Utilité publique : l' »Affaire du siècle » et le rapport du Haut conseil pour le climat de 2022 ne sont pas de nature à retirer au projet autoroutier « contournement Est de Rouen​ » son caractère d’utilité publique (Conseil d’Etat, 12 juillet 2024, n°466271)

Juil 21, 2024 | Environnement

Par une décision n°466271 du 12 juillet 2024, le Conseil d’Etat a jugé que les jugements rendus par le tribunal administratif de Paris dans le contentieux « Affaire du siècle » mais aussi le rapport de 2022 du Haut conseil pour le climat de 2022, n’ont pas eu pour effet, en 2024, de faire perdre au projet autoroutier « contournement Est de Rouen » son caractère d’utilité publique, tel que consacré par décret en 2017. Une décision sans doute justifiée en droit mais qui suscite des interrogations et appelle un débat, d’une part sur la valeur juridique des objectifs de lutte contre le changement climatique, d’autre part sur les conditions d’abrogation et le délai de caducité de déclarations d’utilité publique de projets d’infrastructures dans un contexte marqué par une accélération du changement climatique et du déclin de la biodiversité. Commentaire. 
Résumé

1. Par une décision n°466271 du 12 juillet 2024, le Conseil d’Etat a rejeté le recours par lequel la commune de Val-de-Reuil a demandé l’annulation du refus d’abrogation de la déclaration d’utiité publique des travaux routiers de réalisation du « contournement Est de Rouen« .

2. Par cette décision le Conseil d’Etat a jugé que, ni la référence au jugement rendu le 3 février 2021 par le tribunal administratif dans le contentieux dit « affaire du siècle », ni le rapport du Haut conseil pour le climat ne révèlent un changement de circonstances de fait de nature faire perdre au projet routier contesté son caractère d’utilité publique.

3. Cette décision confirme également que les objectifs de lutte contre le changement climatique ont une portée très réduite devant le juge administratif.

Commentaire
La décision rendue ce 12 juillet 2024 par le Conseil d’Etat présente, à notre sens, les deux intérêts principaux suivants :
– d’une part, elle précise que la référence au jugement rendu le 3 février 2021 par le tribunal administratif dans le contentieux dit « affaire du siècle » ne révèle pas un changement de circonstances de fait de nature faire perdre au projet routier contesté son caractère d’utilité publique.

– d’autre part, elle confirme également que les objectifs de lutte contre le changement climatique ont une portée très réduite devant le juge administratif. 

Cette décision appelle sans doute un débat, dont l’objet dépasse celui de la présente note, d’une part sur la portée des objectifs de lutte contre le changement climatique devant le juge administratif, notamment dans le contentieux de la déclaration d’utilité publique, d’autre part, sur les conditions d’abrogation et sur le délai de caducité de déclarations d’utilité publique, dans un contexte d’accélération du changement climatique.

I. Rappel des faits
14 novembre 2017 : décret déclarant d’utilité publique les travaux de construction du contournement Est de Rouen – Liaison A 28-A 13, comprenant les liaisons autoroutières entre l’autoroute A 28 (commune de Quincampoix), l’autoroute A 13 (commune d’Incarville) et la route départementale RD 18E (commune de Saint-Etienne-du-Rouvray)
9 novembre 2020 : décision par laquelle le Conseil d’Etat a rejeté le recours de la commune de Val-de-Reuil, tendant à l’annulation de ce décret du 14 novembre 2017 (CE, 19 novembre 2020, Commune de Val-de-Reuil, n° 417362).
1er mars 2022 : courrier par lequel la commune Val-de-Reuil a saisi le Premier ministre d’une demande tendant à l’abrogation du décret du 14 novembre 2017
1er août 2022 : recours par lequel la commune Val-de-Reuil a demandé au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande sur sa demande tendant à l’abrogation du décret du 14 novembre 2017.

12 juillet 2024 : par une décision n°466271, le Conseil d’Etat a rejeté le recours de la commune de Val-de-Reuil.

