Climat : confirmation de la portée juridique réduite des objectifs de lutte contre le changement climatique (CAA Nancy, 29 décembre 2022, n°20NC02931 et n°20NC02933)

Jan 4, 2023 | Environnement

Par deux arrêts n°20NC02931 et n°20NC02933 rendus le 29 décembre 2022, la cour administrative d’appel de Nancy a jugé que, si « l’impératif général de réduction de la dépendance des énergies fossiles » énoncé par la loi du 17 août 2015 et l’accord de Paris constitue un « objectif permanent de l’Etat« , il n’autorise pas la ministre chargée de l’écologie à refuser la délivrance de permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures au titre du code minier à une société de droit privé. Ces arrêts confirment la portée juridique réduite des objectifs et engagements de lutte contre le changement climatique tels qu’ils procèdent notamment de l’accord de Paris adopté, le 12 décembre 2015, lors de la COP21. Analyse. 

Résumé

1. Par deux arrêts n°20NC02931 et n°20NC02933 rendus le 29 décembre 2022, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé l’illégalité des décisions par lesquelles la ministre chargée de l’écologie a refusé la délivrance de permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures au titre du code minier à des sociétés de droit privé.

2. La cour administrative d’appel de Nancy a notamment considéré que la ministre ne pouvait pas se fonder sur « l’impératif général de réduction de la dépendance des énergies fossiles » énoncé par la loi du 17 août 2015 et l’accord de Paris. Cet  constitue un « objectif permanent » qui ne s’impose qu’à l’Etat, aux collectivités territoriales et leurs groupements.

3. Ces arrêts confirment la portée juridique réduite des objectifs et engagements de lutte contre le changement climatique tels qu’ils procèdent notamment de l’accord de Paris adopté, le 12 décembre 2015, lors de la COP21.

Commentaire

A titre liminaire, il convient de formuler les observations suivantes avant d’étudier, d’une part le texte, d’autre part la manière dont les deux arrêts rendus ce 29 décembre 2022 par la cour administrative d’appel de Nancy s’insèrent dans la jurisprudence administrative relative à la nature et à la valeur juridiques des objectifs de lutte contre le changement climatique.

En premier lieu, la nature juridique exacte de l’objectif de « lutte contre le changement climatique » n’est pas, en droit, très précise.

  • En droit de l’environnement, cet objectif constitue, en réalité, un « engagement » pour contribuer à la réalisation d’un autre objectif, celui de « développement durable ». L’article L.110-1 du code de l’environnement dispose en effet « III. – L’objectif de développement durable, tel qu’indiqué au II est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants : 1° La lutte contre le changement climatique ; (…) ». Dans le contentieux dit « affaire du siècle » et par un jugement en date du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a identifié une « obligation générale de lutte contre le changement climatique » à la charge de l’Etat. 
  • En droit de l’énergie, cet objectif est une « urgence ». Ainsi, l’article L.100-1 A, dans sa rédaction issue de la loi « climat et résilience » n°2021-1104 du 22 août 2021 dispose : « I.-Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique. » De même, l’article L.100-4 du même code précise « I.-Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : (…)« 

En deuxième lieu, l’objectif de lutte contre le changement climatique peut être formulé de plusieurs manières, en droit positif ou dans la jurisprudence. On peut ainsi identifier « l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre« , « l’objectif de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre« , « l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète« , ou bien encore « l’objectif de limitation du réchauffement climatique ». Cet objectif de lutte contre le changement est à son tour composé de sous-objectifs sectoriels destinés à en assurer la réalisation. En droit interne, ces « sous-objectifs » sont principalement énoncés aux articles L.100-1 A et suivants du code de l’énergie. C’est donc tout cet ensemble d’objectifs et de sous-objectifs que nous réunirons au moyen de l’expression « objectifs de lutte contre le changement climatique ». 

En troisième lieu, il convient de procéder aux distinctions suivantes :

En quatrième lieu, la portée des stipulations des conventions de droit international est limitée, en raison leur absence d’effet direct. Et ce, de manière générale et non pas uniquement pour la matière climatique (cf. pour un exemple récent : CE, 19 avril 2022, n°451727). Reste que les objectifs tels que définis en droit interne sont également appréciés comme étant « généraux » et de peu d’effets, par le juge administratif. 
Aux termes des arrêts ici commentés et rendus le 29 décembre 2022, la cour administrative d’appel de Nancy a adopté une interprétation restrictive de l’objet exact de l’objectif de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles, tel que défini par la loi du 17 août 2015 mais aussi de l’accord de Paris du 12 décembre 2015. Ces deux textes ont, à notre sens, un objet qui ne se borne pas à l’augmentation de la part des énergies renouvelables, aussi important cet objectif soit-il.
Toutefois, ces deux arrêts confirment que le juge administratif reconnaît une portée juridique réduite aux objectifs de lutte contre le changement climatiques tels que définis en droit international (CCNUCC et accord de Paris) et en droit interne.

