En bref
Solaire : publication du décret du 3 décembre 2024 précisant les caractéristiques des panneaux solaires photovoltaïques permettant le report de l‘obligation de solarisation de certains parkings
Hydroélectricité : modifications des modalités d’expérimentation du dispositif du médiateur
Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) : Modification des dispositions relatives à l’élaboration, la modification et la révision des SAGE
Déchets : Assouplissement des conditions pour la reprise des déchets de construction par les distributeurs
Le droit à un environnement sain et équilibré, consacré par la Charte de l’environnement, est celui des générations actuelle et futures ainsi que des autres peuples (Conseil constitutionnel, 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres, n°2023-1066 QPC)
Le stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, tel qu’organisé par la loi du 25 juillet 2016, ne méconnaît pas le droit à l’environnement des générations existantes et futures, consacré par la Charte de l’environnement. Par une décision n°2023-1066 QPC du 27 octobre 2023 (« Association Meuse nature environnement et autres »), le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, les dispositions de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Une décision importante qui comporte la création, non d’un droit nouveau, mais une interprétation du sens et de la portée du droit à un environnement sain et équilibré qui est celui : des générations actuelle, futures et des autres peuples. Pour le Conseil constitutionnel, si l’autorisation du stockage géologique en couche profonde de déchets radioactifs est susceptible de porter atteinte au droit à un environnement sain et équilibré, ainsi interprété, la disposition créant ce risque demeure légale en raison des garanties apportées par le législateur. Garanties qui imposent notamment de limiter et de répartir la charge des effets négatifs du projet entre générations. Commentaire.
Résumé
Sur le sens de la décision n°2023 QPC du 27 octobre 2023 du Conseil constitutionnel
- Par une décision n°2023 QPC du 27 octobre 2023 a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de la loi du 25 juillet 2016 relatives à la réversibilité du stockage géologique en couche profonde de déchets radioactifs
- Par cette décision, le Conseil constitutionnel a procédé à l’interprétation du droit à environnement sain et équilibré – définit à l’article 1er de la Charte de l’environnement – éclairé à la lumière du septième alinéa de cette Charte relatif aux capacités des générations futures et des autres peuples.
- Aux termes de cette décision, il n’existe qu’un seul droit à un environnement sain et équilibré qui est celui des générations actuelle, futures et des autres peuples.
- La garantie de ce droit réside notamment dans l’obligation faite au législateur de répartir la charge d’un projet entre les générations.
- Au cas d’espèce, l’autorisation du stockage géologique des déchets radioactifs en couche profonde est susceptible de porter atteinte à l’exercice du droit à un environnement sain et équilibré, ainsi interprété.
- La disposition créant un tel risque d’atteinte est, toutefois, légale – ou constitutionnelle – en raison des garanties définies par le législateur.
- Ces garanties doivent permettre de limiter les atteintes au droit à un environnement sain et équilibré mais aussi de repartir la charge des effets des projets ayant incidence pour l’environnement, entre générations.
Sur la portée de la décision n°2023 QPC du 27 octobre 2023 du Conseil constitutionnel
La portée de cette décision QPC du Conseil constitutionnelle devrait être importante, sous réserve bien entendu de la manière dont elle sera maniée, non seulement par les futurs requérants mais aussi par les défendeurs et les juges.
- Elle devrait amener le législateur mais aussi l’administration à anticiper le contrôle de constitutionnel des actes législatifs et réglementaires en qualifiant précisément les atteintes à l’exercice du droit à un environnement sain et équilibré ainsi interprété par le Conseil constitutionnel. Ce travail de qualification est trop souvent négligé.
- Elle devrait également contraindre le législateur et l’administration à épuiser leurs compétences respectives et à détailler ainsi qu’à justifier les garanties dont ils entendent assortir les atteintes précitées à l’exercice du droit à un environnement sain et équilibré.
- Ces garanties seront contrôlées par le juge constitutionnel et le juge administratif.