II. Le contentieux « Affaire du siècle » et le rapport du Haut conseil pour le climat de 2022 ne sont pas de nature à retirer à l’opération son caractère d’utilité publique

A titre liminaire, il convient de souligner que la décision rendue ce 12 juillet 2024 par le Conseil d’Etat comporte, à son point 2, un rappel du principe selon lequel la déclaration d’utilité d’un projet doit être abrogée par l’administration en cas de changement de circonstances de fait ou de droit :

« 2. L’autorité administrative n’est tenue de faire droit à la demande d’abrogation d’une déclaration d’utilité publique que si, postérieurement à son adoption, l’opération concernée a, par suite d’un changement des circonstances de fait, perdu son caractère d’utilité publique ou si, en raison de l’évolution du droit applicable, cette opération n’est plus susceptible d’être légalement réalisée.« 

Restait à savoir si, au cas d’espèce, la preuve d’un tel changement de circonstances était rapportée par la commune requérante.

A cette question, le Conseil d’Etat répond par la négative en jugeant que, ni les jugements rendus en 2021 et 2023 par le tribunal administratif de Paris dans contentieux « affaire du siècle » ni le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat publié en juin 2022 ne sont de nature à remettre en cause le caractère d’utilité publique des travaux contestés. Ni ces jugements ni ce rapport ne révèlent de changement dans les circonstances de fait qui auraient contraint l’administration à procéder à l’abrogation de la déclaration d’utilité publique intervenue en 2017.

La décision rendue ce 12 juillet par le Conseil d’Etat précise en effet :

« 6. En dernier lieu, s’il est établi que l’opération contestée engendrera une augmentation nette de l’émission de divers polluants et une augmentation des émissions de CO2 de l’ordre de 50 000 tonnes par an, la circonstance que, postérieurement à l’adoption du décret déclarant d’utilité publique l’opération, des décisions contentieuses aient enjoint à l’Etat de prendre toutes les mesures utiles de nature, d’une part, à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone et, d’autre part, à infléchir la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction de ces émissions serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018, n’est pas, par elle-même, de nature à faire perdre à l’opération litigieuse son caractère d’ordre public. Il en va de même de la circonstance que le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat publié en juin 2022 ait fait état de la nécessité d’accélérer le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les transports. »

Ce point 6 de la décision ici commentée appelle les commentaires suivants.

En premier lieu, ce point 6 fait référence au contentieux « affaire du siècle » qui est toujours en cours : « (…) la circonstance que, postérieurement à l’adoption du décret déclarant d’utilité publique l’opération, des décisions contentieuses aient enjoint à l’Etat de prendre toutes les mesures utiles de nature, d’une part, à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone (…) »

Ainsi, pour le Conseil d’Etat, les jugements « affaire du siècle » du tribunal administratif de Paris ne révèlent pas un changement de nature à faire perdre à l’opération litigieuse son caractère d’utilité publique. Pour mémoire, par un jugement avant-dire droit n°1904967 et s. du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit aux demandes de quatre associations requérantes, réunies dans le collectif « Affaire du siècle », et a : 
– condamné l’Etat a verser un euro aux associations requérantes en réparation de leur préjudice moral.
– reconnu que l’Etat était responsable d’un préjudice écologique à hauteur des engagements qu’il n’avait pas respectés dans le cadre d’un premier budget carbone (2015-2018).
– rejeté la demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à verser un euro en réparation de ce préjudice écologique.

– ordonné, avant de statuer sur les conclusions des quatre requêtes tendant à ce que le tribunal enjoigne à l’État, afin de faire cesser pour l’avenir l’aggravation du préjudice écologique constaté, de prendre toutes les mesures permettant d’atteindre les objectifs que la France s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, un supplément d’instruction afin de soumettre les observations non communiquées des ministres compétents à l’ensemble des parties, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Par un jugement n°19014967 et s. rendu le 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a enjoint au Premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de gaz à effet de serre au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2 eq, et sous réserve d’un ajustement au regard des données estimées du CITEPA au 31 janvier 2022. La réparation du préjudice devait être effective au 31 décembre 2022, au plus tard.

