Préjudice écologique : le Sénat vote la création d’une obligation de réparation du « dommage grave et durable à l’environnement » (Loi biodiversité)

Jan 19, 2016 | Environnement

Dans le cadre de l’examen en séance publique du projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », le Sénat a adopté, ce 19 janvier 2016, un article 2 bis destiné à inscrire une notion proche de celle de « préjudice écologique » dans le code civil. Analyse.

L’article 2 bis du projet de loi, dans sa rédaction actuelle, est ainsi rédigé :

« Le titre IV bis du livre III du code civil est complété par un titre IV ter ainsi rédigé :
« TITRE IV TER
« DE LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DES ATTEINTES À L’ENVIRONNEMENT

« Art. 1386-19. – Toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer.

« Art. 1386-20. – La réparation du dommage à l’environnement s’effectue prioritairement en nature.

« Lorsque la réparation en nature du dommage n’est pas possible, la réparation se traduit par une compensation financière versée à l’État ou à un organisme désigné par lui et affectée, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État, à la protection de l’environnement.

« Art. 1386-21. – Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, en éviter l’aggravation ou en réduire les conséquences peuvent donner lieu au versement de dommages et intérêts, dès lors qu’elles ont été utilement engagées. »

Il convient de préciser que ce texte a, en réalité, été adopté en commission. En séance publique ce sont les termes « grave et durable » qui ont été ajoutés par amendement. Cet article appelle les observations suivantes.

En premier lieu, il n’est, à mon sens, pas démontré qu’il soit pertinent de créer un nouveau régime de responsabilité environnementale, non dans le code de l’environnement mais dans le code civil. L’argument selon lequel le code civil conserverait une charge historique et symbolique plus importante n’est sans doute pas suffisant au regard des inconvénients liés à cet éclatement du droit de l’environnement en plusieurs codes.

La mobilisation du code civil est, ici, d’autant plus sujette à débat, que le code de l’environnement comporte déjà un Titre VI au sein de son Livre VI consacré à la prévention et à la réparation des dommages causés à l’environnement. Le régime juridique de la responsabilité environnementale serait décrit dans deux codes avec les risques de confusion et de contradiction que cela peut entraîner.

En deuxième lieu, cet article 2 bis a été voté au motif qu’il importerait d’inscrire la notion de « préjudice écologique » dans la loi. Toutefois, en son état actuel de rédaction, il n’est pas certain que cet article 2 bis fasse état du préjudice écologique. Cet article 2 bis est dépourvu d’une définition nécessaire du contenu qu’il entend attribuer à la notion de « dommage à l’environnement ».

Le préjudice écologique « pur » est une catégorie de dommages causés à l’environnement qui se caractérise par le fait qu’il peut être constitué alors même qu’aucun préjudice personnel et direct n’aurait été causé à une personne morale ou physique. Le seul dommage causé à l’environnement lui-même suffit à ce que le préjudice écologique soit caractérisé. Or, l’article 2 bis précité vise le dommage causé à l’environnement en général sans préciser s’il vise le préjudice écologique en particulier. A ce titre, sa rédaction est imprécise et en possible redondance sinon contradiction avec celle de l’article L.161-1 du code de l’environnement qui comporte déjà une définition du dommage causé à l’environnement.

En troisième lieu, le Sénat propose d’insérer les termes « grave et durable » dans le projet d’article 1386-19 du code civil, qui serait alors ainsi rédigé : « Toute personne qui cause un dommage grave et durable à l’environnement est tenue de le réparer. » La mention « grave et durable », loin de simplifier la tâche du juge et des parties au procès, peut appeler de longs débats sur ce qu’est un dommage « grave et durable ». Surtout, cette mention des termes « grave et durable » a manifestement pour objet de réduire par avance la portée d’une disposition que l’on souhaite pourtant introduire au sein du code civil. Un choix clair, surtout sur ce sujet, serait pourtant préférable pour que le droit soit lisible.

En quatrième lieu, et les débats parlementaires le démontrent – notamment les proposé de la ministre de l’écologie -, la consécration juridique du préjudice écologique suppose un débat juridique, scientifique et économique qui ne semble pas tout à fait abouti.

A titre d’exemple, l’article 1386_20 du code civil serait ainsi rédigé

« Art. 1386-20. – La réparation du dommage à l’environnement s’effectue prioritairement en nature.
« Lorsque la réparation en nature du dommage n’est pas possible, la réparation se traduit par une compensation financière versée à l’État ou à un organisme désigné par lui et affectée, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État, à la protection de l’environnement. »

Si le juge est saisi d’une demande de réparation d’un dommage à l’environnement sur ce fondement, il lui appartiendra donc de rechercher si celui-ci peut appeler une « réparation en nature ». Or, définir une mesure de réparation en nature sera sans aucun doute d’une très grande complexité scientifique. Dés, la question se pose de savoir de quelle manière, avec quels moyens et quelle expertise, le juge sera en capacité de définir des mesures nécessairement complexes pour assurer cette « réparation en nature ». Dans le même sens, de quelle manière, le juge devra-t-il apprécier si un dommage ne peut pas faire l’objet d’une réparation en nature et doit donc appeler une réponse sous forme de compensation financière versé à l’Etat ?

En conclusion, le fait que le législateur pour préciser le sens et la portée d’une nouvelle catégorie de préjudice – le préjudice écologique pur – d’ores et déjà consacrée par la jurisprudence, est sans doute utile. Toutefois, la rédaction adoptée par le Sénat ne peut qu’ouvrir un débat et non le fermer car elle demeure encore trop imprécise. Et je reste convaincu qu’il serait préférable de travailler aux dispositions sur la responsabilité environnementale d’ores et déjà insérées dans le code de l’environnement. 

Arnaud Gossement

Cabinet d’avocats Gossement

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