Dérogation espèces protégées : ce que va changer la loi d’accélération de la production des énergies renouvelables

Fév 18, 2023 | Environnement

La loi d’accélération de la production des énergies renouvelables, actuellement soumise au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel, devrait être prochainement publiée au journal officiel. Elle comporte un article 19 qui prévoit une simplification limitée de la preuve de l’une des trois conditions de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Une mesure dont la date de prise d’effet et l’articulation avec celle prévue par le règlement temporaire d’urgence demeurent incertaines. Commentaire.

NB : le présent article a été rédigé à partir de la version de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables votée au Sénat le 7 février 2023. Le texte est actuellement soumis au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel. Il conviendra donc de consulter la version publiée au JO de cette loi pour prendre connaissance du contenu exact des mesures entrées en vigueur.

Résumé

– La loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables comporte, dans sa version à la date de rédaction de cet article, un article 19 destiné à simplifier le régime de la preuve de l’une des trois conditions d’octroi de l’autorisation de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

– Cette mesure de simplification intéresse la preuve de la condition selon laquelle le projet objet de la demande de dérogation doit répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur.

– Cette mesure appelle la publication d’un décret en Conseil d’Etat relatif aux conditions à respecter pour pouvoir démontrer qu’un projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur

– L’articulation de cette mesure avec celle, relative à l’intérêt public supérieur des projets, récemment créé par le règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables, est incertaine.

Commentaire

I. Rappel : les conditions de légalité de l’autorisation de dérogation au principe d’interdiction de destruction des espèces protégées

Pour mémoire, le principe d’interdiction du patrimoine naturel protégé est inscrit à l’article L.411-1 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les destinataires de ce principe d’interdiction de destruction sont :

  • Les sites d’intérêt géologique
  • Les habitats naturels
  • Les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées
  • Leurs habitats

Il importe de souligner que le terme « destruction » doit être compris, dans une acception large, comme comprenant aussi, « altération » ou « dégradation ».

En droit interne, la possibilité de déroger à ce principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées est prévue au 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les conditions de fond suivantes doivent être réunies pour qu’une dérogation – si elle a été demandée – puisse être délivrée par l’administration :

  • L’absence de « solution alternative satisfaisante »
  • L’absence de nuisance pour le « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle« 
  • La justification de la dérogation par l’un des cinq motifs énumérés au nombre desquels figure « c) (…) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement« 

Par un avis n°463563 du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat, à la demande de la cour administrative d’appel de Douai, a précisé son interprétation des dispositions du droit positif relatives aux conditions :

  • d’une part, de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction d’espèces protégées.
  • d’autre part, de délivrance de cette dérogation, une fois demandée.

S »agissant des conditions distinctes et cumulatives de délivrance de la dérogation espèces protégées

  • Le Conseil d’Etat a entendu rappeler le contenu et le caractère distinct et cumulatif des trois conditions de dérogation.
  • Le Conseil d’Etat a également précisé que l’administration doit notamment prendre en compte, lors de l’examen de ces trois conditions, des mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par le pétitionnaire

II. Une simplification limitée de la preuve de l’une des conditions de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées

La loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables comporte un article 19 destiné à simplifier l’octroi de l’autorisation de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Cet article 19 prévoit l’insertion d’un nouvel article L.211-2-1 au sein du code de l’énergie.

Cette simplification est toutefois très limitée pour les raisons suivantes :

– elle ne vaut que pour certains projets de production d’énergies renouvelables ;

– elle n’intéresse que le régime de la preuve de l’une des trois conditions d’octroi de cette autorisation de dérogation ;

– elle suppose la publication d’un nouveau texte, soit un décret en Conseil d’Etat qui définira les « conditions techniques » à respecter pour pouvoir démontrer la satisfaction de l’une des trois conditions de dérogation.

A. Les installations concernées

Aux termes du nouvel article L.211‑2‑1 du code de l’énergie, les projets d’installations concernés par cette simplification sont les suivants.

– les projets d’installations de production d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211‑2 du code de l’énergie ;

– les projets de stockage d’énergie dans le système électrique ;

– les ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie.

S’agissant de la première catégorie, les projets de production d’énergies renouvelables au sens de l’article L.211-2 du code de l’énergie sont les suivants :

– Les énergies renouvelables : « l’énergie éolienne, l’énergie solaire thermique ou photovoltaïque, l’énergie géothermique, l’énergie ambiante, l’énergie marémotrice, houlomotrice et les autres énergies marines, l’énergie hydroélectrique, la biomasse, les gaz de décharge, les gaz des stations d’épuration d’eaux usées et le biogaz.

– L’énergie ambiante : « L’énergie ambiante est l’énergie thermique naturellement présente et l’énergie accumulée dans un environnement fermé, qui peut être emmagasinée dans l’air ambiant, hors air extrait, dans les eaux de surface ou dans les eaux usées.« 

– La biomasse. « La biomasse est la fraction biodégradable des produits, des déchets et des résidus d’origine biologique provenant de l’agriculture, y compris les substances végétales et animales, de la sylviculture et des industries connexes, y compris la pêche et l’aquaculture, ainsi que la fraction biodégradable des déchets, notamment les déchets industriels ainsi que les déchets ménagers et assimilés lorsqu’ils sont d’origine biologique.« 

B. Le contenu de la simplification de l’une des trois conditions de dérogation

Aux termes du nouvel article L.211‑2‑1 du code de l’énergie, les projets précités « sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement, dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’État.« 

Cet article créé donc une forme de « présomption sous conditions » de cette condition de dérogation relative, précisément, à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur.

Les projets précités sont « réputés répondre » à une « raison impérative d’intérêt public majeur » dés lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Ce même article L.211-2-1 du code de l’énergie encadre précisément la rédaction de ces conditions à définir par décret en Conseil d’Etat.

