En bref
[colloque] 17 octobre 2025 : intervention d’Arnaud Gossement à la IXème édition des Journées Cambacérès sur « Justice et Environnement » organisées par la Cour d’appel et la Faculté de droit de Montpellier
[webinaire] 23 octobre 2025 – Procédure et contentieux de l’autorisation environnementale : ce qu’il faut savoir
Me Florian Ferjoux, élu au conseil d’administration d’Enerplan, le syndicat des professionnels du solaire
[jurisprudence cabinet] Biogaz : une unité de stockage de digestat issu d’une unité de méthanisation permet de limiter l’usage d’engrais chimiques et est nécessaire à l’activité agricole (tribunal administratif de Nantes)
Climat : l’Etat est sur la bonne trajectoire pour respecter des objectifs…obsolètes (Conseil d’Etat, 24 octobre 2025, commune de Grande-Synthe, n°467982)
Par une décision n°467982 en date du 24 octobre 2025, le Conseil d’Etat a définitivement « tourné la page » du contentieux « Commune de Grande-Synthe », après six années de procédure et quatre décisions juridictionnelles. Une décision « décevante » comme l’avait anticipé le rapporteur public, rendue quelques jours après que le ministère de l’écologie a reconnu « un net ralentissement dans le rythme de réduction de nos émissions par rapport à 2023 (-6,8 %) et 2024 (-1,8 %), sensiblement en-deçà de la trajectoire attendue pour atteindre une réduction de 50 % d’émissions brutes en 2030 par rapport à 1990″. Une décision qui révèle les limites du contrôle opéré par le juge de l’exécution chargé de vérifier le respect d’une trajectoire dépassée vers un objectif obsolète de réduction des émissions de gaz à effet de serre puis d’analyser les mesures prises par l’Etat à partir, principalement, de données fournies par l’Etat lui-même. Paradoxalement, cette décision ne constitue pas nécessairement un satisfecit pour les gouvernements successifs, chargés d’exécuter la décision rendue cette même Haute juridiction administrative, le 1er juillet 2021, en prenant les mesures nécessaires au respect de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La décision qui vient d’être rendue par le Conseil d’Etat démontre aussi, en creux, que ces gouvernements n’ont pas pris les mesures nécessaires pour atteindre le nouvel objectif de réduction de 50% de nos émissions de gaz à effet de serre. Commentaire.
Commentaire général
Cette décision du Conseil d’Etat est décevante et le rapporteur public lui-même – M. Nicolas Agnoux – avait anticipé cette déception dés les premières lignes de ses conclusions : « Quelle qu’en soit l’issue, cette nouvelle étape de l’affaire « Grande Synthe » devrait décevoir les attentes des acteurs et des commentateurs des contentieux climatiques, et sans doute apparaître comme une queue de comète dans la constellation de décisions majeures rendues au cours des dernières années par les plus hautes juridictions nationales et internationales« .
Une décision décevante car le juge de l’exécution a été ici contraint de vérifier si le Gouvernement a pris les mesures requises pour respecter une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec la réalisation d’un objectif de réduction de 40% entre 1990 et 2030. Or, cet objectif est dépassé et est désormais de 50%.