I. Les faits et la procédure
2016 : loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
Cette loi a notamment modifié la rédaction de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement de manière définir le principe et les conditions de réversibilité de ce stockage.
7 juillet 2022 : décret n° 2022-993 déclarant d’utilité publique le centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue Cigéo et mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale du Pays Barrois, du plan local d’urbanisme intercommunal de la Haute-Saulx et du plan local d’urbanisme de Gondrecourt-le-Château (Meuse)
12 mai 2023 : l’association Meuse nature environnement et plusieurs autres associations et personnes physiques ont demandé au Conseil d’Etat, l’annulation du décret déclarant d’utilité publique le centre de Cigéo.
2 août 2023 : par une décision du 2 août 2023, le Conseil d’État (cf. Conseil d’État, 2 août 2023, association Meuse nature environnement et autres, n°467370) a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article L.542-10-1 du code de l’environnement.
Ce renvoi au Conseil constitutionnel est motivé de la manière suivante par le Conseil d’Etat : »3. L’association Meuse Nature Environnement et autres soutiennent que les dispositions de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution, en invoquant, à l’appui de leur question prioritaire de constitutionnalité, d’une part, un droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et un principe de solidarité entre les générations, qui résulteraient de la combinaison des articles 1er à 4 de la Charte de l’environnement avec les considérants 1er et 7 de son préambule, ainsi que, d’autre part, un principe de fraternité entre les générations, qui résulterait du Préambule et des articles 2 et 72-3 de la Constitution, également combinés avec le préambule de la Charte de l’environnement. Ce moyen soulève une question nouvelle au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Il y a lieu, dans ces conditions, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement.«
26 octobre 2023 : décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023 (« Association Meuse nature environnement et autres ») par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, les dispositions de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.
II. Commentaire
Les développements qui suivent seront consacrés :
- à la présentation des normes dont la constitutionnalité a été contrôlée par le Conseil constitutionnel
- à la présentation des normes constitutionnelles dont le respect a été contrôlé par le Conseil constitutionnel
- à l’étude des conditions du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel aux fins de vérification du caractère suffisant des limitations de l’atteinte au droit à un environnement sain et équilibré.
B. Les dispositions constitutionnelles dont le respect a été contrôlé : le droit à un environnement sain et équilibré des générations existantes, futures et des autres peuples (article 1er de la Charte éclairé par le septième alinéa de son préambule)
Les normes constitutionnelles de référence du contrôle. Les auteurs du recours en annulation déposé devant le Conseil d’Etat et de la question prioritaire de constitutionnalité renvoyée par ce dernier au Conseil constitutionnel ont invoqué la méconnaissance, par la loi du loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016, des dispositions suivantes de la Charte de l’environnement
- un droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et un principe de solidarité entre les générations, qui résulteraient de la combinaison des articles 1er à 4 de la Charte de l’environnement avec les considérants 1er et 7 de son préambule.
- un principe de fraternité entre les générations, qui résulterait du Préambule et des articles 2 et 72-3 de la Constitution, également combinés avec le préambule de la Charte de l’environnement.
Le Conseil constitutionnel va cependant consacrer son contrôle de constitutionnalité aux dispositions suivantes :
- Le droit à un environnement sain et équilibré : l’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
- La capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins. Le septième alinéa du préambule de la Charte de l’environnement dispose : « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
On notera dés à présent que le Conseil constitutionnel n’élève pas ici cette disposition relative aux générations futures et aux autres peuples au rang de principe ou d’objectif à valeur constitutionnelle ni même de droit. Ce septième alinéa du préambule est, pour le Conseil constitutionnel, un instrument d’interprétation des termes de l’article 1er de la Charte relatif au droit à un environnement sain et équilibré.
L’interprétation nouvelle du sens et de la portée du droit à un environnement sain et équilibré. La décision ici commentée est particulièrement intéressante en ce que le Conseil constitutionnel n’a pas entendu créer un droit autonome des générations futures qui serait distinct de celui des générations présentes. Il a souhaité faire du éclairé par le septième alinéa de son préambule de la Charte – relatif aux générations futures et aux autres peuples – un instrument d’interprétation de l’article 1er de cette même Charte, relatif au droit à un environnement sain et équilibré.
