Qu’est ce qu’un déchet ? Retour sur la décision rendue ce 24 novembre 2021 (Conseil d’Etat, 24 novembre 2021, n°437105)

Déc 21, 2021 | Environnement

Par une décision n°437105 du 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat a précisé quels sont les critères de définition d’un déchet et à quelle condition celui-ci peut sortir de ce statut en cas d’utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable. Analyse.

I. Résumé

Par une décision n°437105 du 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat a précisé le contenu de la définition du déchet :

  • d’une part, le statut de déchet ne dépend pas de la question de savoir s’il correspond à une « substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue » ;
  • d’autre part, le déchet ne peut perdre ce statut que « si son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, est certaine »

Aux termes de cette décision du Conseil d’Etat et à notre sens :

  • le critère tiré du processus de production est écarté à la suite de l’évolution de la définition du déchet en droit positif.
  • le critère tiré de l’utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable du déchet devra être apprécié au cas par cas, en fonction du dispositif juridique applicable au déchet concerné

II. Commentaire

Cette décision du Conseil d’Etat présente deux intérêts :

  • d’une part, elle permet d’accorder la définition jurisprudentielle du déchet avec son évolution en droit positif. Il souligne l’importance à accorder au caractère certain et sans transformation préalable de l’utilisation ultérieure du déchet.
  • d »autre part et cependant, cette décision démontre aussi la grande complexité du sujet. Le maniement du critère tiré du l’utilisation ultérieure et sans transformation préalable du décret suppose un examen au cas par cas, non seulement du cadre juridique de ce déchet en particulier (s’il existe) mais aussi des circonstances particulières de fait qui sont présentée par son détenteur.

III. Rappel des faits et de la procédure

La société X exerce une activité d’achat et de vente en gros de pneus neufs et d’occasion. Elle exploite également un entrepôt de stockage de pneus usagés.

Le 3 juin 2016, la préfète de C, par un arrêté du 3 juin 2016 pris sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, a

  • mis en demeure cette société de régulariser sa situation en déposant une déclaration au titre de la rubrique n° 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, accompagnée d’une demande d’agrément prévu par l’article R. 543-145 du même code
  • et lui a interdit, à titre transitoire, de réceptionner et d’exporter des déchets de pneumatiques tant qu’elle n’aurait pas procédé à cette régularisation.

La société X a formé un recours tendant à l’annulation de cet arrêté du 3 juin 2016.

Par un jugement du 10 juillet 2017, le tribunal administratif de Dijon a rejeté le recours de la société X

Par un arrêt du 22 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté préfectoral du 3 juin 2016. La cour a en effet jugé au cas d’espèce que, la réutilisation des pneumatiques étant certaine, ces derniers ne pouvaient pas être qualifiés de déchets :

« 9. La seule circonstance que les pneus collectés par la société X ont été acquis par elle auprès de détenteurs tels que des garages ou des centres de véhicules hors d’usage, ne suffit pas à leur conférer la qualité de déchet de pneumatique dès lors qu’elle ne détermine ni l’état d’usure des pneus et leur capacité à pouvoir rouler sans enfreindre la réglementation applicable ni, par suite, leur utilisation ultérieure sans transformation préalable. En achetant ces pneumatiques dans le but de les vendre comme pneus d’occasion en France ou en les exportant, la société X leur confère une utilisation qui peut être regardée comme certaine. »

La ministre de la transition écologique et solidaire a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon.

Par une décision n°437105 rendue le 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat a :

  • annulé l’arrêt de la cour administrative de Lyon du 22 octobre 2019 (article 1er)
  • rejeté l’appel de la société X contre le jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 juillet 2017

IV. L’évolution de la définition du « déchet » en droit positif

Le droit de l’Union européenne. La décision rendue ce 24 novembre 2021 par le Conseil d’Etat comporte tout d’abord un rappel des dispositions du droit de l’Union européenne et du droit interne relatives à la notion de déchet.