Une décision décevante car elle clôt ce contentieux sur le constat – discutable – selon lequel le Gouvernement a pris et prendra des mesures qui peuvent permettre « raisonnablement » de penser que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre sera respecté. Une décision qui témoigne d’une confiance peut-être excessive du juge de l’exécution dans la capacité du Gouvernement, a fortiori dans un contexte de grande instabilité gouvernementale et de « backlash écologique » à continuer de prendre des mesures pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Une décision rendue quelques jours après que le ministère de l’écologie a publié un communiqué en date du 10 octobre 2025, précisant que le rythme de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre ralentit, au risque de mettre « en risque l’atteinte des objectifs climatiques de la France ». Le communiqué précise : « Le Citepa, organisme indépendant qui calcule les émissions de gaz à effet de serre de la France, publie aujourd’hui son estimation provisoire des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France pour le premier semestre 2025, en baisse de 0,6 % par rapport à la même période en 2024. Pour l’ensemble de l’année 2025, l’estimation prévisionnelle actualisée du Citepa s’établit à – 0,8 % par rapport à 2024. Cette prévision marque un net ralentissement dans le rythme de réduction de nos émissions par rapport à 2023 (-6,8 %) et 2024 (-1,8 %), sensiblement en-deçà de la trajectoire attendue pour atteindre une réduction de 50 % d’émissions brutes en 2030 par rapport à 1990. Ces résultats contrastés doivent inciter l’ensemble des secteurs émetteurs de gaz à effet de serre à poursuivre et accroître leur mobilisation pour faire baisser de façon durable et significative les émissions de gaz à effet de serre de la France » (nous soulignons).
Une décision qui démontre aussi que le contentieux de l’exécution pose une question relative à l’expertise et à la preuve. La capacité des requérants – personnes privées ou collectivités territoriales – à produire des informations techniques sur un sujet scientifique complexe n’étant bien entendu pas celle de l’Etat. Or, la présente décision du Conseil d’Etat est principalement motivée par des données fournies par l’Etat. Si le sérieux des données scientifiques relatives au niveau des émissions est incontestables, leur exploitation pour vérifier la crédibilité des mesures à venir, y compris celles qui marquent une régression de l’engagement climatique, auraient mérité un débat contradictoire plus approfondi grâce à une expertise indépendante.
Une décision qui témoigne aussi, comme cela pouvait être anticipé, des limites de l’office du juge administratif qui ne peut pas, a fortiori au regard du principe de séparation des pouvoirs, avoir pour rôle de modifier le contenu des politiques publiques environnementales. Il ne peut que vérifier, sur une période limitée dans le temps, la crédibilité des mesures prises par l’Etat pour respecter ses propres engagements, y compris lorsque ces engagement ne sont pas assez ambitieux au regard des enjeux, comme cela était le cas en l’espèce.
Résumé
1. Par une décision n°427301 rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat a sursis à statuer sur la demande de la commune de Grande-Synthe tendant à l’annulation du refus implicite de prendre toute mesure utile permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national ».
4. Par une décision n°427301 rendue le 1er juillet 2021, le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022.
5. Par une décision n°467982, rendue le 10 mai 2023, le Conseil d’Etat a enjoint à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret n°2020-457 du 21 avril 2020 en vue d’atteindre les objectifs de réduction fixés par l’article L.100-4 du code de l’énergie et par l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024, et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant l’évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (article 2)
6. Par une décision n°467982 en date du 24 octobre 2025, le Conseil d’Etat a clôt ce contentieux de l’exécution. Il a en effet jugé :
- qu’à la date de la présente décision, « compte tenu des différentes mesures adoptées par le Gouvernement, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés, pour 2030, à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 à, respectivement, – 40 % par rapport à 1990 et – 37 % par rapport à 2005, peuvent être regardés comme raisonnablement atteignable » (point 15)
- qu’à la date de la présente décision « des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d’atteinte de ces objectifs comme respectée, les décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 doivent être regardées comme entièrement exécutées » (point 15)
- qu’il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte.
I. Les faits et la procédure
1. Par un recours enregistré le 23 janvier 2019, la Commune de Grande-Synthe et son maire ont – notamment – demandé au Conseil d’Etat d’annuler le refus du Président de la République et du Gouvernement de prendre des mesures pour réduire plus efficacement les émissions de gaz à effet de serre.
2. Par une décision n°427301 rendue le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat a rejeté plusieurs demandes de la Commune de Grande-Synthe mais a sursis à statuer sur la demande « tendant à l’annulation du refus implicite de prendre toute mesure utile permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national ». (cf. notre « questions/réponses » sur cette décision).
4. Par une décision n°427301 rendue le 1er juillet 2021, le Conseil d’Etat a :
- annulé le refus implicite du Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 ;
- enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 31 mars 2022.
