Déchets : conclusions de l’Avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne sur la qualification d’emballage (affaire des mandrins)

Juil 19, 2016 | Environnement

Notre cabinet a récemment plaidé devant la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par le Tribunal de commerce de Paris et par le Conseil d’Etat de questions préjudicielles relatives à la qualification d’emballage. L’Avocat général vient de publier ses conclusions. Des conclusions particulièrement importantes, non seulement pour le droit des déchets mais aussi pour le droit de l’Union européenne en général.

Pour mémoire, un éco-organisme français a assigné plusieurs sociétés devant le Tribunal de commerce de Paris, au motif qu’elles auraient dû déclarer des « mandrins » au titre d’emballages mis sur le marché et, partant, régler l’écocontribution afférente. Ainsi que le souligne l’Avocat général dans ses conclusions : « elle demandait à dix-neuf sociétés avec lesquelles elle avait eu des relations contractuelles le paiement des contributions pour les mandrins que ces sociétés avaient commercialisés à compter du 1er janvier 2007. Les demandes de paiement s’élèvent à plus de 42 millions d’euros, impôts compris.« 

Les mandrins sont définis ainsi par la directive de la Commission européenne du 7 février 2013, modifiant l’annexe I de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux emballages et aux déchets d’emballages

« Les rouleaux, tubes et cylindres sur lesquels est enroulé un matériau souple (par exemple, film plastique, aluminium, papier), à l’exception des rouleaux, tubes et cylindres destinés à faire partie d’équipements de production et qui ne sont pas utilisés pour présenter un produit en tant qu’unité de vente.« 

Le Tribunal de commerce de Paris a décidé de surseoir à statuer sur les demandes de cet éco-organisme et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne, la question préjudicielle suivante :

« La notion d’emballage telle que définie à l’article 3 de la directive 94/62/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 1994, relative aux emballages et aux déchets d’emballages], modifiée par la directive 2004/12/CE, inclut-elle les ‘mandrins’ (rouleaux, tubes, cylindres) autour desquels sont enroulés des produits souples, tels que papier, films plastiques, vendus aux consommateurs ? »

Parallèlement à la procédure pendante devant le Tribunal de commerce, le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours en annulation de l’arrêté ministériel du 6 octobre 2013, qui transpose la directive 2013/2 en droit français.

Par arrêt du 1er octobre 2015, le Conseil d’État a, à son tour, décidé de surseoir à statuer et adressé la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne :

« En incluant les ‘mandrins’ (rouleaux, tubes, cylindres) autour desquels sont enroulés des produits souples tels que papier, films plastiques, vendus aux consommateurs parmi les exemples d’emballages, la directive 2013/2/UE de la Commission du 7 février 2013 a‑t‑elle méconnu la notion d’emballage telle qu’elle a été définie à l’article 3 de la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 et excédé la portée de l’habilitation conférée à la Commission au titre de ses compétences d’exécution ? »

La Cour de justice de l’Union européenne était donc saisie de deux questions préjudicielles qui ont fait l’objet d’une instruction commune :

– La question préjudicielle en interprétation adressée par le Tribunal de commerce de Paris : la définition de l’emballage de la directive 94/62 englobe‑t‑elle les mandrins ?

– La question préjudicielle en appréciation de validité, adressée par le Conseil d’Etat : la directive 2013/2 est‑elle compatible avec la directive 94/62 ?

Le traitement de la première question retient ici l’attention. Le premier élément remarquable des conclusions de l’Avocat général tient à la reconnaissance du caractère pour le moins imprécis de la définition de la notion d’emballage aux termes de la directive 94/62.

L’Avocat général écrit ainsi :

« Je dois tout d’abord souligner le manque de clarté de la définition de l’emballage de l’article 3, point 1, de la directive 94/62. Son caractère obscur est particulièrement préoccupant, puisqu’il s’agit de l’élément clef pour préciser la portée des obligations juridiques imposées aux États (et, indirectement, aux personnes intervenant dans ce secteur) par cette directive, dont l’objectif était, précisément, d’harmoniser les mesures nationales concernant la gestion des emballages et des déchets d’emballages« 

En raison de cette imprécision, une période d’incertitude s’est ouverte, à la suite de l’entrée en vigueur de cette directive, quant à savoir si certains produits sont ou non des emballages. Dont les mandrins que l’ADEME, notamment, a refusé de qualifier d’emballage.

Pour dissiper cette incertitude, la Commission européenne a été contrainte d’intervenir à plusieurs reprises, notamment en 2013, au moyen de la directive 2013/2 :

« 62. La Commission ne s’est acquittée de son mandat que par la directive 2013/2, dans laquelle elle a expressément cité les mandrins comme exemples d’emballages, après avoir admis que « la limite est floue entre ce qui est un emballage et ce qui n’en est pas ». En outre, la directive 2013/2 a été élaborée dans les circonstances atypiques auxquelles je me suis référé (absence d’avis du comité institué par l’article 21 de la directive 94/62, absence de prise de position du Conseil dans le délai de deux mois prévu à l’article 5 bis de la décision 1999/468)« 

Dés l’instant où l’incertitude relative à la qualification d’emballages des mandrins n’a été dissipée que par la directive de la Commission européenne 2013/2, l’Avocat général propose de fixer au 1er octobre 2013 – terme du délai de transposition de cette directive –

« 63. Dans ce contexte de « silence conscient » des législateurs de l’Union quant à la qualification des mandrins en tant qu’emballages, je considère que la Cour devrait limiter les effets de son arrêt dans le temps. Je suggère qu’elle les fasse rétroagir au 1er octobre 2013, à savoir le jour suivant l’expiration du délai fixé par la directive 2013/2 pour sa transposition dans les droits des États membres. Ce n’est qu’à cette date (l’État français avait alors déjà adopté l’arrêté ministériel du 6 août 2013 transposant cette directive dans son ordre juridique) que les doutes quant à la qualification des mandrins ont été levés.

L’analyse de l’Avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne rejoint celle du Tribunal de l’Union européenne, développée dans une ordonnance du 7 juillet 2014. Le Tribunal avait en effet été saisi d’une demande d’annulation partielle de la directive 2013/2/UE de la Commission, du 7 février 2013, modifiant l’annexe I de la directive 94/62/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux emballages et aux déchets d’emballages. Le Tribunal (§33 et 40 de l’ordonnance, avait en effet jugé que ce n’est qu’à la suite de l’entrée en vigueur de la directive 2013/2/UE que la qualification d’emballage des mandrins est « désormais » opposable.

Il convient de souligner que l’Avocat propose de fixer la date à partir de laquelle la qualification d’emballages des mandrins devient opposable, non pas à la date d’entrée en vigueur de l’acte de transposition en droit national de la directive 2013/2 (arrêté ministériel du 6 août 2013) mais à la date de fin du délai de transposition de cette directive, soit le 1er octobre 2013.

En ce qu’elles concernent la question essentielle de l’imprécision du droit et de ses conséquences, ces conclusions feront sans aucun doute l’objet de nombreux commentaires. 

Arnaud Gossement

Docteur en droit – Avocat associé

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