I. Sur l’analyse de « l’objectif permanent de réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles » par la cour administrative d’appel de Nancy, en particulier
Dans ces deux affaires, la cour administrative d’appel de Nancy était saisie de recours tendant à l’annulation, en appel, des jugements du 22 juillet 2020 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions par lesquelles la ministre chargée de l’écologie avait refusé la délivrance, à deux sociétés, de permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux.
Dans ces deux affaires, la ministre chargée de l’écologie a soutenu que ses décisions étaient fondées sur « l’objectif de réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles, notamment consacré par la loi du 17 août 2015 relative à la transition écologique » lequel « implique nécessairement une réduction de l’extraction des ressources fossiles et la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer a pu, à bon droit, prendre en compte, dans le cadre du pouvoir d’appréciation qui était le sien, ce contexte juridique nouveau pour refuser le titre sollicité« .
Très exactement, les deux arrêts rendus ce 29 décembre 2022 par la cour administrative d’appel de Nancy précisent (point 4) que la ministre s’est prévalue « de la politique énergétique volontariste de la France »  qui procéderait de deux textes : « la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte » et les « accords de Paris sur le climat ».

Les arrêts précisent en effet :

« 4. Pour refuser la délivrance du permis de recherches d’hydrocarbures sollicité, la ministre a retenu, par sa décision du 2 avril 2017, que le projet serait contraire à la politique énergétique volontariste de la France traduite, notamment, par les objectifs et orientations retenus dans la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et par l’adoption des accords de Paris sur le climat.(…).« 
Or, pour la cour administrative d’appel de Nancy, la ministre ne pouvait pas refuser ces demandes de permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux sur le fondement des dispositions de la loi du 17 août 2015 ou « des accords de Paris sur le climat » : 

« Si l’impératif général de réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles constitue, aux termes des dispositions précitées, un objectif permanent de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements dans la définition des politiques publiques, ni les accords de Paris sur le climat, ni la loi du 17 août 2015, qui se borne à fixer des orientations et des objectifs généraux, n’ont eu pour objet ou pour effet d’interdire toute délivrance de permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux, mais tendent seulement à l’augmentation progressive de la part des énergies renouvelables. Par suite, la ministre ne pouvait rejeter la demande de la société X.au seul motif que le projet méconnaissait la politique énergétique volontariste de la France traduite dans les dispositions de la loi du 17 août 2015 et par l’adoption des accords de Paris sur le climat.« 

En raison d’une rédaction assez complexe, il est précieux de décomposer le raisonnement suivi par la cour au point 4 de ces deux arrêts. 
En premier lieu, la cour administrative d’appel de Nancy a admis l’existence d’un « impératif général de réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles » qui procède de la loi du 17 août 2015 et des accords de Paris sur le climat. S’agissant de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, celle-ci, selon la cour, « se borne à fixer des orientations et des objectifs généraux ».

En deuxième lieu, cet « impératif général » constitue un « objectif permanent » qui  ne s’impose qu’à l’Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements. Cet « objectif permanent » ne s’impose donc pas aux personnes privées que sont, par exemple, les entreprises.Il s’impose aux personnes publiques mais avec, au surplus, un objet limité. 
Il convient de rappeler que, dans le contentieux dit « affaire du siècle » et par un jugement en date du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a identifié, sur le fondement des articles 2 de la CCNUCC et de l’accord de Paris, une « obligation générale de lutte contre le changement climatique » à la seule charge de l’Etat.

