En bref
Certificats d’économies d’énergie (CEE) : arrêté du 7 avril 2025 modifiant l’arrêté du 4 septembre 2014
Modification de l’arrêté tarifaire S21 : refonte majeure actée et à venir des conditions d’achat pour les installations sur toiture et ombrière inférieure ou égale à 500 kWc
Code minier : publication de l’arrêté du 3 avril 2025 soumettant les décisions d’octroi, d’extension ou de prolongation des concessions et permis exclusifs de recherches (PER) à évaluation environnementale
Déforestation importée : consultation publique sur un projet de règlement modifiant le règlement 2023/1115 (RDUE)
îlot de chaleur urbain : une notion absente du droit positif mais déjà émergente dans la jurisprudence administrative
Alors que les vagues de chaleur se succèdent, il est urgent (notamment) d’adapter nos villes à l’impératif de prévention et de résorption des « îlots de chaleur urbains » (ICU). Un phénomène bien connu des météorologues et des urbanistes mais encore absent de notre droit positif. Il commence toutefois à être prise en compte par le juge administratif. Sans attendre, les responsables de l’évaluation environnementale des plans et projets doivent déjà se saisir de cette notion. Analyse.
I. La définition extra-juridique de la notion d’îlot de chaleur urbain
Cette notion n’est pas encore définie en droit positif. Aucune loi ou texte réglementaire ne propose, en France, de contenu précis pour décrire ce phénomène auquel les habitants des zones urbanisées sont pourtant de plus en plus confrontés à raison de la succession des épisodes de chaleur. Ce phénomène produit pourtant des conséquences sanitaires et environnementales majeures voire mortelles.
Pour l’ADEME « Le rafraîchissement urbain est un enjeu majeur pour les villes dans le contexte actuel de changement climatique et de phénomène de surchauffe urbaine. » (cf. ADEME, Végétaliser : Agir pour le rafraîchissement urbain, étude, juin 2020). Pour l’heure, la notion d’îlot de chaleur urbain, absente de notre droit, est définie et étudiée par de nombreux scientifiques qui travaillent sur l’enjeu de la chaleur en ville, question de plus en plus prégnante (cf. Martin Koppe, Comprendre les îlots de chaleur urbains, 13 septembre 2021, Journal du CNRS)
Les définitions extra-juridiques de l’îlot de chaleur urbain peuvent ainsi être relevées, notamment aux termes d’articles, d’études et de rapports publiés par des établissements publics.
Pour l’Atelier parisien d’urbanisme « APUR » : « Qu’est-ce qu’un ICU ? Le terme d’îlots de chaleur urbain (ICU) estemployé pour décrire la spécificité climatique des villes par rapport aux zones rurales ou péri-urbaines avoisinantes. Les Villes de par leur caractère totalement artificiel sont le lieu de phénomènes de surchauffes notables qui peuvent s’avérer problématiques lorsque surviennent des épisodes caniculaires, c’est le caractère « amplificateur » de la ville qui rendra ces épisodes plus difficilement supportables et qui pose des questions sanitaires qui appellent des mesures d’adaptation du territoire » (cf. APUR, les îlot de chaleur urbains à Paris, cahier n°1, décembre 2012)
Pour Santé publique France : « Qu’est-ce qu’un îlot de chaleur ?Un ilot de chaleur (ICU) désigne un microclimat généré par la concentration d’activités humaines, et se traduisant par une élévation de la température en zone urbaine par rapport aux zones rurales voisines. » (cf. Santé publique France, Adapter les villes à la chaleur : une nécessité pour réduire l’impact sanitaire des fortes chaleurs, 7 octobre 2020)
- Les propriétés thermophysiques des matériaux utilisés pour la construction des bâtiments, des voiries et autres infrastructures,
- L’occupation du sol (sols minéralisés, absence de végétation)
- La morphologie urbaine (voies de circulation importantes, « rugosité » urbaine diminuant la convection…)
- Le dégagement de chaleur issu des activités humaines (moteurs, systèmes de chauffage et de climatisation…)« (cf. CEREMA,
Ilots de chaleur : Agir dans les territoires pour adapter les villes au changement climatique28 juin 2019
)
II. L’îlot de chaleur urbain : une notion quasi absente du droit positif interne
Paradoxalement, malgré son importance scientifique, environnementale et sanitaire, la notion d’îlot de chaleur urbain est presque absente de notre droit et, particulièrement, de nos droits de l’urbanisme et de l’environnement. Une absence d’autant plus regrettable que les porteurs de projets, les demandeurs de permis de construire ou d’autorisation environnementale, les auteurs d’études d’impact, les auteurs de plans et programmes doivent intégrer cette notion à leur réflexion et à la présentation de leurs projets.
L’Autorité environnementale, qui est notamment en charge du contrôle de l’évaluation environnementale des projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, fait de plus en plus souvent état de cette notion dans ses avis. Son rapport annuel 2021 recommande à plusieurs reprises sa prise en compte par les auteurs d’étude d’impact.
