Convention citoyenne pour le climat: analyse des propositions relatives à la reconnaissance du crime d’écocide dans la loi 

Juin 18, 2020 | Environnement

Le projet de rapport soumis au vote des 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat reprend la proposition – récemment débattue à l’Assemblée nationale – de création d’un crime d’écocide. Analyse.

conve Le rapport prévoit plusieurs mesures visant à criminaliser les atteintes portées à l’environnement. Pour ce faire, le rapport comporte plusieurs propositions de mesures :

  • Inclure les neuf limites planétaires dans la loi
  • Pénaliser le crime d’écocide
  • Inclure le délit d’imprudence dans la loi
  • Inclure le devoir de vigilance dans la loi
  • Créer une autorité administrative indépendante chargée de veiller au respect et à l’application de cette loi.


1. Définition des neuf limites planétaires à ne pas dépasser 

Le rapport propose de retranscrire dans la loi les neuf limites planétaires telles que définies par le Ministère de la Transition Écologique et solidaire dans son rapport sur l’état de l’environnement. Ce concept de limite planétaire désigne les limites que l’humanité ne doit pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer afin de pouvoir vivre durablement dans un écosystème juste et sûr. 
Il existe neuf processus naturels qui régulent la stabilité de la biosphère et que le rapport prévoit de définir dans la loi :
• Le changement climatique
• L’érosion et la biodiversité
• La perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore
• Le changement d’utilisation des sols
• L’acidification des océans
• L’utilisation mondiale de l’eau
• L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique
• L’augmentation des aérosols dans l’atmosphère
• L’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère 
Ce concept relève d’une démarche scientifique. Il est déjà reconnu et adopté aux niveaux international et européen. Néanmoins, il ne fait l’objet d’aucun texte de loi. 


2. Le crime d’écocide 

2.1. Le droit positif. Le crime d’écocide n’est prévu, à ce jour, par aucun texte juridique tant au niveau national qu’international. Ce concept a néanmoins fait l’objet d’importants débats. 

Au niveau international, la création d’un nouveau crime contre l’humanité sur le modèle du génocide est très discutée. Pour le moment il n’existe pas de consensus de la communauté internationale à ce sujet. 

Au niveau national, une proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide a été déposée au Sénat le 19 mars 2019 par plusieurs membres du groupe socialiste et républicain Ce texte a été rejeté au Sénat, en commission puis en séance publique, le 2 mai 2019. 

Le 22 octobre 2019, une nouvelle proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide a été déposée à l’Assemblée nationale par M Christophe Bouillon et plus autres membres du groupe socialistes et apparentés. Ce texte a également été rejeté. 

La première proposait de définir le crime d’écocide de la manière suivante au sein du code pénal : « Art. 230-1. – Constitue un écocide le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population. » 

La seconde proposait une définition plus restrictive du crime d’écocide : « Art. 413-15. – Constitue un écocide toute action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. » Chacune de ces deux propositions prévoyaient des sanctions pénales. 

Ces propositions ont toutefois été critiquées, notamment par le Gouvernement, au motif du manque de précision et de clarté du texte proposé, de la complexité à rapporter une preuve de tous les éléments de la faute, du dommage et du lien de causalité ainsi que de la difficulté à identifier les véritables coupables de l’infraction. 

2.2. La proposition issue du rapport. Le rapport propose la définition du crime d’écocide suivante : 

« Constitue un crime d’écocide, toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. » 
Ainsi, pour que le crime d’écocide soit caractérisé plusieurs conditions doivent être réunies, à savoir :

  • Un élément matériel, à savoir l’existence d’un dommage écologique grave et participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires
  • Un élément moral, l’intention de dépasser les limites planétaires et donc de porter atteinte à l’environnement

On notera que le rapport reste silencieux sur les sanctions encourues en cas de commission de ce crime. Comme pour les définitions issues des propositions de loi précédentes, on peut douter de la précision et de la clarté du texte. Comment différencier un dommage écologique grave d’un dommage écologique « pas grave » ? Quels critères permettront de juger si l’action a dépassé manifestement et de manière non négligeable les limites planétaires ? Enfin, l’élément moral de l’infraction semble difficile à appréhender. Il faudra se demander si la ou les personne(s) physique(s) ou morale(s) avaient conscience des conséquences de leur action sur l’environnement. Le cas contraire, le juge devrait s’interroger sur le point de savoir si son ignorance était ou non légitime. 


