Dérogation espèces protégées : le projet de parc éolien en mer des Iles d’Yeu et de Noirmoutier répond à une « raison impérative d’intérêt public majeur » (Conseil d’Etat, 29 juillet 2022, n°443420)

Juil 31, 2022 | Environnement

Par une décision n°443420 du 29 juillet 2022, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité de l’arrêté préfectoral portant dérogation au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées, délivré à l’exploitant du parc éolien en mer des Iles d’Yeu et de Noirmoutier. Commentaire.


Résumé

Par une décision n°443420 du 29 juillet 2022, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité de l’arrêté préfectoral portant dérogation au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées, délivré à l’exploitant du parc éolien en mer des Iles d’Yeu et de Noirmoutier.

  • ce projet répond à une « raison impérative d’intérêt public majeur »
  • ce projet a été retenu alors qu’il n’existe pas d’autre « solution alternative satisfaisante »

L’intérêt de cette décision tient :

  • à la confirmation de la correspondance de ce projet de parc éolien en mer à la réalisation des objectifs de transition énergétique européens et nationaux. 
  • à la confirmation de l’importance donné à la condition de la « raison impérative d’intérêt public majeur » mais aussi à celle relative à l’absence de « solution alternatives satisfaisantes ». Sur ce point, l’intérêt du projet de la commission européenne de présumer le caractère d’intérêt public majeur des projets de production d’énergie renouvelable doit donc être relativisé.
  • au pouvoir d’appréciation conféré – de manière classique – par le juge de cassation au juge du fond.

Rappel des faits

  • 19 décembre 2018 : arrêté par lequel le préfet de la Vendée a autorisé la société Eoliennes en Mer Iles d’Yeu et de Noirmoutier à déroger à l’interdiction de destruction et de perturbation intentionnelle de spécimens d’espèces animales protégées mentionnées à l’article L. 411-1 du code de l’environnement pendant la durée des travaux et de l’exploitation d’un parc éolien en mer au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier. 
  • 3 juillet 2020 : arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté le recours en annulation de l’arrêté du 19 décembre 2018
  • 29 juillet 2022 : le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes
I. Sur le critère relatif à l’existence d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » à laquelle répond le projet de parc éolien en mer

Par cette décision du 29 juillet 2022, le Conseil d’Etat a procédé à une analyse très précis de l’appréciation par la cour administrative d’appel de Nantes du  l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur s’attachant à la réalisation de ce projet de parc éolien en mer. 

  • d’une part des contenus des principaux objectifs de la politique énergétique nationale
  • d’autre part de de la correspondance du projet de parc éolien en mer à ces objectifs nationaux

Le rappel des objectifs de transition énergétique. C’est à bon droit que la cour administrative d’appel de Nantes avait tout d’abord procédé au rappel des deux objectifs – européens et nationaux – de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de développement des énergies marines :

  • Objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre : « le paquet  » énergie-climat  » adopté par l’Union européenne en décembre 2008 s’est traduit pour la France par l’adoption de l’objectif, fixé par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement puis par l’article L. 100-4 du code de l’énergie, visant à porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020, relevé ensuite par l’Union européenne à 27 % à l’horizon 2030 par le  » paquet énergie-climat 2030 « , adopté en octobre 2014, et par la France à 32 % en 2030 par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. »
  • Objectif de développement des énergies marines : « Elle [la cour administrative d’appel de Nantes] a ensuite retenu que l’arrêté du 15 décembre 2009 du ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production d’électricité a fixé les objectifs de développement de la production électrique à partir des énergies éoliennes et marines, en termes de puissance totale installée, à 25 000 MW au 31 décembre 2020, dont 19 000 à partir de l’énergie éolienne à terre et 6 000 MW à partir de l’énergie éolienne en mer et des autres énergies marines, conformément aux objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. »

La correspondance du projet de parc éolien en mer à ces objectifs. Dans un deuxième temps du raisonnement relatif à l’existence d’une « raison impérative d’intérêt public majeur », le Conseil d’Etat confirme l’analyse de la cour administrative d’appel de Nantes qui avait relevé les deux éléments suivants pour confirmer l’intérêt public majeur du projet :

  • Le résultat d’un appel d’offres pour contribuer à la consommation électrique de la région Pays de la Loire. En premier lieu, le Conseil d’Etat relève que ce projet a été sélectionné au terme d’une procédure de mise en concurrence dont l’objet était de permettre la couverture d’une part de la consommation électrique de la région Pays de Loire. Cette circonstance de fait contribue sans doute au caractère d’intérêt public du projet : « Dans ces conditions, la cour administrative d’appel, après avoir souverainement constaté que le projet résulte de l’attribution par les pouvoirs publics à la société pétitionnaire d’un lot relatif à l’installation de production d’énergie électrique sur le domaine public maritime au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier, afin de répondre aux objectifs de développement de la production électrique à partir de l’énergie éolienne en mer par la réalisation d’un parc éolien composé de soixante-deux aérogénérateurs d’une puissance totale de plus de 496 mégawatts permettant la couverture de 8 % de la consommation électrique de la région Pays de la Loire (…)« 
  • Le contrôle restreint de l’appréciation par le juge du fond de la correspondance du projet aux objectifs de transition énergétique. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat souligne que la cour administrative d’appel de Nantes « a retenu que le projet contribue de manière déterminante à l’atteinte des objectifs nationaux rappelés et de l’objectif du programme Vendée Energie, signé en 2012, qui a pour objectif de doubler la production d’électricité de ce département à l’horizon 2020. » On relèvera ici que, de manière classique, le Conseil d’Etat, en qualité de juge de cassation, confère au juge du fond – ici la cour administrative d’appel de Nantes – un large pouvoir d’appréciation des circonstances de fait qui lui apparaissent démontrer le concours du parc éolien à la réalisation des objectifs de transition énergétique précités.
  • Conclusion : la décision ici commentée du Conseil d’Etat précise : « En jugeant que ce projet de parc éolien répond ainsi, nonobstant son caractère privé, à une raison impérative d’intérêt public majeur, la cour administrative d’appel a exactement qualifié les faits de l’espèce. »