« 6. Il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard.«
Par cette décision, le Conseil constitutionnel a donc étendu le sens et la portée du droit à un environnement sain et équilibré grâce à un pont entre générations mais aussi entre peuples. Il n’y a pas, d’un côté un droit à un environnement sain et équilibré de la génération actuelle puis, de l’autre, un droit des générations futures et autres peuples. L’universalité du droit à un environnement sain et équilibré est assuré par le travail d’interprétation des termes de l’article 1et de la Charte de l’environnement au regard des dispositions du septième alinéa du préambule de cette même Charte.
C. Le contrôle par le juge constitutionnel de la garantie de ce droit à environnement sain et équilibré, ainsi interprété
- L’atteinte doit être limitée : « les limitations apportées par le législateur » doivent demeurer des limitations et non une « suppression »
- Ces limitations doit être justifiée : soit en raison d’exigences constitutionnelles, soit « par un motif d’intérêt général.
- Ces limitations doivent être proportionnées à l’objectif poursuivi par le législateur.
Au cas d’espèce :
- L’autorisation du stockage géologique des déchets radioactifs en couche profonde porte atteinte à l’exercice du droit à un environnement sain et équilibré, ainsi interprété : « 10. En permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, ces dispositions sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement.«
- Ce « risque d’atteinte » est, toutefois, légal – ou constitutionnel – en raison des garanties définies par le législateur pour limiter l’atteinte au droit à un environnement sain et équilibré, non seulement pour la génération actuelle mais aussi pour les générations futures.
La nature du contrôle par le juge constitutionnel des atteintes au droit à un environnement sain et équilibré. Aux termes du point 11 de la présente décision, le Conseil constitutionnel a rappelé
- d’une part de vérifier que le stockage soit réalisé dans dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives
- et, d’autre part, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel entend vérifier si, pour atteindre ces objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé sont recherchés par le législateur par des voies qui, en l’état des connaissances scientifiques et techniques ne sont pas manifestement inappropriées à ces objectifs.
Le contrôle de la répartition de la charge entre générations. Le contrôle de la légalité des limitations apportées par le législateur à l’atteinte suppose une vérification de la manière dont le législateur a entendu répartir « la charge » des effets négatifs d’un projet entre générations :
« 12. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de l’article L. 542-1 du code de l’environnement que la gestion des déchets radioactifs doit être assurée dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement et que la mise en œuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs doit prévenir ou limiter les charges qui seront supportées par les générations futures. » (nous soulignons)
Les point 13 à 20 de la décision sont spécifiquement consacrées à cette répartition de la charge que représente ce stockage géologique de déchets radioactifs entre générations.
En conclusion, cette décision du Conseil constitutionnel n’est nullement une défaite ou une victoire pour personne mais un avertissement adressé au législateur et, sans doute aussi, à l’administration. Il leur sera désormais nécessaire de bien qualifier les atteintes au droit à un environnement sain et équilibré des générations actuelle et futures et des autres peuples de bien limiter toute attente à ce droit, de bien expliquer et détailler les garanties apportées pour assurer ces limitations et la répartition de la charge des effets négatifs du projet entre générations.
Il est évident que le Conseil constitutionnel a entendu réaliser un équilibre entre le souci de contrôler la constitutionnalité de la loi et celui de ne pas interdire au législateur de procéder à des choix politiques, comme celui d’autoriser le stockage géologique de déchets radioactifs. La crainte de se voir reprocher un « gouvernement des juges » plane toujours. Reste que si le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause le principe même de ce stockage géologique – lequel est toutefois qualifié d’atteinte à l’exercice du droit à un environnement sain et équilibré – il vient de créer de nouvelles obligations à la charge du législateur qui marquent un progrès du droit de l’environnement.
Arnaud Gossement
Avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
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