« 2. Aux termes de l’article 3 de la directive n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets,  » on entend par : 1)  » déchets  » : toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou a l’intention ou l’obligation de se défaire « . L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de cette directive, prévoit que constitue un déchet  » toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire « .

Ainsi, aux termes de cette double définition, le déchet est défini en fonction des critères suivants :

  • le critère relatif à la chose dont le déchet est issu. Le déchet procède ainsi d’un bien, une substance, un objet « ou plus généralement tout bien meuble »
  • le critère relatif à l’action de la personne qui créé le déchet : le « détenteur ». La création d’un déchet suppose que le détenteur du bien qui en est à l’origine : se défait, a l’intention de se défaire ou l’obligation de se défaire dudit bien. Il convient de souligner que la seule intention ou obligation de se défaire d’un bien meuble suffit à ce qu’il prenne le statut de déchet. Le détenteur du bien meuble devient alors le producteur du déchet issu du bien meuble.

En droit interne, l’article 1er de la la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux comportait la définition suivant, sensiblement différente de celle désormais en vigueur :

« Est un déchet au sens de la présente loi tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon« .

Dans ses conclusions sous l’arrêt précité du 24 novembre 2021 et sujet du présent commentaire, le rapporteur public a pris soin de souligner l’évolution du droit positif. L’article L.541-1 du code de l’environnement précisait, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des déchets :

« II. – Est un déchet au sens du présent chapitre tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon.« 

Aux termes de cette définition, le déchet était qualifié – à l’article L.541-1 du code de l’environnement – en fonction des critères suivants :

  • le critère tiré du processus dont est issu le déchet : « résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation« .
  • le critère tiré de la matière dont est issu le déchet : « toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble »
  • le critère tiré de la décision du détenteur : « abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon. »

Les deux premiers critères, relatifs à la provenance du décret sont alternatifs : le déchet peut procéder :

  • soit d’un résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation ;
  • soit de toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble.

L’ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 a déplacé la définition du déchet, de l’article L.541-1 à l’article L.541-1-1 nouvellement créé. La définition est elle-même a été modifiée :

« Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ; « 

Le déchet n’est donc plus défini en fonction du critère tiré du processus de production, de transformation ou d’utilisation dont il peut être issu mais uniquement en fonction : du critère tiré de la matière dont il provient et du critère tiré de l’intention ou de l’obligation de son détenteur de s’en défaire.

Le premier des trois critères de définition du décret (depuis la loi du 15 juillet 1975) a donc été supprimé, le deuxième a été conservé et le troisième a été modifié. La définition en vigueur depuis 2010 est ainsi plus large.

NB : Les dispositions précitées comportent la définition générale du déchet. L’arrêt ici commenté et rendu le 24 novembre 2021 par le Conseil d’Etat a trait à une situation spécifique : la définition du déchet lorsqu’il est issu de l’exploitation d’une installation classée (ICPE).

V. L’abandon du critère de définition du déchet tiré du processus de production

La jurisprudence du Conseil d’Etat de 2011 à 2021. Le Conseil d’Etat ne va pas immédiatement tirer toutes les conséquences de cette modification de la définition du déchet par l’ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010, à l’article L.541-1-1 du code de l’environnement, lorsque le déchet provient d’une installation classée pour la protection de l’environnement. Il est très important de bien souligner que nous discutons ici de la définition du déchet en relation avec la police des ICPE.

Par une décision n°324728 du 26 juillet 2011 le Conseil d’Etat a en effet jugé que, « pour l’application de la législation relative aux installations classées« , un déchet est « toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine » :

« Considérant, en second lieu, que pour l’application de la législation relative aux installations classées, doit être regardée comme déchet toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine ; qu’en jugeant que l’activité de fabrication d’un amendement organique de la Société L. relevait de la rubrique n° 167 c de la nomenclature des installations classées au seul motif qu’entrait dans la composition du produit fini une solution de sulfate d’ammonium qui était un sous-produit de l’industrie chimique, sans rechercher si la réutilisation de cette substance, possible sans transformation préalable, était certaine, de sorte qu’elle échapperait à la qualification de déchet, la cour administrative d’appel de Douai a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; »

Aux termes de ce considérant, le Conseil d’Etat définit le déchet en fonction des critère suivants dans la situation précise suivante : « pour l’application de la législation relative aux installations classées ».