Les précédents jurisprudentiels. Le juge administratif s’est déjà prononcé sur la légalité d’un arrêté préfectoral portant dérogation au principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées, en appréciant la correspondance d’un projet de production d’électricité renouvelable à la réalisation des objectifs européens et nationaux de transition énergétique : 

  • Par un arrêt n° 17NT02791 et 17NT02794 du 5 mars 2019, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté le recours en annulation d’une dérogation espèces protégées accordée à l’exploitant d’un parc éolien terrestre en Bretagne en soulignant que ce dernier contribue à la réalisation des objectifs de transition énergétique, procède d’une analyse des « solutions alternatives satisfaisantes », ne crééra pas d’impact trop important pour les espèces concernées.
  • Par une décision 430500 du 15 avril 2021, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité, au regard des objectifs de transition énergétique européens et nationaux, de la dérogation espèces protégées accordées pour l’exploitation du parc éolien terrestre de la forêt de Lanouée (Morbihan)

II. Sur la condition relative à l’absence d’autre « solution alternative satisfaisante »

L’intérêt de la décision rendue ce 29 juillet 2022 par le Conseil d’Etat tient à l’importance du contrôle de la condition de légalité de la dérogation espèces protégées relative à l’absence de « solution alternative satisfaisante ». 

Pour confirmer l’analyse de cour administrative d’appel de Nantes, le Conseil d’Etat retient les éléments suivants :

  • La participation du public : « la cour a relevé que la zone d’implantation du projet litigieux, au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier, a été retenue à l’issue d’un processus de concertation mené par les préfets de région et des préfets maritimes entre 2009 et 2011 dont il résultait que cette zone était identifiée par l’Etat comme une  » zone d’enjeu modéré « , propice à l’implantation d’un parc éolien. »
  • Les suites données à la participation du public. Non seulement le demandeur de la dérogation avait démontré l’absence de solution alternative satisfaisante mais il a en outre, tiré les conséquences au débat public, pour l’aménagement de la zone retenue : « La cour a également relevé que la société pétitionnaire avait étudié plusieurs implantations possibles pour le parc éolien, au sein de la zone délimitée par l’appel d’offres, en évitant la zone située à l’Ouest du  » Toran15483 « , réduisant ainsi l’emprise de son projet à 88,42 km2 au lieu de 112 km2 comme il était initialement envisagé, afin de prévenir ou de limiter certains impacts, notamment environnementaux, engendrés par l’installation puis l’exploitation des éoliennes, et qu’elle avait modifié l’implantation, l’espacement et l’orientation des éoliennes après le débat public afin de prendre en compte les impacts paysagers et les enjeux de sécurité du projet. » On relèvera ici que la cour administrative d’appel de Nantes a accordé une attention particulière, non seulement à l’examen par le pétitionnaire de solutions alternatives satisfaisantes mais aussi à l’organisation de procédures de participation du public : la concertation organisée entre 2009 et 2011 et le débat public organisé sur ce projet en particulier.
  • Conclusion : « En retenant, au vu de ces éléments, que le préfet n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante, la cour administrative d’appel s’est livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation, et n’a pas commis d’erreur de droit. » 

Arnaud Gossement

avocat – docteur en droit

professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

A lire également : 

Note du 27 mai 2022 – Dérogation espèces protégées : la cour administrative d’appel de Douai pose deux questions au Conseil d’Etat sur l’obligation de dépôt d’une demande (CAA Douai, 27 avril 2022, n°20DA01392)

Note du 21 mai 2022 – Energies renouvelables : ce que prévoit le plan « RepowerEU » de la commission européenne pour accélérer les procédures d’octroi de permis

Note du 29 avril 2022 – Biodiversité : annulation de l’autorisation d’un projet de centrale thermique « d’intérêt public majeur » en l’absence d’étude suffisante des « solutions alternatives satisfaisantes » (TA Guyane, 28 avril 2022, centrale de  Larivot, n°2100237)

Note du 17 janvier 2022 – Espèces protégées : analyse de la décision du Conseil d’État du 30 décembre 2021 (n°439766)

Note du 10 janvier 2022 – Dérogation espèces protégées : le principe d’interdiction de destruction s’applique aux habitats artificiels et à tout moment (tribunal administratif de Lyon, 9 décembre 2021, n°2001712)

Note du 9 janvier 2020 – Interdiction de destruction d’espèces protégées : l’exploitation d’une carrière peut répondre à une « raison impérative d’intérêt public majeur » (Conseil d’Etat)

Note du 30 août 2019 – Interdiction de destruction d’espèces protégées : le Conseil d’Etat précise la notion de « raisons impératives d’intérêt public majeur »

Note du 11 mars 2019 – Espèces  protégées et éolien : le contexte énergétique constitue un motif impératif d’intérêt public majeur pouvant justifier une dérogation (cour administrative d’appel de Nantes)

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