Par un jugement n°2321828/4-1 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande d’astreinte présentée par trois associations requérantes pour assurer l’exécution de son jugement rendu le 14 octobre 2021. Le jugement précise que si l’Etat n’a pas complètement réparé, à la date du 31 décembre 2022, le préjudice écologique résultant du dépassent du budget carbone pour la période 2015-2018. Toutefois, le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre constaté en 2023 ne rend pas nécessaire le prononcé d’une mesure d’exécution supplémentaire (cf. notre commentaire).

En deuxième lieu, si le raisonnement du Conseil d’Etat est justifié en droit, il peut aussi susciter des interrogations. 

Certes, le Conseil d’Etat a déjà contrôlé, en 2020, la légalité de la déclaration d’utilité publique de 2017 (CE, 19 novembre 2020, Commune de Val-de-Reuil, n° 417362). Il a ainsi pu déjà statué sur le moyen tiré du défaut d’utilité publique des travaux litigieux à raison du volume d’émissions de gaz à effet de serre qu’ils créeront. Les contentieux « affaire du siècle » (tribunal administratif de Paris) et « Commune de Grande-Synthe » (Conseil d’Etat n’ont donc pas révélé l’existence du changement de telle sorte qu’il constituerait, depuis la déclaration d’utilité publique de 2017, un changement dans les circonstances de fait. 

Toutefois, cette déclaration d’utilité publique date de 2017, soit 7 ans à la date de la décision commentée. Si le changement climatique n’est pas un phénomène nouveau – loin s’en faut – il n’en demeure pas moins qu’il s’est considérablement aggravé comme, notamment, les rapports du Haut conseil pour le climat en témoignant. Par ailleurs, ce qui est nouveau depuis 2017 tient justement à la reconnaissance par le tribunal administratif de Paris mais aussi par le Conseil d’Etat de la part de responsabilité de l’Etat dans l’aggravation de ce changement climatique. Il peut être valablement soutenu que ces contenus révèlent un changement de circonstances – mélangées de fait et de droit – qui aurait pu amener l’administration à vérifier si l’utilité publique de ces travaux routiers était toujours caractérisée.

Aussi, il n’aurait pas été absurde, sur le plan du droit, que le Conseil d’Etat exige à tout le moins de l’administration qu’elle s’assure que les conditions d’abrogation de cette déclaration d’utilité publique ne sont pas réunies au regard, d’une part, des contentieux « Affaire du siècle » et « Commune de Grande-Synthe » et, d’autre part, des rapports du Haut conseil pour le climat.

III. La confirmation de la portée réduite des objectifs de lutte contre le changement climatique

La décision rendue ce 12 juillet 2024 par le Conseil d’Etat confirme que les objectifs de lutte contre le changement climatique et la trajectoire pour les réaliser ont une portée assez réduite. La question de savoir si des travaux routiers, déclarés d’utilité publique en 2017, sont encore conformes ou compatibles avec ces objectifs et cette trajectoire est écartée par le Conseil d’Etat. 

Il est utile de replacer cette décision du 12 juillet 2024 au sein d’une jurisprudence administrative pour souligner : 

– d’une part que les objectifs de lutte contre le changement climatique sont pluriels

– d’autre part, qu’ils ne produisent pas de conséquence directe pour la légalité des décisions administratives

A. Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Sur l’objectif « facteur 4 » de réduction des émissions de gaz à effet de serre, inscrit à l’article L.100-4 du code de l’énergie. Dans une affaire relative à une demande de suspension, en référé, de l’autorisation environnementale en vue de l’exploitation de la centrale électrique devant être implantée au lieu-dit Larivot sur le territoire de la commune de Matoury en Guyane, le Conseil d’Etat a, par une décision n°455465 du 10 février 2022 précisé que cet objectif ne doit être pris en compte que lors de la délivrance des seules autorisations d’exploiter visées à l’article L.311-5 du code de l’énergie et non par les autorisations environnementales visées à l’article L.181-3 du code de l’environnement : 

