Urbanisme : effets de l’annulation contentieuse d’un refus de permis de construire au regard de la naissance d’une autorisation implicite (Conseil d’Etat)

Jan 21, 2019 | Environnement

Par une décision du 28 décembre 2018 mentionnée aux Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a précisé sa jurisprudence relative aux effets de l’annulation contentieuse d’un refus de permis de construire, lorsqu’elle est assortie d’une injonction de réexamen de la demande.

I. Sur le contexte juridique

Les effets de l’annulation contentieuse d’un refus de permis de construire font l’objet d’une jurisprudence fournie, en l’absence de réglementation claire sur ce point.

Cristallisation des règles d’urbanisme. Les conséquences de l’annulation contentieuse figurent à l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme, s’agissant des modalités de cristallisation des règles d’urbanisme.

En vertu de cette règle, tout pétitionnaire qui voit son refus de permis de construire définitivement annulé par une juridiction peut solliciter la cristallisation des règles d’urbanisme à la date de la décision annulée, sous réserve que la demande de permis de construire soit confirmée dans un délai de six mois.

« Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire « .

C’est sur le fondement de ces dispositions que la pratique de la  » confirmation  » de la demande de permis de construire s’est systématisée.

Evolution jurisprudentielle. Alors que la jurisprudence antérieure était incertaine, le Conseil d’Etat a néanmoins posé le principe dérogatoire selon lequel une confirmation de la demande n’est pas requise lorsque l’annulation contentieuse du refus de permis de construire est assortie d’une injonction de réexamen de la demande :

« que lorsqu’une juridiction, à la suite de l’annulation d’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol, fait droit à des conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de réexaminer cette demande, ces conclusions aux fins d’injonction du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale ; que, par suite, la condition posée par l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme imposant que la demande ou la déclaration soit confirmée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire doit être regardée comme remplie lorsque la juridiction enjoint à l’autorité administrative de réexaminer la demande présentée par le requérant ; que, dans un tel cas, l’autorité administrative compétente doit, sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que le pétitionnaire ne dépose pas une demande d’autorisation portant sur un nouveau projet, réexaminer la demande initiale sur le fondement des dispositions d’urbanisme applicables à la date de la décision annulée, en application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme » (cf. CE, 23 février 2017, M. et Mme Néri et SARL Côte d’Opale, n° 395274).

Autrement dit, dans cette hypothèse, l’administration est tenue de procéder à une nouvelle instruction de la demande, sans que le pétitionnaire ne soit tenu de confirmer sa demande. Le pétitionnaire bénéficie également de la cristallisation des règles d’urbanisme sans confirmation de la demande et sans condition de délai.

En pratique, cette décision a conduit les pétitionnaires placés dans cette situation à ne plus confirmer leur demande de permis de construire.

La question s’est néanmoins posée de savoir si une décision implicite intervenait, dans l’hypothèse où le pétitionnaire n’aurait pas confirmé sa demande et l’autorité administrative ne prendrait pas de décision dans un sens déterminé à l’issu du délai légal. Pour rappel, le code de l’urbanisme fixe un délai d’instruction de trois mois pour les demandes de permis de construire (cf. article R. 423-23 du code de l’urbanisme) et le silence gardé à l’issue de ces trois mois vaut acceptation tacite (cf. article R. 424-1 du même code).

Cette question avait d’ailleurs fait l’objet d’une question parlementaire (cf. question écrite n° 05632 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat du 14/06/2018, page 2916).

II. Sur la décision commentée

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat complète sa jurisprudence, en précisant qu’aucune décision implicite ne naît du silence gardé de l’administration, en l’absence de confirmation de la demande de permis de construire :

« 13. Il résulte de ces dispositions que l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir de la décision qui a refusé de délivrer un permis de construire, ou qui a sursis à statuer sur une demande de permis de construire, impose à l’administration, qui demeure saisie de la demande, de procéder à une nouvelle instruction de celle-ci, sans que le pétitionnaire ne soit tenu de la confirmer. En revanche, un nouveau délai de nature à faire naître une autorisation tacite ne commence à courir qu’à dater du jour de la confirmation de sa demande par l’intéressé. En vertu des dispositions, citées au point 12, de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme, la confirmation de la demande de permis de construire par l’intéressé fait courir un délai de trois mois, à l’expiration duquel le silence gardé par l’administration fait naître un permis de construire tacite » (cf. CE, 28 décembre 2018, Ass. du Vajra Triomphant Mandarom Aumisme (VTMA), n° 402321).

Ainsi, un nouveau délai de nature à faire naître un permis tacite ne peut courir qu’à compter du jour de la confirmation expresse de la demande, et ce, alors même que le juge ayant annulé une première décision de refus aurait enjoint à l’administration de se prononcer à nouveau sur la demande initiale dans un délai déterminé.