Les paramètres à prendre en compte pour définir les conditions à respecter pour satisfaire à la condition de dérogation tirée de l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur. Ces conditions de reconnaissance de la « raison impérative d’intérêt public majeur » d’un projet sont fixées en tenant compte :

– du type de source d’énergie renouvelable ;
– de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée ;
– et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés par la programmation pluriannuelle de l’énergie.

S’agissant des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie dont il faudra tenir compte, l’article L.211-2-1 du code de l’énergie impose de tenir compte plus particulièrement de certains d’entre eux selon que le projet est situé ou non en territoire métropolitain;

« 1° Pour le territoire métropolitain, la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141‑2, en particulier les mesures et les dispositions du volet relatif à la sécurité d’approvisionnement et les objectifs quantitatifs du volet relatif au développement de l’exploitation des énergies renouvelables, mentionnés aux 1° et 3° du même article L. 141‑2 ;

2° Pour le territoire de chacune des collectivités mentionnées à l’article L. 141‑5, la programmation pluriannuelle de l’énergie qui lui est propre, en particulier les volets relatifs à la sécurité d’approvisionnement en électricité, au soutien des énergies renouvelables et de récupération et au développement équilibré des énergies renouvelables et leurs objectifs mentionnés aux 2°, 4° et 5° du II du même article L. 141‑5 et après avis de l’organe délibérant de la collectivité.« 

Zones d’accélération et dérogation espèces protégées. L’article 19 du projet de loi prend soin de préciser que le nouveau dispositif des « zones d’accélération » est sans effets sur le régime de la preuve de la satisfaction des conditions distinctes et cumulatives de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

Une zone d’accélération, ne constitue pas une « solution satisfaisante » au sens du 4° du I de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Le fait, pour un projet, d’être situé hors (ou à l’intérieur) de cette zone, ne devrait donc pas avoir d »incidence sur la preuve de la satisfaction de la condition de dérogation relative à la preuve de l’absence de solution alternative satisfaisante : « L’existence d’une zone d’accélération définie à l’article L. 141‑5‑3 du présent code ne constitue pas en tant que telle une autre solution satisfaisante au sens du 4° du I de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement.« 

III. La date d’entrée en vigueur et de prise d’effet incertaine de cette mesure de simplification

La date d’entrée en vigueur et de prise d’effet de cette mesure de simplification est encore incertaine.

En premier lieu, deux recours ont été déposés par des députés LR et RN contre la loi d’accélération de la production des énergies renouvelables. Ces deux recours sont principalement dirigés contre cette mesure de simplification de l’octroi de la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Il convient donc d’attendre la décision du Conseil constitutionnel.

En deuxième lieu, cette mesure législative, une fois entrée en vigueur, appelle la rédaction et la publication d’un décret en Conseil d’Etat, lequel définira les conditions énoncées plus haut. La définition de ces conditions par voie réglementaire suppose de tenir compte des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Laquelle est aujourd’hui déterminée par décret et le sera d’ici à la fin de l’année par la loi. Reste donc à savoir si le Gouvernement choisira de rédiger et de publier ce décret avant ou après la future loi de programmation pluriannuelle de l’énergie.

En troisième lieu, l’articulation de cette mesure de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables avec le règlement
(UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en
vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables
a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 29 décembre 2022 (cf. notre article).

Aux termes de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022, la planification, de la construction, de l’exploitation d’installations
de production d’énergie à partir de sources renouvelables mais aussi le raccordement de ces installations au réseau et des actifs de stockage sont « présumés relever d’un « intérêt public supérieur » :

« 1.
La planification, la construction et l’exploitation d’installations de
production d’énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement
de ces installations au réseau, le réseau connexe proprement dit, ainsi
que les actifs de stockage, sont présumés relever de l’intérêt public
supérieur et de l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques lors
de la mise en balance des intérêts juridiques dans chaque cas, aux fins
de l’article 6, paragraphe 4, et de l’article 16, paragraphe 1, point
c), de la directive 92/43/CEE du Conseil (5), de l’article 4, paragraphe
7, de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil (6)
et de l’article 9, paragraphe 1, point a), de la directive 2009/147/CE
du Parlement européen et du Conseil (7).
 »

Ce règlement prévoit toutefois une possibilité de dérogation pour les Etats :

« Les États membres
peuvent restreindre l’application de ces dispositions à certaines
parties de leur territoire ainsi qu’à certains types de technologies ou
de projets présentant certaines caractéristiques techniques,
conformément aux priorités définies dans leurs plans nationaux intégrés
en matière d’énergie et de climat.
« 

L’articulation de cette dérogation avec la mesure de l’article 19 de la future loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables est incertaine. La question centrale est de savoir si, pendant la durée d’application de ce règlement, la preuve de la raison impérative d’intérêt public majeur appelle ou non la publication du décret en Conseil d’Etat prévu par la loi. Autrement dit : ce décret en Conseil d’Etat prévu par la future loi correspond-il à la dérogation prévue par le règlement ? Une prise de position du Gouvernement sur ce point important est attendue.

Arnaud Gossement

Avocat, professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

A lire également :

Note
du 1er janvier 2023 – Dérogation espèces protégées : les suites données
par les juridictions administratives à l’avis du Conseil d’Etat du 9
décembre 2022
 

Note du 29 décembre 2022 – La
production d’énergies renouvelables relève d’un « intérêt public
supérieur » (Règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022
établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies
renouvelables)

Note
du 11 décembre 2022 – Dérogation espèces protégées : le Conseil d’Etat
précise les conditions et la méthode de demande et d’octroi de la
dérogation (Conseil d’Etat, avis, 9 décembre 2022, Association
Sud-Artois pour la protection de l’environnement, n°463563)
 

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