« 4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la prise en compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie est prévue pour les autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité par l’article L. 311-5 du code de l’énergie et pour les autorisations environnementales lorsqu’elles tiennent lieu d’une telle autorisation en application de l’article L. 181-3 du code de l’environnement. Il en va en revanche différemment pour les autorisations environnementales qui ne tiennent pas lieu d’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité.« 

Sur « l’objectif gouvernemental de maîtrise des rejets de gaz à effet de serre ». Dans une affaire relative à la déclaration d’utilité publique des travaux de construction de la chute du Rizzanèse, le Conseil d’Etat a rendu une décision datée du 10 novembre 2006 qui fait état de « l’objectif gouvernemental de promotion des énergies renouvelables et de maîtrise des rejets de gaz à effet de serre« . Cet objectif n’est toutefois mentionné que pour décrire les motifs des auteurs en faveur de la réalisation du projet litigieux :

« elle s’inscrit dans le cadre de l’objectif gouvernemental de promotion des énergies renouvelables et de maîtrise des rejets de gaz à effet de serre ; (..) » (cf. Conseil d’Etat, 10 novembre 2006, n°275013 – recours contre la déclaration d’utilité publique des travaux d’aménagement de la chute du Rizzanèse en Corse-du-Sud).

Sur le « principe » relatif au « respect des engagements nationaux et internationaux de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre », inscrit dans la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009. Statuant sur le recours en annulation de la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le Conseil d’Etat a jugé que cette loi comporte des « principes » relatifs notamment aux émission de gaz à effet de serre : 
« 10. Considérant, en premier lieu, que les articles 1er, 7, 10 et 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement énoncent divers principes tels que la nécessité de privilégier les solutions respectueuses de l’environnement en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à un coût raisonnable, la lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles et la contribution de la politique des transports au développement durable et au respect des engagements nationaux et internationaux de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’autres polluants ; que dès lors que ces dispositions, qui sont contenues dans une loi de programmation et se bornent à fixer des objectifs généraux à l’action de l’Etat en matière de développement durable, sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative, elles ne peuvent être regardées comme pouvant faire légalement obstacle à la réalisation de l’opération litigieuse » (cf. Conseil d’Etat, 17 octobre 2013, n°358633 – recours contre la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes)


Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet, inscrit dans la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009. Le Conseil d’Etat a jugé que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé par la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009 est dépourvu de portée normative :

« 8. La loi du 3 août 2009 énonce notamment l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau national et prévoit également la prise en compte, par le droit de l’urbanisme, de l’objectif de lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles. De telles dispositions, prises sur le fondement de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution relatif aux lois de programmation, se bornent à fixer des objectifs à l’action de l’Etat et sont, dès lors, dépourvues de portée normative. Elles ne peuvent, par suite, être utilement invoquées à l’encontre de la décision attaquée. » (cf. Conseil d’État, 18 juin 2014, n°357400 – recours contre une autorisation commerciale).

Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre inscrit dans la convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de l’accord de Paris. Par une décision n°427301 rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’État a rappelé que les dispositions de la CCNUCC et de l’accord de Paris sont dépourvus d’effet direct. Elles doivent simplement « prises en considération » par l’Etat dans l’interprétation des dispositions de droit national relatives à la lutte contre le changement climatique :
« 12. Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’Union européenne et la France, signataires de la CCNUCC et de l’accord de Paris, se sont engagées à lutter contre les effets nocifs du changement climatique induit notamment par l’augmentation, au cours de l’ère industrielle, des émissions de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines, en menant des politiques visant à réduire, par étapes successives, le niveau de ces émissions, afin d’assumer, suivant le principe d’une contribution équitable de l’ensemble des Etats parties à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, leurs responsabilités communes mais différenciées en fonction de leur participation aux émissions acquises et de leurs capacités et moyens à les réduire à l’avenir au regard de leur niveau de développement économique et social. Si les stipulations de la CCNUCC et de l’accord de Paris citées au point 9 requièrent l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers et sont, par suite, dépourvues d’effet direct, elles doivent néanmoins être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national, notamment celles citées au point 11, qui, se référant aux objectifs qu’elles fixent, ont précisément pour objet de les mettre en oeuvre. » (cf. Conseil d’État, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n°427301)(nous soulignons).


Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’obligation pour l’Etat de respecter la trajectoire permettant sa réalisation. Aux termes du jugement du 3 février 2021 intervenu dans l’affaire dite « affaire du siècle », le tribunal administratif a opposé à l’Etat, non pas directement cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais la « trajectoire » que l’Etat s’était lui-même engagé à respecter par voie réglementaire (budget carbone) : 
« (…) la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué. » (nous soulignons).


B. Sur « l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète« , de l’accord de Paris du 12 décembre 2015
Pour le Conseil d’Etat, les stipulations de l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, qui définissent notamment un « objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète » ne font pas obstacle à la réalisation d’un projet autoroutier :
« 5. Considérant que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New-York le 22 avril 2016, énoncent que les Etats parties à cet accord  » cherchent à parvenir « , en vue d’atteindre l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète,  » au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite (…)  » ; que ces stipulations, par elles-mêmes, n’ont pas pour portée de faire obstacle à la réalisation du projet litigieux ; » (cf. Conseil d’Etat, 4 décembre 2017, n°407206 – recours contre la déclaration d’utilité publique du projet d’autoroute A45 Lyon – Saint-Etienne) (nous soulignons).
Par une décision n°417362 rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat a jugé que « ni les dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte relatives notamment à la limitation des émissions de gaz à effet de serre, ni les dispositions du code de l’environnement relatives aux plans climat-air-énergie territoriaux, ni les stipulations du paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016 » ne font obstacle à tout nouveau projet de construction d’autoroute :

« 57. Si l’étude d’impact environnementale conclut à une augmentation des émissions de CO2, induites par la mise en service de l’infrastructure, estimées à 50 000 tonnes par an par rapport à l’état initial, ni les dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte relatives notamment à la limitation des émissions de gaz à effet de serre, ni les dispositions du code de l’environnement relatives aux plans climat-air-énergie territoriaux, ni les stipulations du paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016, aux termes duquel les Etats parties  » cherchent à parvenir « , en vue d’atteindre l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète,  » au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite (…) « , n’ont, en tout état de cause, pour objet de faire obstacle par principe à tout nouveau projet de construction d’autoroute, dont l’incidence nette prévisible, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, doit être prise en considération au titre du bilan qui détermine son caractère d’utilité publique. » (cf. Conseil d’Etat, 19 novembre 2020, n°417362 – recours contre la déclaration d’utilité publique des travaux de construction du contournement routier Est de Rouen)
Dans une autre affaire également relative à la légalité d’une déclaration d’utilité publique de les travaux de création d’une liaison routière à 2 × 2 voies, le Conseil d’Etat a, par une décision n°438686 du 30 décembre 2021, jugé que cet objectif et les engagements pris pour sa réalisation n’ont pas n’ont pas pour objet de faire obstacle par principe à tout nouveau projet de construction d’autoroute :
« 23. En premier lieu, s’il est soutenu que le décret attaqué méconnait les engagements pris par la France au titre de l’Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016, les stipulations du paragraphe 1 de son article 4 aux termes duquel les Etats parties  » cherchent à parvenir « , en vue d’atteindre l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète,  » au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite (…)  » n’ont pas pour objet de faire obstacle par principe à tout nouveau projet de construction d’autoroute. Le moyen tiré de leur méconnaissance ne peut donc, en tout état de cause, qu’être écarté. »
C. Sur « l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique »
Le Conseil d’Etat a employé cette expression dans la rédaction de sa décision n°421004 du 18 décembre 2019 relative à la portée de la loi « Hulot » sur l’interdiction d’extraction des hydrocarbures. Il a ainsi jugé que « l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique » peut, tout au plus, justifier que le législateur adopte certaines mesures pour réduire la production d’hydrocarbures sur le territoire français :
« 6. A cet égard, en adoptant la mesure limitant au 1er janvier 2040 la durée des concessions de mines d’hydrocarbures, le législateur a entendu, ainsi qu’il ressort des travaux parlementaires préparatoires à la loi du 30 décembre 2017, poursuivre l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique et contribuer à respecter les engagements internationaux souscrits par la France au titre de l’Accord de Paris sur le climat. Si la société requérante soutient que la production d’hydrocarbures sur le territoire français a un impact environnemental beaucoup plus limité que leur importation et leur consommation en France, il ressort des pièces du dossier que la limitation du temps des concessions, eu égard à la très longue durée de validité des titres autorisant la recherche et l’exploitation des hydrocarbures sous l’empire de la législation antérieure à la loi du 30 décembre 2017, peut contribuer à permettre d’atteindre l’objectif poursuivi. Par ailleurs, si la société requérante soutient que l’article L. 111-12 porte une atteinte disproportionnée aux droits des opérateurs miniers dès lors qu’il ne distingue pas selon que l’usage des hydrocarbures est énergétique ou non énergétique, il ressort des pièces du dossier que l’objectif de lutte contre le changement climatique suppose de limiter l’exploitation des réserves d’hydrocarbures fossiles, quel que soit leur usage. » (cf. Conseil d’Etat, 18 décembre 2019, n°421004 – Loi Hulot sur hydrocarbures).