III. L’îlot de chaleur urbain : une notion émergente dans la jurisprudence administrative
Depuis deux ans principalement, la notion « d’îlot de chaleur urbain » est débattue par les parties aux procès administratifs relatifs aux autorisations de construire et d’exploiter. Par voie de conséquence, cette notion commence à apparaître dans la rédaction des décisions rendues par les juges administratifs. Décisions qui demeurent toutefois encore rares.
Il convient cependant de signaler les deux jugements suivants. Jugements d’autant plus intéressants que le premier intéresse un plan (le plan local d’urbanisme intercommunal) et le second un projet (permis de construire).
Par un jugement n°2002093 rendu le 28 juillet 2021, le tribunal administratif de Versailles a partiellement annulé la décision d’approbation d’un plan local d’urbanisme intercommunal en tant que celui-ci procède à un classement injustifié de terrains qui ne sont pourtant pas nécessaires à lutte contre les îlots de chaleur.
Par un jugement n°2009343 rendu le 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a jugé que l’insuffisance de description par l’étude d’impact de la contribution d’un projet immobilier au phénomène d’îlot de chaleur urbain, constitue un vice de procédure. Ce vice de procédure peut toutefois faire l’objet d’une régularisation, en cours d’instance, sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de d’urbanisme.
Très précisément, le tribunal administratif de Versailles a partiellement annulé la décision litigieuse au motif que les requérants étaient fondés à soutenir que le classement de leurs parcelles en « coeur d’îlot à préserver » n’était pas justifié, dés lors que ces parcelles n’étaient pas nécessaires pour lutter contre les « îlots de chaleur »:
Ainsi, pour le tribunal administratif de Versailles, en raison de la proximité de jardins, d’espaces verts et d’une forêt, les terrains des requérants n’étaient pas nécessaires à la lutte contre les îlots de chaleur et ne pouvaient donc faire l’objet du classement imposé par la décision litigieuse. Ce faisant, le tribunal administratif de Versailles accorde ici une valeur juridique à la notion d’îlot de chaleur urbain dont il vérifie le respect par le document de planification objet du litige.
Par un jugement rendu ce 2 décembre 2021 (révélé par Actu-environnement), le tribunal administratif de Montreuil a sursis à statuer sur la légalité des permis de construire ainsi attaqués, pour permettre à leurs bénéficiaires de régulariser plusieurs vices de procédure. Parmi les vices de procédure à régulariser, figure celui tenant à l’insuffisance de l’étude d’impact en ce qu’elle ne décrit pas de manière assez précise la contribution du projet d’extension d’un centre commercial au phénomène d’îlot de chaleur :
« 21. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que l’étude d’impact n’analyse pas la contribution du projet au phénomène d’îlot de chaleur urbain, ce document se bornant à présenter à ce titre une unique carte faisant figurer les températures particulièrement élevées
constatées à l’été 2017 dans le secteur devant accueillir le projet, et à indiquer que ce phénomène est dû « à la rétention de la chaleur liée aux propriétés radiatives et thermiques des matériaux, à la géométrie urbaine, à l’exposition des surfaces au rayonnement solaire ainsi qu’à l’absence d’ombrage, à la perturbation de la dynamique des masses d’air, liée à la morphologie urbaine (géométrie, rugosité des sols) qui limite l’écoulement des vents, à la réduction de l’évapotranspiration, liée à l’imperméabilisation des sols, et aux émissions de chaleur par les activités anthropiques, dues aux équipements des bâtiments, aux activités et aux transports produisant de la chaleur. »
Ainsi, l’étude d’impact est insuffisante au motif qu’elle n’analyse pas la contribution du projet au phénomène d’îlot de chaleur urbain. Le tribunal administratif de Montreuil parvient à cette conclusion après prise en compte des termes de l’avis rendu sur ce projet par l’autorité environnementale :
« 22. Il ressort par ailleurs de l’avis rendu sur le projet par l’autorité environnementale que « Compte tenu de sa forte imperméabilisation, de l’absence de végétalisation et d’eau, le site contribue fortement au phénomène d’îlot de chaleur urbain », que « près de 12 000 m² d’espacesverts, dont 2 500 m² en pleine terre, seront créés dans le cadre de l’extension commerciale », notamment via la végétalisation de la toiture de la nouvelle extension du centre commercial et du parvis de la future gare de la ligne de métro 11, mais que cette végétalisation, ainsi que l’utilisation de revêtements clairs, prévues par le projet, ne sont pas suffisamment efficaces pour lutter contre le ph énomène précité au regard des contraintes que ces aménagements engendrent.(…)« (nous soulignons)
A la suite de cet avis de l’autorité environnementale, le maître d’ouvrage a complété son étude d’impact, comme le relève le jugement :
« (…)En réponse à cet avis, qui recommande en conclusion de « conduire une analyse plus fine des impacts du projet en matière d’îlot de chaleur urbain en précisant notamment l’albédo des matériaux de revêtement retenus et des mesures permettant de limiter le stress hydrique de la végétalisation », le maitre d’ouvrage a complété l’étude d’impact, en précisant la capacité des matériaux utilisés à renvoyer ou à absorber la chaleur, et en indiquant notamment qu’un réseau d’arrosage automatique de type goutte-à-goutte, connecté à des sondes d’humidité ainsi qu’à des capteurs de pluie permettant sa régulation, serait installé pour éviter le stress hydrique des espaces verts prévus par le projet. » (nous soulignons)