5. Par une décision n°467982, rendue le 10 mai 2023, le Conseil d’Etat a :
- donné acte du désistement de sa demande d’exécution à la Fondation pour la nature et l’homme (article 1er)
- enjoint à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 en vue d’atteindre les objectifs de réduction fixés par l’article L.100-4 du code de l’énergie et par l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024, et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l’adoption de ces mesures et permettant l’évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (article 2)
- rejeté les conclusions à fin d’astreinte sont rejetées (article 3)
6. Par une décision n°467982 en date du 24 octobre 2025, le Conseil d’Etat a clôt ce contentieux de l’exécution. Il a en effet jugé
- qu’à la date de la présente décision, « compte tenu des différentes mesures adoptées par le Gouvernement, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés, pour 2030, à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 à, respectivement, – 40 % par rapport à 1990 et – 37 % par rapport à 2005, peuvent être regardés comme raisonnablement atteignable » (point 15)
- qu’à la date de la présente décision « des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d’atteinte de ces objectifs comme respectée, les décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 doivent être regardées comme entièrement exécutées » (point 15)
- qu’il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte.
II. Sur la solution retenue
La décision rendue ce 24 octobre 2025 par le Conseil d’Etat met en évidence les limites du contrôle de l’exécution de sa décision juridictionnelle du 1er juillet 2021 :
- D’une part, s’agissant de la finalité du contrôle : non seulement, le Conseil d’Etat ne contrôle pas directement le respect d’un objectif mais celui d’une trajectoire mais, en outre, il prend en considération une trajectoire dépassée puisque définie à partir d’un objectif obsolète (A).
- D’autre part, s’agissant de l’objet du contrôle : le Conseil d’Etat est assez largement dépendant des données produites par l’Etat lui-même pour contrôler des mesures qui, pour certaines, n’ont pas encore été prises
A. Sur la limite du contrôle de l’exécution tenant à sa finalité
Il convient de rappeler, d’une part que l’objet du contrôle opéré par le Conseil d’Etat ne porte pas sur le respect de normes internationales ni même d’un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est bien un contrôle de la trajectoire qui a été réalisé (1) mais d’une trajectoire dépassée car définie en fonction d’un objectif obsolète (2).
1. Le contrôle d’une trajectoire, pas de l’objectif à atteindre
L’inopposabilité des objectifs internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les différentes décisions rendues de 2020 à 2025 et qui composent le contentieux « Commune de Grande-Synthe » ont permis au Conseil d’Etat de rappeler que les objectifs internationaux de lutte contre le changement climatique n’ont pas de valeur juridique contraignante au sens où ils sont privé d’effet direct : un requérant ne peut pas invoquer directement leur violation et demander à ce qu’ils soient opposés à l’Etat.
Aux termes de sa première décision n°427301 du 19 novembre 2020 (points 9 à 11 de la décision), le Conseil d’Etat a rappelé que les objectifs internationaux relatifs à la lutte contre le changement climatique sont dépourvus d’effet direct. Ils ne peuvent qu’être « pris en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national » qui ont précisément pour objet de décliner lesdits objectifs internationaux.
Pour le Conseil d’Etat, les objectifs de lutte contre le changement définis en droit international (convention climat de 1992 et accord de Paris) sont « dépourvus d’effet direct ». Ce qui signifie très concrètement qu’ils ne sont pas directement invocables devant le juge national au soutien d’un recours. Leur seul effet – assez réduit – est le suivant : il faut interpréter les dispositions de droit national en « prenant en considération » ces objectifs internationaux et européens. En d’autres termes, le Conseil d’Etat applique une jurisprudence constante depuis 2006 : une personne privée ne peut opposer à l’Etat ces objectifs au soutien d’un recours devant le juge administratif. Le point 18 de la décision datée du 19 novembre 2020 le confirme : les stipulations de l’Accord de Paris sont « dépourvues d’effet direct ».
