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Police municipale et covid-19 : le tribunal administratif de Montreuil suspend le couvre-feu décidé par le maire Saint-Ouen
Par une ordonnance du 3 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a suspendu l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 par lequel le maire de Saint Ouen a interdit la circulation des personnes sur l’ensemble du territoire de la commune entre 19 H et 6 H du matin. Analyse.
Pour un exposé d’ensemble sur la question de l’exercice par le maire de son pouvoir de police en période d’urgence sanitaire, nous vous proposons la lecture de notre note du 7 avril 2020 – Police municipale et covid-19 : le maire peut-il / doit-il faire usage de ses pouvoirs de police pour réduire l’épidémie ? (questions / réponses)
Résumé
- Par une ordonnance du 3 avril 2020, le juge du référé-liberté du tribunal administratif a suspendu, à la demande d’un particulier, l’exécution de l’arrêté l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 pris par le maire de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine.
- Le risque de violation de l’arrêté par lequel le préfet a entendu prévenir les rassemblements de personnes ne constitue pas une « circonstance particulière » de nature à justifier l’exercice par le maire de son pouvoir de police générale ;
- L’ordonnance précise que cette « suspension prendra fin le 15 avril 2020, date d’expiration, en l’état de l’instruction, des mesures de confinement ».
Commentaire
Cette ordonnance du 3 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil :
- confirme que le maire dispose d’un pouvoir de police générale qu’il peut exercer en complément du pouvoir de police spéciale de l’urgence sanitaire confié au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et du Préfet ;
- confirme – et c’est sans doute là l’intérêt premier de cette ordonnance – que ce pouvoir de police du maire devrait demeurer assez circonscrit, notamment lorsque le préfet a d’ores et déjà exercé le sien pour rendre localement plus contraignantes des mesures décidées au plan national ;
- démontre qu’un contentieux important est en cours de formation, nourri par des déférés préfectoraux mais aussi par des requêtes introduites par des personnes privées. D’autres ordonnances de référé sont à prévoir.
Par ailleurs, il convient de souligner que ces arrêtés de police municipaux posent la question de savoir si le maire est ou non tenu d’intervenir. D’ores et déjà certains maires peuvent se sentir contraints d’intervenir au motif que d’autres maires interviennent déjà. Toutefois, si l’on considère que le maire est tenu par une obligation d’exercer son pouvoir de police, il faut avoir présent à l’esprit qu’en contrepartie, la responsabilité de la commune pourrait être recherchée pour absence ou défaut d’exercice de cette police. A notre sens, la jurisprudence ne fait pas état – tout au moins pas encore – d’une éventuelle obligation pour le maire d’agir.
Enfin, il est intéressant de comparer ce contentieux des arrêtés de police municipale relatifs à l’épidémie de covid-19 avec celui relatif aux arrêtés « anti-glyphosate » qui ont presque tous été suspendus puis annulés par les juridictions administratives. Force est de constater que les partisans – hier – d’un élargissement du pouvoir de police des maires dans le but de réduire l’utilisation de pesticides ne le réclament plus – aujourd’hui – lorsqu’il s’agit de réduire l’exercice de libertés publiques en période d’urgence sanitaire.
L’existence d’un pouvoir de police spéciale de l’urgence sanitaire confié à l’Etat.
Premier élément remarquable de cette ordonnance du 3 avril 2020 : le juge du référé-liberté confirme à son tour l’existence d’une « police spéciale » de l’urgence sanitaire confiée à l’Etat.
Après avoir mentionné les dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, issu de
la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, de l’article L3131-15 du même code et de l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, le juge des référés précise :
« 7. Les dispositions citées au point 5 confèrent à l’Etat un pouvoir de police spéciale en cas d’urgence sanitaire. Parmi ces mesures figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes et des véhicules.(..)«
Pour mémoire, le juge des référés du tribunal administratif de Caen avait déjà jugé, au moyen d’une rédaction identique que ces dispositions du code de la santé publique « confèrent à l’Etat un pouvoir de police spéciale en cas d’urgence sanitaire.«
De manière générale : le maire peut exercer son pouvoir de police générale si des circonstances locales particulières l’exigent
L’existence d’une police spéciale confiée à l’Etat – c’est à dire au Premier ministre, au ministre chargé de la santé et au préfet – ne prive pas le maire de son pouvoir de police générale. L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montreuil précise ici :
« 7. Les dispositions citées au point 5 confèrent à l’Etat un pouvoir de police spéciale en cas d’urgence sanitaire. Parmi ces mesures figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes et des véhicules. Toutefois ce pouvoir de police spéciale ne fait pas obstacle à ce que, pour assurer la sécurité et la salubrité publiques le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Toutefois, la légalité de mesures plus restrictives est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées par l’existence de circonstances locales particulières« .
Il convient de souligner que le juge des référés ne fait pas état d’une obligation pour le maire d’exercer son pouvoir de police générale qu’il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Les termes « ne font pas obstacle » semblent ainsi signifier que le maire n’est pas privé de cette possibilité si et seulement si des « circonstances locales particulières » l’exigent.