Toutefois, ce complément d’étude d’impact n’a pas permis de remédier à l’insuffisance initiale de l’étude d’impact :
« 23. Toutefois, il ne ressort d’aucune pièce du dossier que l’étude d’impact aurait été complétée par une analyse permettant effectivement de déterminer l’incidence du projet, qui génère une augmentation notable du trafic routier, et dont les bâtiments sont notamment équipés de systèmes d’éclairage et de climatisation dégageant de la chaleur, sur le phénomène d’îlot de chaleur urbain précédemment décrit. Il s’ensuit que cette étude n’a pas permis, en méconnaissance du 5° de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, la bonne information de la population à ce titre, cette lacune ayant par ailleurs été susceptible d’exercer une influence sur les décisions d’autorisation prises par l’autorité administrative.«
Par voie de conséquence, cette description insuffisante, au sein de l’étude d’impact, de la contribution du projet d’extension de centre commercial au phénomène d’îlot de chaleur urbain, constitue un vice de procédure qui ne peut être considéré comme étant de minime importance. Il peut toutefois faire l’objet d’une régularisation, en cours d’instance, sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de d’urbanisme :
« 55. En l’espèce, il résulte de tout ce qui précède que les permis de construire contestés ne sont illégaux qu’en tant, d’une part, que l’étude d’impact jointe aux demandes ne décrit pas suffisamment l’état initial de l’environnement aux abords du site et les incidences du projet en ce qui concerne la qualité de l’air et le phénomène d’îlot de chaleur urbain, ne comprend pas une analyse suffisante du cumul de ses effets avec ceux d’autres opérations situées à proximité, et ne comporte pas la description de mesures prévues pour éviter, réduire ou compenser les incidences du projet en matière de pollution atmosphérique, et d’autre part, que l’opération autorisée méconnait le principe de prévention en tant que les mesures qu’elle prévoit ne sont pas suffisantes pour éviter, réduire ou compenser ses effets négatifs s’agissant de l’émission de polluants dans l’air et de la contribution au phénomène d’îlot de chaleur urbain. Les illégalités dont les permis attaqués sont entachés sont susceptibles d’être régularisées par la délivrance de permis de régularisation. Il y a donc lieu de surseoir à statuer et d’impartir aux sociétés bénéficiaires et à la commune de Rosny-sous-Bois un délai de douze mois à compter de la notification du présent jugement, pour justifier de permis de construire destinés à régulariser ces vices.«
Aux termes de ce jugement, il convient de relever :
- que l’autorité environnementale intègre la question de la contribution d’un projet immobilier au phénomène d’îlot de chaleur urbain à son analyse du caractère suffisant d’une étude d’impact
- que le tribunal administratif de Montreuil, à partir de cet avis de l’autorité environnementale, intègre à son tour cette question
- qu’il se montre rigoureux quant au caractère suffisant, non seulement de l’étude d’impact initiale mais aussi des compléments apportés par le maître d’ouvrage
- qu’il juge que le vice de procédure tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact sur le volet « îlot de chaleur urbain » n’est pas de minime importance : « cette étude n’a pas permis, en méconnaissance du 5° de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, la bonne information de la population à ce titre, cette lacune ayant par ailleurs été susceptible d’exercer une influence sur les décisions d’autorisation prises par l’autorité administrative«
- que ce vice de procédure peut néanmoins faire l’objet d’une décision de sursis à statuer ainsi que d’une procédure de régularisation en cours d’instance.
La prise en compte de l’exposition au phénomène de l’îlot de chaleur urbain dans l’analyse de la légalité d’un vœu du conseil municipal sur l’état d’urgence climatique d’une commune. Aux termes d’une ordonnance du 14 janvier 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de suspension, présentée par le préfet de la Seine-Saint-Denis, d’une délibération par laquelle le conseil municipal a formé le vœu que la commune soit déclarée en état d’urgence climatique et sociale (cf. tribunal administratif de Montreuil, ordonnance, 14 janvier 2022, Préfet de la Seine-Saint-Denis c. Commune de Bagnolet, n°201477, AJ Collectivités Territoriales 2022 p.268)
Ainsi, l’exposition d’une commune au phénomène d’îlot de chaleur est au nombre des éléments dont tient compte ici le juge administratif. Parmi les autres éléments figure l’adhésion à l’établissement public en charge du PCAET. Cette exposition aux îlots de chaleur démontre que la délibération du conseil municipal déclarant l’état d’urgence climatique correspond bien à un intérêt local. Le vœu est donc jugé légal.
Conclusion
Arnaud Gossement
Avocat associé – docteur en droit
professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
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