L’opposabilité de la trajectoire de respect des objectifs européen et national de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La décision du Conseil d’Etat rendue ce 24 octobre 2025 est strictement conforme à cette jurisprudence et n’impose donc pas le respect de normes internationales ni même, directement, d’un objectif. Au demeurant, le Conseil d’Etat s’est borné à rappeler les objectifs de droit européen et interne – et non les stipulations d’accords internationaux – à partir desquels le gouvernement a défini une trajectoire. Une trajectoire dont le respect est au centre de ce contentieux « Commune de Grande-Synthe » dans ses deux temps : le temps du contrôle de légalité (2020-2021) et le temps du contrôle de l’exécution (2021-2025).
En premier lieu, le Conseil d’Etat a mentionné, au point 4 de sa décision, plusieurs textes relatifs à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. D’une part, l’article 4 du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 qui fixe à 37 %, pour la France, l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030, par rapport à leurs niveaux de 2005. D’autre part, l’article L.100-4 du code de l’énergie qui impose de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 mais aussi de respecter une trajectoire composée de budgets carbones.
En deuxième lieu, aux termes de la décision ici commentée, le Conseil d’Etat a rappelé les dispositions de plusieurs articles qui imposent le respect d’une trajectoire des émissions de gaz à effet de serre à partir de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre :
- L’article L. 222-1 A du code de l’environnement impose la définition, par décret d’un « budget carbone »par période consécutive de cinq ans.
- L’article L. 222-1 B du même code prévoit la publication d’une « stratégie bas-carbone », fixée par décret, pour définir la marche à suivre pour conduire la politique d’atténuation des émissions de gaz.
- L’article L. 110-1 A du code de l’énergie prévoit la publication de plusieurs instruments de planification dont la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.
- L’article 2 du décret du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone fixe les budgets carbone des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, respectivement, à 422, 359 et 300 Mt éqCO2 par an, hors émissions et absorptions associées à l’utilisation des terres, aux changements d’affectation des terres et à la foresterie, dit secteur « UTCATF ».
2. Le contrôle d’une trajectoire dépassée
Sur la date de l’objectif à prendre en compte. Le point 8 de la décision rendue ce 24 octobre 2025 témoigne de la limite du contrôle de l’exécution d’une décision juridictionnelle prise à l’issue d’un contrôle de légalité exercé par le juge administratif de l’excès de pouvoir. Il convient de rappeler que le juge de l’excés de pouvoir contrôle la légalité de la décision administrative qui lui est soumise, au regard du droit applicable à la date de ladite décision. Alors que le juge de plein contentieux contrôle la légalité (interne) de la décision administrative qui lui est soumise au regard du droit applicable à la date de sa décision juridictionnelle.
Ce dernier contrôle en effet le respect d’une trajectoire définie en fonction d’un objectif en vigueur au moment de la décision juridictionnelle dont l’exécution est contrôlée. Au cas d’espèce, la décision juridictionnelle dont l’exécution est contrôlée de 2021 à 2025 est celle rendue le 1er juillet 2021 par le Conseil d’Etat
Aux termes de ce point 8, le Conseil d’Etat a donc rappelé que les dispositions de l’article 4 du règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et fixant un nouvel objectif de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre fixé désormais à au moins 55% – et non plus 40% – en 2030 par rapport aux niveaux de 1990, sont entrées en vigueur le 30 juillet 2021, soit postérieurement à la décision n°427301 du 1er juillet 2021 du Conseil d’Etat. En conséquence, « le nouvel objectif européen et ses déclinaisons nationales ne peuvent être regardés comme applicables au présent contentieux d’exécution des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023. » Cette précision est réitérée au point 9 de la décision du 24 octobre 2025.
Il faut donc avoir présent à l’esprit cette limite très importante du contrôle de l’exécution exercé par le Conseil d’Etat. Le juge de l’exécution intervenant à la suite du juge de l’excès de pouvoir, l’objectif à prendre en compte pour définir la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre est un objectif dépassé à la date d’intervention du juge de l’exécution.