  • le critère tiré du processus dont est issu le déchet : « toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue » ;
  • le critère de la matière dont provient le déchet : « toute substance« 
  • le critère de l’utilisation ultérieure du déchet : « à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine »

Par un arrêt n°348912 rendu le 1er mars 2013, le Conseil d’Etat a jugé dans le même sens :

« 5. Considérant, en premier lieu, que la seule circonstance qu’une substance puisse être réutilisée ne fait pas obstacle à sa qualification de déchet au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement ; que doit être regardée comme déchet au sens de cette législation toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine ;« 

Ce considérant fait de nouveau référence à « toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue ».

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 22 octobre 2019. Dans la présente affaire, l’arrêt rendu le 22 octobre 2019 par la cour administrative d’appel de Lyon fait état d’une définition du déchet conforme à celle également retenue par le Conseil d’Etat depuis 2011 (cf. CAA Lyon, 22 octobre 2019, n°17LY03461) :

« 7. Pour l’application de la législation en cause, doit être regardé comme déchet toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine. »

Les conclusions du rapporteur sous l’arrêt rendu le 24 novembre 2021 par le Conseil d’Etat. Monsieur Stéphane Hoynck a principalement consacré ses conclusions à la question du critère tiré de l’utilisation ultérieure du déchet. Il a toutefois souligné l’évolution du droit positif s’agissant du critère tiré du processus de production, désormais abandonné :

« Mais la définition du déchet issue de la loi de 1975, en principe au demeurant cantonnée au chapitre du code de l’environnement relatif à la prévention et à la gestion des déchets, a évolué : l’article L 541-1 définissait auparavant le déchet comme « tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon ». La définition nouvelle figure désormais à l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, un déchet est défini comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il l’intention ou l’obligation de se défaire ». On voit bien que la définition retenue est désormais plus large, elle est fidèle à l’évolution des textes au niveau communautaire comme nous allons le redire dans un instant. » (je souligne)
Il convient également de souligner que le rapporteur public a eu le souci de distinguer la finalité de la police des ICPE de celle de la police des déchets pour justifier cette élargissement de la définition du déchet :
« La finalité de la police des déchets et celle des ICPE se rejoignent en effet en partie sans se confondre.

La police des ICPE tend à prévenir les désordres que peuvent causer certaines installations, en encadrant l’ouverture et le fonctionnement de ces installations.
La police des déchets comporte quant à elle un volet important pour prévenir la constitution de déchets et assurer la réutilisation de ceux-ci. En qualifiant le déchet, on cherche à établir les obligations d’un détenteur qui ne se confondent pas avec celle d’un exploitant d’ICPE.« 

En d’autres termes, une définition plus large du déchet aurait ainsi pour but de contribuer à en prévenir la création.

La décision du Conseil d’Etat du 24 novembre 2021. Par l’arrêt rendu ce 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat a jugé que la définition du déchet ne dépend plus de ce qu’il n’ait pas été recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu :

« 3. En estimant, pour annuler l’arrêté litigieux, que des pneumatiques ne pouvaient pas être regardés comme des déchets s’ils n’avaient pas été recherchés comme tels dans le processus de production dont ils sont issus, alors que l’article L.541-1-1 précité du code de l’environnement se borne à définir le déchet comme un bien dont son détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire, la cour a entaché sa décision d’une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition écologique et solidaire est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque. »

Le motif pour lequel le Conseil d’Etat écarte de la définition du déchet le critère tiré du processus de production tient donc bien à ce que le droit positif – soit l’article L.541-1-1 du code de l’environnement ne le mentionne plus. L’arrêt objet du pourvoi est annulé au motif que la cour administrative d’appel de Lyon a défini la notion de déchet en fonction d’un critère qui n’existe plus en droit positif. La Haute juridiction règle alors l’affaire au fond.