Au cas présent : l’arrêté du maire imposant un couvre-feu ne peut être justifié par les « entorses » à l’arrêté anti-rassemblements du préfet
Si le maire peut en principe exercer son pouvoir de police générale, ses décisions en la matière doivent respecter plusieurs conditions pour être légales. Elles doivent notamment être justifiées au regard du but poursuivi et de circonstances locales particulières.
L’ordonnance rendue ce 3 avril 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil est particulièrement intéressante en ce qu’elle traite de la question de l’articulation entre le pouvoir de police du préfet et celui du maire.
Pour défendre la légalité de l’arrêté de police contesté, la commune a fait état « des entorses » aux mesures prises nationalement :
« 8. En l’espèce, l’arrête contesté interdit le déplacement et la circulation des personnes sur l’ensemble du territoire de la commune entre 19 heures et 6 heures du matin, cette interdiction ne s’appliquant pas aux personnels intervenant pour des missions de service public. La commune fait valoir les difficultés de la situation sanitaire dans le département de la Seine-Saint-Denis et les entorses aux mesures de confinement et de distanciation sociale qui seraient favorisées par l’ouverture tardive de certains commerces. »
D’où la question : le maire est-il tenu d’intervenir au titre de son pouvoir de police générale lorsque les mesures prises par l’Etat au titre de son pouvoir de police spéciale ne sont pas respectées ? En généralisant : la violation d’une règle de droit démontre-t-elle la légalité d’une autre règle de droit ?
Le motif avancé par la commune n’est pas apparu suffisant pour le juge des référés qui a souligné que le préfet de Seine-Saint-Denis est déjà intervenu par arrêté et que le défaut de respect de cet arrêt ne constitue pas une « circonstance particulière » :
« Toutefois, il est constant que le préfet a, par un arrête du 25 mars 2020, interdit l’ouverture notamment des débits de boisson après 21 heures sur l’ensemble du département de Seine-Saint-Denis afin de lutter contre les attroupements intempestifs de nature à favoriser la propagation de l’épidémie. Par ailleurs, la seule invocation générale du défaut de respect des règles du confinement dans la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ne saurait être regardée comme une circonstance particulière de nature à justifier une restriction à la liberté de circulation particulièrement contraignante, puisque prenant effet à partir de 19 heures, et ce alors même qu’aucune autre commune de ce département n’a pris de telles dispositions.«
Ce considérant est très intéressant : l’arrêté de police du maire n’est pas justifié au motif que l’arrêté du préfet ne serait pas respecté. La violation de l’arrêté du préfet ne constitue pas une « circonstance particulière » de nature à démontrer la légalité de l’arrêté de police municipale.
Au passage, le juge des référés prend soin de noter qu’aucune autre commune n’a pris une décision semblable.
Les précédents : les ordonnances de référé des tribunaux administratifs de Guadeloupe et de Caen
Les juges des référés d’autres tribunaux administratifs se sont d’ores et déjà prononcés sur la légalité des arrêtés de police pris par des maires pour réduire les effets de l’épidémie de covd-19.
- Par une ordonnance n°2000294 du 27 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a suspendu l’exécution de plusieurs arrêtés municipaux par lesquels des maires ont interdit temporairement l’accostage et le débarquement de passagers de tout navire de commerce et de plaisance.
Ce juge des référés a tout d’abord jugé que le maire est au nombre des autorités compétentes pour agir contre la propagation de l’épidémie mais à certaines conditions :
« 2. Dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, les autorités administratives compétentes, dont les maires en vertu de leur pouvoir de police générale, peuvent être amenées à prendre, en vue notamment de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir ou la liberté de réunion, doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.«
Il a ensuite :
- suspendu l’exécution des arrêtés des 17 et 18 mars 2020 par lesquels les maires des communes de Capesterre de Marie-Galante, de Grand-Bourg et de Saint-Louis ont interdit temporairement l’accostage et le débarquement de passagers de tout navire de commerce et de plaisance.
- enjoint aux communes de Capesterre de Marie-Galante, de Grand-Bourg et de Saint-Louis, dans un délai de 48 heures, de permettre l’organisation et le maintien d’au moins une rotation maritime journalière de nature à garantir la circulation de personnes entre MarieGalante et le reste de la Guadeloupe.
Cette ordonnance est intéressante car elle témoigne de ce que le juge des référés entend procéder à un contrôle cas par cas et n’interdit pas, de manière générale, aux maires d’exercer leur pouvoir de police générale en période d’urgence sanitaire.
- Par une ordonnance n°2000711 du 31 mars 2020, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Caen a suspendu l’exécution de l’arrêté n°1035 du 25 mars 2020 par lequel le maire de Lisieux a interdit la circulation des personnes sur l’ensemble du territoire de la commune, après 22 heures et avant 5 heures, à compter du 27 mars et jusqu’au 31 mars 2020.
A l’identique du juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe, celui du tribunal administratif de Caen a également jugé que le maire peut faire usage de son pouvoir de police générale, à la condition que les mesures prises à la condition « soient justifiées par l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public ou de circonstances particulières au regard de la menace d’épidémie ».
Arnaud Gossement
Avocat associé – Cabinet Gossement Avocats
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