Sur les objectifs à prendre en compte pour vérifier la compatibilité de la trajectoire. Il convient de distinguer les objectifs intermédiaires des objectifs finaux à prendre en compte pour vérifier si l’Etat est bien sur la bonne trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La capacité de l’Etat a respecter une trajectoire de réduction vers ces deux catégories d’objectifs doit être appréciée au regard « au regard des différentes méthodes d’évaluation ou d’estimation disponibles ».
En premier lieu, aux termes du point 9 de la décision ici commentée, il appartient au juge administratif « d’examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées » (point 9 – nous soulignons)
En deuxième lieu, le juge administratif « doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l’efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d’évaluation ou d’estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut Conseil pour le climat, pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec les objectifs assignés à la France » (point 9 – nous soulignons).
En dernier lieu, le juge administratif doit « déterminer, dans une perspective dynamique et sans se limiter à l’atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d’annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l’action publique mises en oeuvre, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables » (point 9 – nous soulignons).
En dernier lieu, Si au terme de cette analyse, le juge de l’exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés
B. Sur la limite du contrôle de l’exécution tenant à son objet
Les modalités d’exercice du contrôle souffrent, à notre sens, de deux difficultés
- d’une part, le juge de l’exécution ne tient pas uniquement compte des mesures déjà prises mais aussi des mesures à venir, sans garantie véritable ni sur leur publication effective ni sur leurs effets (1) ;
- d’autre part, le juge de l’exécution ne
1. Sur les mesures à prendre en compte
Aux termes du point 9 de sa décision du 24 octobre 2025, le Conseil d’Etat a pris soin d’exposer sa grille d’analyse des mesures prises par le Gouvernement pour assurer l’exécution de sa décision du 1er juillet 2021. Ce point 9 précise, notamment, quelles sont, précisément, les mesures qui seront analysées.
D’une part, il s’agit des « mesures prises » mais aussi des « mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court« . Une fois ces mesures identifiées, reste à les analyser en fonction des critères suivants pour s’assurer que « les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints« . Sur ce point, il convient de souligner le caractère imprécis et incertain des termes « raisonnablement adoptées » a fortiori dans un contexte de grande instabilité gouvernementale. Au surplus la décision ne précise pas quelles sont les garanties qui auraient été apportées – et par qui – à la Haute juridiction pour que celle-ci accepte que les projets de mesures présentés seront « raisonnement adoptées ».
D’autre part, les mesures à étudier sont tout autant des mesures positives mais aussi négatives en termes d’émissions. Un peu plus loin, ce point 9 indique en effet que le juge administratif doit « prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d’engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions« . Reste que la décision tient surtout compte des mesures présentées par le Gouvernement comme « étant de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre ».
2. Sur les données à prendre en compte
Une fois la grise d’analyse présentée au point 9 de sa décision, le Conseil d’Etat a procédé à une réunion de données destinées à permettre de confronter les mesures présentées par le Gouvernement.
Ces données sont d’abord celles fournies par l’Etat et ses opérateurs :
- Le rapport annuel, dit » SECTEN « , publié en juin 2025 par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Le Conseil d’Etat déduit de ce rapport que les objectifs intermédiaires du deuxième et du troisième budget carbone ont été respectés : « Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’à la date de la présente décision, les objectifs intermédiaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tels qu’ils résultent du deuxième et du troisième budget carbone de la deuxième stratégie nationale bas-carbone, ont été respectés« .
- Les données recueillies lors de l’instruction et notamment lors de la séance orale d’instruction du 11 juillet 2025, à laquelle les parties et le Haut Conseil pour le climat ont participé selon lesquelles « le Gouvernement a, postérieurement à l’intervention des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 du Conseil d’Etat statuant au contentieux, adopté ou engagé un ensemble significatif et diversifié de mesures dans l’objectif d’accélérer le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie et des déchets, qu’il a accompagnées de la mise en oeuvre d’une territorialisation de la planification écologique ».