VI. La précision par le Conseil d’Etat du critère tiré de l’utilisation ultérieure du déchet : un déchet demeure un déchet si une réutilisation n’est pas certaine

Le deuxième apport de la décision rendue ce 24 novembre 2021 tient à la précision du contenu du critère relatif à l’utilisation ultérieure du déchet.

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 22 octobre 2019. L’arrêt n° 17LY03461 du 22 octobre 2019 rendu par la cour administrative d’appel de Lyon et objet du pourvoi en cassation qui a donné lieu à l’arrêt ici commenté comportait une définition du déchet, conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat. Aux termes de cette définition, le déchet perd cette qualité de déchet lorsque son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, est certaine :

« 7. Pour l’application de la législation en cause, doit être regardé comme déchet toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine. »

Aux termes de cette définition générale, il est important de souligner que l’utilisation ultérieure du déchet doit 1. réalisée sans transformation préalable 2. être certaine.

A la suite de cette définition générale, la cour en a opéré une déclinaison pour la filière des déchets de pneumatiques. Elle s’est prononcée sur la qualité de déchet de pneumatique. Selon la cour, un pneu usagé est un déchet de pneumatique lorsque, en raison de son état usagé, il ne peut faire l’objet d’une utilisation ultérieure sans transformation préalable :

« 8. Aux termes de l’article R. 314-1 du code de la route :  » Les pneumatiques, à l’exception de ceux des matériels de travaux publics, doivent présenter sur toute leur surface de roulement des sculptures apparentes. / Aucune toile ne doit apparaître ni en surface ni à fond de sculpture des pneumatiques. / En outre, ceux-ci ne doivent comporter sur leurs flancs aucune déchirure profonde. /(…) La nature, la forme, l’état et les conditions d’utilisation des pneumatiques et autres dispositifs prévus par le présent article sont déterminés par arrêté du ministre chargé des transports. « . L’arrêté du 29 juillet 1970 pris pour l’application de ces dispositions dispose à son article 3 que :  » Les pneumatiques destinés à être montés sur les voitures particulières doivent comporter un indicateur d’usure de la bande de roulement qui permette de signaler de façon visuelle que les rainures principales du pneumatique n’ont plus qu’une profondeur de 1,6 mm. A… indicateur d’usure doit être constitué par des bossages situés à l’intérieur des rainures principales. « . Son article 9.1 prévoit que :  » Les pneumatiques des véhicules (…) doivent présenter, pendant toute leur utilisation sur route, dans les rainures principales de la bande de roulement, une profondeur d’au moins 1,6 millimètre. « . Il résulte de ces dispositions qu’un pneumatique dont l’état physique ne remplit pas les conditions prévues par celles-ci doit être considéré comme un déchet de pneumatique puisque son utilisation, en tant que tel, est prohibée et que sa réutilisation éventuelle nécessite une transformation préalable. » (je souligne)

Par application de cette définition aux faits de l’espèce, la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les pneus litigieux ne pouvaient être qualifiés de déchets au motif qu’ils pouvaient faire l’objet d’une utilisation ultérieure :

« 9. La seule circonstance que les pneus collectés par la société A. ont été acquis par elle auprès de détenteurs tels que des garages ou des centres de véhicules hors d’usage, ne suffit pas à leur conférer la qualité de déchet de pneumatique dès lors qu’elle ne détermine ni l’état d’usure des pneus et leur capacité à pouvoir rouler sans enfreindre la réglementation applicable ni, par suite, leur utilisation ultérieure sans transformation préalable. En achetant ces pneumatiques dans le but de les vendre comme pneus d’occasion en France ou en les exportant, la société A. leur confère une utilisation qui peut être regardée comme certaine.

10. Par suite, ainsi que l’a relevé à bon droit que tribunal administratif de Dijon, la préfète de la Côte-d’Or ne pouvait légalement fonder l’arrêté litigieux sur la qualité des détenteurs de pneus auprès desquels la société A. avait acquis ces pneumatiques. » (je souligne).