En troisième lieu, l’objet de cet « objectif permanent » est réduit puisqu’il ne s’applique aux personnes publiques précitées pour la seule « définition des politiques publiques ». Plus encore, l’incidence de cet objectif pour la définition des politiques publiques est très réduit puisque la réduction de la dépendance à l’égard des énergies fossiles ne passerait, selon la cour administrative d’appel de Nancy, que par une « augmentation progressive de la part des énergies renouvelables » et non par une interdiction de la délivrance de permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux.
Sur ce point précis, il est possible de douter que la loi du 17 août 2015 et l’accord de Paris de décembre aient un objet aussi réduit. Et il est possible que la cour administrative d’appel de Nancy aurait eu un raisonnement différent si les décisions refus litigieuses avaient été adoptées postérieurement à la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement.
En quatrième lieu et en conclusion : la ministre chargée de l’écologie ne pouvait pas, légalement, refuser la délivrance de permis exclusifs de recherche d’hydrocarbures sur le fondement de la loi du 17 août 2015 et des accords de Paris sur le climat.

II. Sur l’analyse des objectifs de lutte contre le changement climatique par le juge administratif, en général

Les deux arrêts rendus ce 29 décembre 2022 par la cour administrative d’appel de Nancy correspondent au mouvement général de la jurisprudence administrative qui tend à accorder une portée juridique réduite aux objectifs de lutte contre le changement climatique. L’étude cette jurisprudence administrative démontre

  • d’une part, un éclatement des objectifs de lutte contre le changement climatique.
  • d’autre part, que ces objectifs ont une portée juridique réduite. Qu’ils soient inscrits en droit international ou en droit interne, ils n’engagent que l’Etat et les collectivités territoriales et ce, de manière assez générale.

A. Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Sur l’objectif « facteur 4 » de réduction des émissions de gaz à effet de serre, inscrit à l’article L.100-4 du code de l’énergie. Dans une affaire relative à une demande de suspension, en référé, de l’autorisation environnementale en vue de l’exploitation de la centrale électrique devant être implantée au lieu-dit Larivot sur le territoire de la commune de Matoury en Guyane, le Conseil d’Etat a, par une décision n°455465 du 10 février 2022 précisé que cet objectif ne doit être pris en compte que lors de la délivrance des seules autorisations d’exploiter visées à l’article L.311-5 du code de l’énergie et non par les autorisations environnementales visées à l’article L.181-3 du code de l’environnement : 
« 4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la prise en compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie est prévue pour les autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité par l’article L. 311-5 du code de l’énergie et pour les autorisations environnementales lorsqu’elles tiennent lieu d’une telle autorisation en application de l’article L. 181-3 du code de l’environnement. Il en va en revanche différemment pour les autorisations environnementales qui ne tiennent pas lieu d’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité.« 

Sur « l’objectif gouvernemental de maîtrise des rejets de gaz à effet de serre ». Dans une affaire relative à la déclaration d’utilité publique des travaux de construction de la chute du Rizzanèse, le Conseil d’Etat a rendu une décision datée du 10 novembre 2006 qui fait état de  « l’objectif gouvernemental de promotion des énergies renouvelables et de maîtrise des rejets de gaz à effet de serre« . Cet objectif n’est toutefois mentionné que pour décrire les motifs des auteurs en faveur de la réalisation du projet litigieux : 

« elle s’inscrit dans le cadre de l’objectif gouvernemental de promotion des énergies renouvelables et de maîtrise des rejets de gaz à effet de serre ; (..) » (cf. Conseil d’Etat, 10 novembre 2006, n°275013 – recours contre la déclaration d’utilité publique des travaux d’aménagement de la chute du Rizzanèse en Corse-du-Sud).

Sur le « principe » relatif au « respect des engagements nationaux et internationaux de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre », inscrit dans la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009. Statuant sur le recours en annulation de la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le Conseil d’Etat a jugé que cette loi comporte des « principes » relatifs notamment aux émission de gaz à effet de serre : 

« 10. Considérant, en premier lieu, que les articles 1er, 7, 10 et 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement énoncent divers principes tels que la nécessité de privilégier les solutions respectueuses de l’environnement en apportant la preuve qu’une décision alternative plus favorable à l’environnement est impossible à un coût raisonnable, la lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles et la contribution de la politique des transports au développement durable et au respect des engagements nationaux et internationaux de la France en matière d’émissions de gaz à effet de serre et d’autres polluants ; que dès lors que ces dispositions, qui sont contenues dans une loi de programmation et se bornent à fixer des objectifs généraux à l’action de l’Etat en matière de développement durable, sont par elles-mêmes dépourvues de portée normative, elles ne peuvent être regardées comme pouvant faire légalement obstacle à la réalisation de l’opération litigieuse » (cf. Conseil d’Etat, 17 octobre 2013, n°358633 – recours contre la déclaration d’utilité publique du projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes)

Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet, inscrit dans la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009. Le Conseil d’Etat a jugé que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé par la loi « Grenelle 1 » du 3 août 2009 est dépourvu de portée normative :

« 8. La loi du 3 août 2009 énonce notamment l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau national et prévoit également la prise en compte, par le droit de l’urbanisme, de l’objectif de lutte contre la régression des surfaces agricoles et naturelles. De telles dispositions, prises sur le fondement de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution relatif aux lois de programmation, se bornent à fixer des objectifs à l’action de l’Etat et sont, dès lors, dépourvues de portée normative. Elles ne peuvent, par suite, être utilement invoquées à l’encontre de la décision attaquée. » (cf. Conseil d’État, 18 juin 2014, n°357400 – recours contre une autorisation commerciale).

Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre inscrit dans la convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de l’accord de Paris. Par une décision n°427301 rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’État a rappelé que les dispositions de la CCNUCC et de l’accord de Paris sont dépourvus d’effet direct. Elles doivent simplement « prises en considération » par l’Etat dans l’interprétation des dispositions de droit national relatives à la lutte contre le changement climatique : 
« 12. Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’Union européenne et la France, signataires de la CCNUCC et de l’accord de Paris, se sont engagées à lutter contre les effets nocifs du changement climatique induit notamment par l’augmentation, au cours de l’ère industrielle, des émissions de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines, en menant des politiques visant à réduire, par étapes successives, le niveau de ces émissions, afin d’assumer, suivant le principe d’une contribution équitable de l’ensemble des Etats parties à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, leurs responsabilités communes mais différenciées en fonction de leur participation aux émissions acquises et de leurs capacités et moyens à les réduire à l’avenir au regard de leur niveau de développement économique et social. Si les stipulations de la CCNUCC et de l’accord de Paris citées au point 9 requièrent l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers et sont, par suite, dépourvues d’effet direct, elles doivent néanmoins être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national, notamment celles citées au point 11, qui, se référant aux objectifs qu’elles fixent, ont précisément pour objet de les mettre en oeuvre. » (cf. Conseil d’État, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe, n°427301) (nous soulignons).

Sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’obligation pour l’Etat de respecter la trajectoire permettant sa réalisation. Aux termes du jugement du 3 février 2021 intervenu dans l’affaire dite « affaire du siècle », le tribunal administratif a opposé à l’Etat, non pas directement cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais la « trajectoire » que l’Etat s’était lui-même engagé à respecter par voie réglementaire (budget carbone) : 
« (…) la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué. » (nous soulignons).

B. Sur « l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète« , de l’accord de Paris du 12 décembre 2015

Pour le Conseil d’Etat, les stipulations de l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, qui définissent notamment un « objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète » ne font pas obstacle à la réalisation d’un projet autoroutier : 

« 5. Considérant que les stipulations du paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New-York le 22 avril 2016, énoncent que les Etats parties à cet accord  » cherchent à parvenir « , en vue d’atteindre l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète,  » au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite (…)  » ; que ces stipulations, par elles-mêmes, n’ont pas pour portée de faire obstacle à la réalisation du projet litigieux ; » (cf. Conseil d’Etat, 4 décembre 2017, n°407206 – recours contre la déclaration d’utilité publique du projet d’autoroute A45 Lyon – Saint-Etienne) (nous soulignons).

Par une décision n°417362 rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat a jugé que « ni les dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte relatives notamment à la limitation des émissions de gaz à effet de serre, ni les dispositions du code de l’environnement relatives aux plans climat-air-énergie territoriaux, ni les stipulations du paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016 »  ne font obstacle à tout nouveau projet de construction d’autoroute :