D. Sur l’objectif permanent procédant de l’impératif général de réduction de la dépendance des énergies fossiles« 

Par deux arrêts n°20NC02931 et n°20NC02933 rendus le 29 décembre 2022 (cf. notre commentaire), la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé l’illégalité des décisions par lesquelles la ministre chargée de l’écologie a refusé la délivrance de permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures au titre du code minier à des sociétés de droit privé.

La cour administrative d’appel de Nancy a notamment considéré que la ministre ne pouvait pas se fonder sur « l’impératif général de réduction de la dépendance des énergies fossiles » énoncé par la loi du 17 août 2015 et l’accord de Paris. Cet constitue un « objectif permanent » qui ne s’impose qu’à l’Etat, aux collectivités territoriales et leurs groupements. Ces arrêts confirment la portée juridique réduite des objectifs et engagements de lutte contre le changement climatique tels qu’ils procèdent notamment de l’accord de Paris adopté, le 12 décembre 2015, lors de la COP21.

En conclusion, les objectifs de lutte contre le changement climatique, tels que définis en droit international et en droit interne ont une portée encore assez réduite. Au mieux, il imposent une obligation générale à l’Etat de respecter ses propres engagements pour parvenir à une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ils sont cependant dépourvus d’effet direct et l’administration ne peut, directement, les opposer à une personne privée. Pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le changement climatique, un travail d’harmonisation des différentes formulations de ces objectifs et de précision de leur nature et de leur valeur juridique serait sans doute le bienvenu.
Arnaud Gossement
avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
A lire également :

Note du 11 décembre 2023 – « Affaire du siècle » : l’Etat n’a pas complètement réparé le préjudice écologique au 31 décembre 2022 mais il n’est pas nécessaire de prononcer une astreinte à son encontre (tribunal administratif de Paris, 22 décembre 2023, n°2321828/4-1)

Note du 14 octobre 2023 – [tribune] Autoroute A 69 : un projet autorisé au titre du code de l’environnement, critiqué au nom de la protection de l’environnement

Note du 4 janvier 2023 – Climat : confirmation de la portée juridique réduite des objectifs de lutte contre le changement climatique (CAA Nancy, 29 décembre 2022, n°20NC02931 et n°20NC02933)

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