Par sa décision rendue ce 24 novembre 2021 par le Conseil d’Etat a, à l’inverse jugé, que ces pneus sont bien des déchets. En premier lieu, le Conseil d’Etat souligne que le seul fait qu’un déchet soit « susceptible » de faire l’objet d’une réutilisation économique (vente) ne suffit pas à sortir du statut de déchet :

« 7. En premier lieu, il résulte de l’instruction que la société A. acquiert les pneus usagés qu’elle revend auprès de centres de véhicules usagés et de garages, qui s’en défont auprès d’elle. Ces pneus acquièrent ainsi, en application des dispositions de l’article L 541-1-1 du code de l’environnement citées au point 2, la qualité de déchets, la circonstance qu’ils aient une valeur commerciale et soient susceptibles de donner lieu à une réutilisation économique étant à cet égard inopérante. » (je souligne)

A l’inverse de la cour administrative d’appel de Lyon, le Conseil d’Etat estime donc qu’un déchet ne perd pas cette qualité au seul motif qu’il a une valeur commerciale et peut être revendu. Ceci ne démontre pas le caractère certain de l’utilisation ultérieure et sans transformation préalable d’un déchet.

La question qui se pose alors est la suivante : dans quels cas peut-on alors s’assurer qu’un déchet fera l’objet d’une « utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable » ?

Malheureusement, l’arrêt du Conseil d’Etat ici commenté ne tranche pas définitivement cette question. La Haute juridiction se borne en effet à constater que la preuve de cette l’objet d’une « utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable » n’est pas rapportée au cas d’espèce.

Le Conseil d’Etat juge :

  • que les pneus stockés par la société A. n’ont pas fait l’objet de la certification prévue à l’article R. 543-164 du code de l’environnement :
  • que cette société ne dispose pas de l’agrément lui permettant de procéder à cette certification par elle-même.

Conclusion : la société ne démontre pas que les pneus qu’elle stocke feront l’objet d »une « utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable« . Ils ont donc bien le statut de déchets. L’arrêt précise

« 9. Il ne résulte pas de l’instruction que les pneus stockés par la société A. aient fait l’objet de la certification prévue à l’article R. 543-164 du code de l’environnement avant de lui être cédés, ni que cette société dispose de l’agrément nécessaire pour y procéder par elle-même. Dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les pneus usagés qu’elle stocke seraient dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation dans l’usage initial, sans transformation ou réhabilitation préalable, et qu’ils auraient ainsi perdu la qualité de déchets.« 

Conséquence : les pneus usagés conservent leur statut de déchets et leur stockage relève de la police des installations classées. C’est donc à bon droit que la préfète a enjoint à la société A. qui stocke ces déchets, de régulariser sa situation en procédant à une déclaration au titre de la police des ICPE :

« 10. Dès lors qu’il n’est pas contesté que leur volume total excédait le seuil de 100 m3 fixé par la rubrique n° 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, applicable au stockage des déchets de pneumatiques, c’est à bon droit que la préfète de la C. a enjoint à cette société de régulariser sa situation en procédant à la déclaration correspondante, accompagnée d’une demande d’agrément pour la collecte et le stockage des déchets de pneumatiques, et lui a interdit, à titre transitoire et dans l’attente de cette régularisation, de collecter et d’exporter des déchets de pneumatiques. Par suite, la société X n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement du 10 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté de la préfète de la C. du 3 juin 2016.« 

Les conclusions du rapporteur public. Pour éclairer cette analyse du Conseil d’Etat, il est intéressant de se reporter aux conclusions sous cet arrêt du rapporteur public, M Stéphane Hoynck sur le point précis de l’utilisation ultérieure du déchet.