3. Inclure le délit d’imprudence dans la loi Le rapport propose d’introduire une définition du délit d’imprudence dans la loi : 

« Constitue un délit d’imprudence caractérisé d’écocide, toute violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou un règlement ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires. » 
Les peines encourues sont différentes pour la société et ses dirigeants. Les dirigeants d’entreprises ou les personnes directement responsables du plan de vigilance encourt une amende et une peine d’emprisonnement. Quant à la société, elle encourt une peine d’amende correspondant à un pourcentage de son chiffre d’affaires. 

4. Inclure le devoir de vigilance dans la loi 
Le rapport prévoit d’introduire dans la loi une définition du devoir de vigilance : 

« L’absence de mesures adéquates et raisonnables relatives à l’identification et la prévention de la destruction grave d’un écosystème ou du dépassement manifeste non négligeable des limites planétaires ». Le devoir de vigilance est inscrit dans la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Cette loi de 2017 a inséré un article L 225-102-4 au sein du code de commerce. Cet article prévoit l’obligation de mettre à la disposition des actionnaires de grandes sociétés anonymes possédant des filiales à l’étranger, un « plan de vigilance ». Le droit positif prévoit donc une obligation d’établir un plan de vigilance à charge des entreprises françaises et ses filiales qui emploient au moins cinq mille salariés pour celles qui ont leur siège social en France ; et dix mille pour celles qui possèdent leur siège social en France ou à l’étranger. 
Cette proposition complèterait le dispositif existant.

  • D’une part, cette mesure à vocation à élargir le champ d’application du devoir de vigilance puisqu’elle s’applique à toutes les entreprises françaises locales ou nationales dont l’activité pourrait avoir un impact au regard des limites planétaires.
  • D’autre part, elle sanctionne non pas l’absence de plan de vigilance mais la non-adéquation et le caractère non raisonnable des mesures prévues par ce plan au regard des limites planétaires exposées ci-dessus. Il s’agit de contraindre les entreprises à mettre en place un plan de vigilance qui contient des mesures adaptées aux enjeux environnementaux actuels.

En revanche, le rapport ne précise pas les critères permettant de considérer qu’une mesure est adéquate et raisonnable. 


5. Création de la Haute autorité des limites planétaires 
Le rapport prévoit la création d’une Haute autorité des limites planétaires à l’échelon national puis des autorités régionales des limites planétaires, à l’échelon régional. 
Il est prévu que cette Autorité Administrative Indépendante soit compétente pour garantir l’application et le respect des limites planétaires, de transcrire celles-ci au niveau national et de réévaluer ces données de façon périodique, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. 
Concernant l’autorité régional des milites planétaires, le rapport prévoit qu’elle est chargée d’assurer une représentation des parties prenantes à l’échelon régional devra mettre en place une commission composée de représentants de l’Etat et des ses établissements publics, collectivités territoriales concernées et de leurs groupements, des représentants des parcs naturels régionaux de la région, des organismes socio-professionnels intéressés, des propriétaires et usagers de la nature, des associations, organismes et fondations œuvrant pour la préservation de la biodiversité, des gestionnaires d’espaces naturels et de scientifiques. 
Il est également prévu qu’elle soit obligatoirement associée aux négociations internationales dans les domaines relevant de son champ de compétences. 
Ses missions principales sont :

  • Informer, échanger et rendre des rapports d’expertise
  • Garantir le respect des limites planétaires
  • Promouvoir le respect de ses limites auprès des entreprises
  • Alerter l’Etat et la justice
  • Pouvoir être saisie par tout représentant de Etat, du gouvernement, du Parlement et de la justice
  • Proposer des modifications législatives ou réglementaires permettant de garantir un meilleur respect des limites planétaires.



Lara Wissaad 

Juriste

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