Au cas d’espèce, le pétitionnaire bénéficiait d’un jugement annulant le sursis à statuer opposé par le maire de la commune de Castellane, assorti de l’injonction au maire de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois. Le Conseil d’Etat a jugé qu’en l’absence de confirmation de la demande de permis de construire, le pétitionnaire ne pouvait se prévaloir d’un permis de construire tacite.

Il convient de relever que cette décision confirme l’arrêt rendu, en appel, par la Cour administrative d’appel (cf. CAA Marseille, 9 juin 2016, Association du Vajra triomphant Mandarom Aumisme, n° 13MA02652). A cette occasion, le rapporteur public avait relevé que le bénéficiaire du jugement peut uniquement saisir le juge de l’exécution si l’autorité compétente ne respecte pas l’injonction qui lui a été faite et ne peut se prévaloir de la procédure distincte fixée par le code de l’urbanisme :

« La nature de la saisine n’est donc pas la même et elle implique des procédures bien distinctes. L’une est codifiée, elle suit un processus clair fixé par les dispositions du code de l’urbanisme. L’autre est juridictionnelle : si le maire n’exécute pas l’injonction du TA, le bénéficiaire du jugement peut saisir le juge de l’exécution, sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, qui peut notamment fixer une astreinte et préciser un nouveau délai. Le jugement donne en effet droit à la partie gagnante à ce que l’administration lui donne une réponse effective, expresse, à sa demande et c’est tout. Dans une hypothèse comme la nôtre, le demandeur n’a pas droit à une réponse nécessairement positive.
En conséquence, et en toute logique, rien dans cette procédure ne lui permet d’être titulaire d’une décision positive tacite en cas de non-respect du délai fixé par le premier juge ». (ccl. Frédéric Salvage).

Le rapporteur public a également rappelé une jurisprudence ancienne, récemment réaffirmée, selon laquelle « l’annulation au contentieux d’un refus expressément opposé à une demande relevant du régime d’acceptation tacite doit obligatoirement être suivie d’une nouvelle saisine, pour que l’écoulement du temps puisse faire naître in fine une décision tacite d’acceptation  » (cf. CE, 8 avril 2015, Mme Verrier, n° 365804, et CE 9 décembre 2015, Commune d’Asnières-sur-Nouère, n° 390273)

Cette décision qui s’explique d’un point de vue juridique interroge néanmoins sur le terrain pratique. Concrètement, les pétitionnaires qui bénéficient d’une annulation contentieuse assortie d’une injonction de réexaminer la demande devront à nouveau confirmer leur demande de permis de construire, afin de se prémunir du non-respect des injonctions juridictionnelles.

Margaux Caréna

Avocate Gossement Avocats

Vous avez apprécié cet article ? Partagez le sur les réseaux sociaux :

Découvrez le cabinet Gossement Avocats

Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d’excellence :
droit de l’environnement, droit de l’énergie, droit de l’urbanisme, tant en droit public qu’en droit privé.

À lire également

Solaire / Dérogation espèces protégées : la présomption irréfragable de la raison impérative d’intérêt public majeur ne dispense pas de la preuve de l’absence de solution alternative satisfaisante (Tribunal administratif d’Orléans)

Solaire / Dérogation espèces protégées : la présomption irréfragable de la raison impérative d’intérêt public majeur ne dispense pas de la preuve de l’absence de solution alternative satisfaisante (Tribunal administratif d’Orléans)

Par un jugement n°2402086 du 13 février 2025, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté par lequel un préfet a délivré, au porteur d'un projet de centrale solaire, une autorisation de déroger à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Ce jugement...

Solaire : une serre photovoltaïque constitue « un espace clos et couvert » dont le permis de construire est soumis à étude d’impact préalable, si elle a vocation à demeurer le plus souvent fermée et à faire obstacle au passage (Conseil d’Etat)

Solaire : une serre photovoltaïque constitue « un espace clos et couvert » dont le permis de construire est soumis à étude d’impact préalable, si elle a vocation à demeurer le plus souvent fermée et à faire obstacle au passage (Conseil d’Etat)

Par une décision n°487007 du 25 février 2025, le Conseil d'Etat a jugé qu'une serre photovoltaïque constitue "un espace clos et couvert" dont le permis de construire est soumis à étude d'impact préalable, si, eu égard à sa nature et à sa fonction, elle a vocation à...

Découvrez le cabinet Gossement Avocats

Notre Cabinet

Notre valeur ajoutée :
outre une parfaite connaissance du droit, nous contribuons à son élaboration et anticipons en permanence ses évolutions.

Nos Compétences

Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d'excellence :
droit de l'environnement, droit de l'énergie, droit de l'urbanisme, tant en droit public qu'en droit privé.

Contact

Le cabinet dispose de bureaux à Paris, Rennes et intervient partout en France.