Le rapporteur public cite ici l’arrêt « Tronex » rendu le 4 juillet 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne :

« Dans un arrêt Tronex du 4 juillet 2019 aff C-624/17, la CJUE relevait (pt22) qu’il « convient de prêter une attention particulière à la circonstance que l’objet ou la substance en question n’a pas ou n’a plus d’utilité pour son détenteur, de sorte que cet objet ou cette substance constituerait une charge dont celui-ci chercherait à se défaire. Si tel est en effet le cas, il existe un risque de voir le détenteur se défaire de l’objet ou de la substance en sa possession d’une manière susceptible de causer un préjudice à l’environnement, notamment en l’abandonnant, en le rejetant ou en l’éliminant d’une manière incontrôlée. En relevant de la notion de « déchet », au sens de la directive 2008/98, cet objet ou cette substance est soumis aux dispositions de cette directive, ce qui implique que la valorisation ou l’élimination de cet objet ou de cette substance devra être effectuée de manière à ce que la santé de l’homme ne soit pas mise en danger et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement ».

La cour précise le sens qu’il faut donner à la volonté de se défaire d’un objet ou d’une substance en ajoutant dans le même arrêt (pt 24) « Il ne serait aucunement justifié de soumettre aux exigences de la directive 2008/98, (…) des biens, des substances ou des produits que le détenteur entend exploiter ou commercialiser dans des conditions avantageuses, indépendamment d’une quelconque opération de valorisation. Cependant, eu égard à l’obligation de procéder à une interprétation large de la notion de « déchet », il convient de considérer que seules sont ainsi visées les situations dans lesquelles la réutilisation du bien ou de la substance en question est non pas seulement éventuelle, mais certaine. »

En combinant la définition du déchet en droit interne (article L.541-1-1 du code de l’environnement), son interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt Tronex du 4 juillet 2019 aff C-624/17) mais aussi le dispositif réglementaire relatif (article R. 543-156 et s du code de l’environnement), le rapporteur public parvient à la conclusion selon laquelle un déchet ne peut sortir du statut de déchet qu’à la condition que sa réutilisation soit certaine, conformément à ce que le droit prévoit pour cette réutilisation :

« Il nous semble donc qu’en estimant que la réutilisation des pneus dans leur usage initial était certaine s’agissant de pneus récupérés auprès de garages ou de centres de véhicules hors d’usage, alors qu’une telle réutilisation implique une traçabilité des pneumatiques considérés comme propres à être réutilisé, la cour a commis une erreur de droit, puisque seul ce marquage permet de rendre certain la réutilisation comme pneu d’occasion, et qu’à défaut, l’intention du détenteur qui les a cédé de s’en défaire est acquise, ce critère de la volonté de se défaire de l’objet ou de la substance étant centrale dans la définition du déchet. »
Le rapporteur public a donc proposé que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon objet du pourvoi soit annulé au motif que la cour avait retenu que le déchet pouvait sortir de son statut de déchet en présence d’une simple hypothèse de réutilisation. Cette réutilisation doit être certaine : « Vous retiendrez donc l’erreur de droit de la cour, qui ne pouvait s’en tenir à des considérations tenant à la qualité physique des pneus et à l’intention de l’entreprise de les revendre comme pneu d’occasion pour estimer qu’ils ne constituaient pas des déchets pneumatiques« .
Le Conseil d’Etat suivra les conclusions de son rapporteur public de la manière suivante :
« 9. Il ne résulte pas de l’instruction que les pneus stockés par la société A. aient fait l’objet de la certification prévue à l’article R. 543-164 du code de l’environnement avant de lui être cédés, ni que cette société dispose de l’agrément nécessaire pour y procéder par elle-même. Dès lors, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que les pneus usagés qu’elle stocke seraient dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation dans l’usage initial, sans transformation ou réhabilitation préalable, et qu’ils auraient ainsi perdu la qualité de déchets.« 
Ainsi, l’état des pneus et le souhait de les revendre ne sont pas des éléments démontrant l’utilisation ultérieure certaine et sans transformation préalable. La société A. stocke bien des déchets de pneumatiques et doit donc régulariser sa situation au regard de la police des ICPE.

Arnaud Gossement

Avocat associé – Docteur en droit

Professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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