- Les données recueillies lors de l’instruction et qui démontrent que « des financements conséquents ont été alloués à l’ensemble de ces mesures, l’ensemble des investissements en faveur du climat ayant connu une hausse continue, passant d’environ 100 milliards d’euros en 2022 à 105 milliards d’euros en 2025« .
Les données analysées sont également celles fournies par les requérantes :
- Elles ont soutenu que des lois (Loi Duplomb) ou projets de lois (suppression du ZAN, assouplissement du ZAN) « favoriseraient une hausse des émissions ou remettraient en cause les mesures de réduction adoptées par le Gouvernement ». Toutefois, pour le Conseil d’Etat, « il ne résulte pas de l’instruction que l’entrée en vigueur de ces dispositions, à supposer même qu’elles soient toutes adoptées, aurait un effet significatif de nature à faire obstacle au respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre en cause dans le présent litige« .
- Elles ont également soutenu qu’un retard important a été pris dans l’entrée en vigueur de plusieurs textes destinés au pilotage des politiques publiques, en vue d’atteindre les objectifs qui, sans être applicables au présent litige, doivent être fixés au niveau national en application du règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 : la loi de programmation prévue à l’article L. 110-1 A du code de l’énergie, les troisièmes éditions de la stratégie nationale bas-carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Toutefois, pour le Conseil d’Etat, « il ne résulte pas de l’instruction que l’absence d’adoption, à la date de la présente décision, de ces différents textes visant à l’atteinte des nouveaux objectifs imposés par le règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 serait, par elle-même, de nature à remettre en question la complète exécution des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023″. Cette analyse du Conseil d’Etat relative à l’absence d’effets du défaut de publication de documents aussi stratégiques que la programmation plurianuelle de l’énergie, attendue depuis des années, est assez discutable et, en tout cas de cause, très peu motivée.
Conclusion
La décision rendue ce 24 octobre 2025 révèle le souci du Conseil d’Etat de clore ce contentieux « Commune de Grande-Synthe » après six années de procédure et quatre décisions juridictionnelles.
Elle révèle aussi les limites du contrôle opéré par le juge de l’exécution chargé de vérifier le respect d’une trajectoire vers un objectif obsolète de réduction des émissions de gaz à effet de serre puis d’analyser les mesures prises par l’Etat à partir de données fournies par l’Etat lui-même.
Paradoxalement, cette décision ne constitue pas nécessairement un satisfecit pour les gouvernements successifs, chargés d’exécuter la décision rendue cette même Haute juridiction administrative, le 1er juillet 2021 en prenant les mesures nécessaires au respect de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cette décision peut en effet être lue de deux manières :
- Stricto sensu, par cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que les mesures prises par le Gouvernement nous permettent de respecter la trajectoire qui doit nous mener à l’objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990 : « Il résulte de tout ce qui précède qu’à la date de la présente décision, compte tenu des différentes mesures adoptées par le Gouvernement, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés, pour 2030, à l’article L. 100-4 du code de l’énergie et à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 à, respectivement, – 40 % par rapport à 1990 et – 37 % par rapport à 2005, peuvent être regardés comme raisonnablement atteignables«
- Lato sensu, par cette décision, le Conseil d’Etat a aussi démontré, implicitement mais nécessairement, que le Gouvernement ne respecte pas la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui doit nous permettre de respecter le nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet qui n’est plus de 40% mais de 50%. Ou, plus précisément encore et en droit de l’UE : de 47,5% sur la période 2005-2030 et non plus de 37%.
Cette seconde lecture de la décision rendue ce 24 octobre 2025 par le Conseil d’Etat appelle cependant, à son tour, une nuance. Il serait en effet faux d’en déduire que l’Etat est le seul responsable de la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il importe de rappeler qu’aux termes de l’article L.100-4 du code de l’énergie, il s’agit là d’un objectif assigné à « la politique énergétique nationale » laquelle est définie par l’Etat mais n’est pas mise en oeuvre par ce dernier uniquement.