« 57. Si l’étude d’impact environnementale conclut à une augmentation des émissions de CO2, induites par la mise en service de l’infrastructure, estimées à 50 000 tonnes par an par rapport à l’état initial, ni les dispositions de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte relatives notamment à la limitation des émissions de gaz à effet de serre, ni les dispositions du code de l’environnement relatives aux plans climat-air-énergie territoriaux, ni les stipulations du paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016, aux termes duquel les Etats parties  » cherchent à parvenir « , en vue d’atteindre l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète,  » au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite (…) « , n’ont, en tout état de cause, pour objet de faire obstacle par principe à tout nouveau projet de construction d’autoroute, dont l’incidence nette prévisible, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, doit être prise en considération au titre du bilan qui détermine son caractère d’utilité publique. » (cf. Conseil d’Etat, 19 novembre 2020, n°417362 – recours contre la déclaration d’utilité publique des travaux de construction du contournement routier Est de Rouen)
Dans une autre affaire également relative à la légalité d’une déclaration d’utilité publique de les travaux de création d’une liaison routière à 2 × 2 voies, le Conseil d’Etat a, par une décision n°438686 du 30 décembre 2021, jugé que cet objectif et les engagements pris pour sa réalisation n’ont pas n’ont pas pour objet de faire obstacle par principe à tout nouveau projet de construction d’autoroute :
« 23. En premier lieu, s’il est soutenu que le décret attaqué méconnait les engagements pris par la France au titre de l’Accord de Paris sur le climat, adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016, les stipulations du paragraphe 1 de son article 4 aux termes duquel les Etats parties  » cherchent à parvenir « , en vue d’atteindre l’objectif de température à long terme contenant l’élévation de la température moyenne de la planète,  » au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (…) et à opérer des réductions rapidement par la suite (…)  » n’ont pas pour objet de faire obstacle par principe à tout nouveau projet de construction d’autoroute. Le moyen tiré de leur méconnaissance ne peut donc, en tout état de cause, qu’être écarté. »

C. Sur « l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique »

Le Conseil d’Etat a employé cette expression dans la rédaction de sa décision n°421004 relative à la portée de la loi « Hulot » sur l’interdiction d’extraction des hydrocarbures. Il a ainsi jugé que « l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique » peut, tout au plus, justifier que le législateur adopte certaines mesures pour réduire la production d’hydrocarbures sur le territoire français : 

« 6. A cet égard, en adoptant la mesure limitant au 1er janvier 2040 la durée des concessions de mines d’hydrocarbures, le législateur a entendu, ainsi qu’il ressort des travaux parlementaires préparatoires à la loi du 30 décembre 2017, poursuivre l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique et contribuer à respecter les engagements internationaux souscrits par la France au titre de l’Accord de Paris sur le climat. Si la société requérante soutient que la production d’hydrocarbures sur le territoire français a un impact environnemental beaucoup plus limité que leur importation et leur consommation en France, il ressort des pièces du dossier que la limitation du temps des concessions, eu égard à la très longue durée de validité des titres autorisant la recherche et l’exploitation des hydrocarbures sous l’empire de la législation antérieure à la loi du 30 décembre 2017, peut contribuer à permettre d’atteindre l’objectif poursuivi. Par ailleurs, si la société requérante soutient que l’article L. 111-12 porte une atteinte disproportionnée aux droits des opérateurs miniers dès lors qu’il ne distingue pas selon que l’usage des hydrocarbures est énergétique ou non énergétique, il ressort des pièces du dossier que l’objectif de lutte contre le changement climatique suppose de limiter l’exploitation des réserves d’hydrocarbures fossiles, quel que soit leur usage. » (cf. Conseil d’Etat, 18 décembre 2019, n°421004 – Loi Hulot sur hydrocarbures).

En conclusion, les objectifs de lutte contre le changement climatique, tels que définis en droit international et en droit interne ont une portée encore assez réduite. Au mieux, il imposent une obligation générale à l’Etat de respecter ses propres engagements pour parvenir à une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ils sont cependant dépourvus d’effet direct et l’administration ne peut, directement, les opposer à une personne privée. Pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le changement climatique, un travail d’harmonisation des différentes formulations de ces objectifs et de précision de leur nature et de leur valeur juridique serait sans doute le bienvenu.

Arnaud Gossement
avocat – professeur associé à l’université Paris I

Vous avez apprécié cet article ? Partagez le sur les réseaux sociaux :

Découvrez le cabinet Gossement Avocats

Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d’excellence :
droit de l’environnement, droit de l’énergie, droit de l’urbanisme, tant en droit public qu’en droit privé.

À lire également

Découvrez le cabinet Gossement Avocats

Notre Cabinet

Notre valeur ajoutée :
outre une parfaite connaissance du droit, nous contribuons à son élaboration et anticipons en permanence ses évolutions.

Nos Compétences

Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d'excellence :
droit de l'environnement, droit de l'énergie, droit de l'urbanisme, tant en droit public qu'en droit privé.

Contact

Le cabinet dispose de bureaux à Paris, Rennes et intervient partout en France.