ;
3° La dérogation mentionnée au 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;
4° L’absence d’opposition au titre du régime d’évaluation des incidences Natura 2000 en application du VI de l’article L. 414-4 du code de l’environnement ;
5° L’enregistrement d’installations mentionné à l’article L. 512-7 du code de l’environnement ;
6° La déclaration d’installations mentionné à l’article L. 512-8 du code de l’environnement ;
7° Le permis de construire mentionné à l’article L. 421-1 du code de l’urbanisme ;
8° La déclaration préalable mentionnée à l’article L. 421-4 du code de l’urbanisme ;
9° Les autorisations prévues par les articles L. 5111-6, L. 5112-2 et L. 5114-2 du code de la défense ;
10° Les autorisations requises dans les zones de servitudes instituées en application de l’article L. 5113-1 du code de la défense et de l’article L. 54 du code des postes et des communications électroniques ;
11° L’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité prévue par l’article L. 311-1 du code de l’énergie ;
12° La déclaration d’utilité publique mentionnée à l’article L. 323-3 du code de l’énergie, hors les cas où elle emporte mise en compatibilité des documents d’urbanisme ;
13° La décision d’approbation du projet de détail des tracés prévue par l’article L. 323-11 du code de l’énergie ;
14° Pour les ouvrages d’acheminement de l’électricité, les décisions d’approbation prévues par les articles R. 323-26 et R. 323-40 du code de l’énergie ;
15° L’approbation du contrat de concession hydraulique et du cahier des charges qui lui est annexé relevant de la compétence du préfet en application de l’article R. 521-1 du code de l’énergie ;
16° L’autorisation de défrichement prévue par les articles L. 214-13, L. 341-3, L. 372-4, L. 374-1 et L. 375-4 du code forestier ;
17° Les autorisations d’occupation du domaine public mentionnées à I ‘article R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques ;
18° Les autorisations prévues par les articles L. 621-32 et L. 632-1 du code du patrimoine ;
19° Les prescriptions archéologiques mentionnées à l’article R. 523-15 du code du patrimoine;
20° L’autorisation prévue par l’article L. 6352-1 du code des transports ;
21° Les titres d’exploration de gîtes géothermiques prévus aux articles L. 124-2-3 et L. 124-3 du code minier, ainsi que ceux prévus à l’article L. 134-3 du même code ;
22° Les autorisations mentionnées à l’article L. 162-1 du code minier jusqu’à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-534 du 13 avril 2022 relative à l’autorisation environnementale des travaux miniers et, à compter de cette date, les autorisations mentionnées au 3° du L. 181-1 du code de l’environnement ;
23° Les décisions prorogeant ou transférant à un autre pétitionnaire ou à un autre exploitant les décisions mentionnées au présent I;
24° Les décisions modifiant ou complétant les prescriptions contenues dans les décisions mentionnées au présent I.
25° Les actes préalables nécessaires à l’adoption des décisions mentionnées au présent I. »

Un délai de recours de deux mois, non prorogeable. Le nouvel article R.311-6 du code de justice administrative fixe à deux mois le délai de recours – non prorogeable – contre toutes les décisions mentionnées au premier alinéa du I :
« II. – Le cas échéant par dérogation aux dispositions spéciales applicables aux décisions mentionnées au I, le délai de recours contentieux contre ces décisions est de deux mois à compter du point de départ propre à chaque réglementation. Ce délai n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours administratif.« 

Une procédure d’instruction « toboggan ». Aux termes du nouvel article R.311-6 du code de justice administrative, passé un délai de dix mois à compter de l’enregistrement de la requête : le dossier est trasmis à la juridiction de rang supérieur : 

« III. – Le tribunal administratif statue dans un délai de dix mois à compter de l’enregistrement de la requête. Si à l’issue de ce délai il ne s’est pas prononcé ou en cas d’appel, le litige est porté devant la cour administrative d’appel, qui statue dans un délai de dix mois. Si, à l’issue de ce délai, elle ne s’est pas prononcée ou en cas de pourvoi en cassation, le litige est porté devant le Conseil d’Etat.« 

Aux termes de cette disposition : 

– Le délai de dix mois commence, devant le tribunal administratif, à la date d’enregistrement de la requête.

– Ce délai devrait s’achever à la date de lecture de la décision (jugement ou arrêt), le texte précisant « Si à l’issue de ce délai il ne s’est pas prononcé (…)« 

– Le décret ne précise pas si le délai de dix mois applicable devant la juridiction nouvellement saisie, court à compter de la date de transmission du dossier par le greffe. Cette incertitude pourrait avoir pour effet de prolonger le délai global d’instruction de la requête devant les trois juridictions saisies, si les deux premières ne parviennent pas à statuer à l’intérieure de ce délai réglementaire de dix mois.

Le délai d’instruction et la procédure de régularisation en cours d’instance. Aux termes du nouvel article R.311-6 du code de justice administrative, le délai d’instruction de dix mois peut être suspendu pour un délai de six mois en cas de mesure de régularisation en cours d’instance :

« Devant le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel, lorsque le juge, dans le délai de dix mois mentionné aux alinéas précédents, met en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ou de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il dispose, à compter de l’enregistrement du mémoire transmettant la mesure de régularisation qu’il a ordonnée, d’un délai de six mois pour statuer sur la suite à donner au litige. A défaut de statuer dans ce délai, le litige est porté, selon le cas, devant la cour administrative d’appel ou le Conseil d’Etat.« 

Entrée en vigueur. Aux termes du nouvel article R.311-6 du code de justice administrative, ce nouveau régime contentieux défini à l’article R.311-6 du code de justice administrative s’applique aux décisions prises entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2026.

« IV. – Les dispositions du présent article s’appliquent aux décisions mentionnées au I prises entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2026.« 

Arnaud Gossement

avocat – docteur en droit
professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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