Arnaud Gossement
avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
A lire également :
Vous avez apprécié cet article ? Partagez le sur les réseaux sociaux :
Découvrez le cabinet Gossement Avocats
Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d’excellence :
droit de l’environnement, droit de l’énergie, droit de l’urbanisme, tant en droit public qu’en droit privé.
À lire également
Certificats d’économies d’énergie (CEE) : le décret n°2025-1048 relatif à la sixième période (« décret P6 ») a été publié au journal officiel
Le décret n°2025-1048 du 30 octobre 2025 relatif à la sixième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie a été publié au journal officiel du 4 novembre 2025. Pour mémoire, la sixième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie débutera...
Déchets : vers une taxe sur les emballages plastiques relevant d’une filière de responsabilité élargie du producteur ? (Loi de finances 2026)
Le Parlement examine actuellement le projet de loi de finances pour 2026. L'article 21 de ce texte, dont l’examen se poursuit en séance publique, comporte plusieurs mesures relatives au "verdissement" de la fiscalité applicable aux déchets. Parmi les mesures...
[médias] « Normes environnementales : peut-on espérer un choc de simplification ? » Arnaud Gossement invité de l’émission « Smart impact » sur Bsmart
Me Arnaud Gossement était l'invité de l'émission "Smart impact" présentée par Thomas Hugues sur la chaîne Bsmart. Une émission consacrée à certaines actualités du droit de l'environnement comme le greenwashing - à la suite du jugement rendu ce 23 octobre 2025 par le...
Chasse : l’association One Voice, défendue par Gossement Avocats, obtient la suspension en référé des décisions autorisant la chasse du Tétras-lyre et de la Perdrix bartavelle au sein des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence
Par ordonnances du 17 et du 23 octobre 2025, sur demandes de l’association One Voice et d’autres associations, le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a suspendu l’exécution des décisions autorisant la chasse du Tétras-lyre et de la Perdrix...
[médias] « Tornades : faut-il apprendre à vivre avec ? » Arnaud Gossement invité de France info TV, le 21 octobre 2025
Arnaud Gossement était l'un des invités de l'émission "Sur le terrain" présentée par Alban Mikoczy sur France Info TV. L'émission du 21 octobre 2025 était consacrée au phénomène des tornades, après que la ville d’Ermont dans le Val-d’Oise ait été balayée par l’une...
[Webinaire] 4 décembre 2025 – Certificats d’économies d’énergie (CEE) : le point sur le projet de décret relatif à la sixième période
Le cabinet organise, ce jeudi 4 décembre 2025 à 9h30, un webinaire (gratuit) consacré à l’actualité juridique des certificats d’économies d’énergie, en particulier du projet de décret relatif à la sixième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie,...
Découvrez le cabinet Gossement Avocats
Notre Cabinet
Notre valeur ajoutée :
outre une parfaite connaissance du droit, nous contribuons à son élaboration et anticipons en permanence ses évolutions.
Nos Compétences
Gossement Avocats est une référence dans ses domaines d'excellence :
droit de l'environnement, droit de l'énergie, droit de l'urbanisme, tant en droit public qu'en droit privé.
Contact
Le cabinet dispose de bureaux à Paris, Rennes et intervient partout en France.



![[médias] « Normes environnementales : peut-on espérer un choc de simplification ? » Arnaud Gossement invité de l’émission « Smart impact » sur Bsmart](https://www.gossement-avocats.com/wp-content/uploads/2025/10/bsmart-400x250.png)

![[médias] « Tornades : faut-il apprendre à vivre avec ? » Arnaud Gossement invité de France info TV, le 21 octobre 2025](https://www.gossement-avocats.com/wp-content/uploads/2025/10/france-info-400x250.png)
![[Webinaire] 4 décembre 2025 – Certificats d’économies d’énergie (CEE) : le point sur le projet de décret relatif à la sixième période](https://www.gossement-avocats.com/wp-content/uploads/2024/05/webina_20240531-084935_1.jpeg)