Eolien : la région des Hauts de France doit justifier la raison pour laquelle elle n’a pas planifié d’objectif de développement de l’éolien terrestre dans son SRADDET (tribunal administratif de Lille, 6 février 2023, n°2007012)

Fév 13, 2023 | Environnement

Aux termes d’un jugement très nuancé et rendu ce 6 février 2023, le tribunal administratif a partiellement annulé le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) des Hauts de France. Et ce, au motif que ce schéma ne justifie pas pour quelle raison il ne comporte pas d’objectif de développement de l’éolien terrestre. Commentaire.

Résumé

Par un jugement du 6 février 2023, le tribunal administratif de Lille a partiellement annulé l’arrêté du 4 août 2020 du préfet du Nord en tant qu’il approuve l’objectif n°33 du SRADDET de la région Hauts-de-France en ce que celui-ci ne fixe pas d’objectif portant sur le développement de l’énergie éolienne et la règle générale n° 8 en ce que celle-ci exclut l’énergie éolienne terrestre du champ d’application de l’objectif régional tendant au développement des énergies renouvelables et de récupération.

Le motif d’annulation retenu par le tribunal administratif tient, précisément, au défaut de justification de l’absence d’objectif de développement de l’éolien terrestre. 

Commentaire détaillé


I. Les faits

30 juin 2020 : le conseil régional des Hauts-de-France a adopté par délibération, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET).

4 août 2020 : le préfet de la région Hauts-de-France a approuvé par arrêté ce schéma.

2 octobre 2020 : l’association France Energie Eolienne a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler cet arrêté.

6 février 2023 : par un jugement n°2007012, le tribunal administratif de Lille a partiellement annulé cet arrêté en tant qu’il approuve les deux  dispositions suivantes du SRADDET : 
  • La règle générale n°8 relative à l’objectif régional de développement des énergies renouvelables hors éolien terrestre. Le jugement précise ici que cette règle comporte un « objectif régional privilégiant le développement des énergies renouvelables et de récupération autres que l’éolien terrestre » : « 9. En l’espèce, le SRADDET de la région Hauts-de-France contient une règle générale n° 8 selon laquelle  » Les SCoT et les PCAET contribuent à l’objectif régional privilégiant le développement des énergies renouvelables et de récupération autre que l’éolien terrestre. La stratégie territoriale, chiffrée dans le cadre des PCAET, doit permettre d’atteindre une production d’EnRetR d’au moins 28% de la consommation d’énergie finale de leur territoire en 2031. Elle tient compte de leur potentiel local et des capacités d’échanges avec les territoires voisins et dans le respect des écosystèmes et de leurs fonctions ainsi que de la qualité écologique des sols. « . 
  • L’objectif n°33 relatif à la stabilisation de la production d’énergie éolienne. Le jugement précise que le SRADDET « contient également un objectif n° 33 intitulé  » Développer l’autonomie énergétique des territoires et des entreprises  » qui énonce notamment que  » la production d’énergie éolienne est stabilisée à son niveau de mai 2018.« 

II. L’annulation partielle du SRADDET de la région des Hauts de France

Aux termes du jugement ici commenté, le tribunal administratif de Lille a 

  • annulé partiellement le SRADDET de Lille au motif qu’il ne comporte pas de justification de l’absence d’objectif de développement de l’éolien terrestre ;
  • écarté le moyen d’annulation tiré de la violation du principe de non régression.

A. Le défaut de justification de l’absence d’objectif de développement de l’éolien terrestre

Le tribunal administratif de Lille a annulé le SRADDET de la région des Hauts de France au motif que ses auteurs n’ont pas justifié la raison pour laquelle ils n’ont pas retenu d’objectif de développement de l’éolien terrestre.
Dans un premier temps de son raisonnement, le tribunal administratif de Lille a relevé que l’objectif n°33 et la règle générale n°8 (exposée au point 9 du jugement) n’établissent aucun objectif de développement de l’éolien terrestre :
« 15. Il ressort des pièces du dossier que le rapport du SRADDET mentionne, dans le tableau de production des énergies renouvelables relatif à l’objectif n° 33 un objectif de production d’énergie éolienne de 7 824 GWh en 2031, identique au niveau de production de l’année 2021 et prévoit, ainsi qu’il a été dit au point 9, une stabilisation de la production d’énergie éolienne dans la région Hauts-de-France à son niveau de mai 2018. Toutefois, l’objectif mentionné à l’article R. 4251-5 du code général des collectivités territoriales ne doit pas porter sur la seule production d’énergie éolienne mais sur son développement, impliquant nécessairement un accroissement de celle-ci. Dans ces conditions, le schéma contesté ne saurait être regardé comme incluant un objectif de développement de l’énergie éolienne, contrairement à ce que la région soutient. » 
Dans un deuxième temps de son raisonnement, le tribunal administratif de Lille ne va toutefois pas conclure à l’illégalité du SRADDET au seul motif de cette absence d’objectif de développement de l’éolien terrestre. De manière plus subtile mais aussi plus surprenante, le motif d’annulation partielle du SRADDET tient, non pas au défaut d’objectif mais au défaut de justification du défaut d’objectif :
« Si celle-ci fait valoir qu’elle est d’ores et déjà la première région productrice d’énergie éolienne et à l’origine de 20 à 25% de la production nationale, ces seules circonstances ne sont pas de nature à établir l’existence du phénomène de saturation des paysages régionaux qu’elle invoque pour justifier l’absence d’un tel objectif. Il ressort au demeurant des pièces du dossier, et notamment de l’avis du conseil économique, social et environnemental régional et de plusieurs contributions à l’enquête publique, que la modernisation du parc éolien existant peut permettre un accroissement de la production d’énergie éolienne sans pour autant augmenter le nombre d’éoliennes implantées sur le territoire régional, ni augmenter la consommation d’espaces naturels et agricoles, les allégations de la région quant à l’existence d’incertitudes économiques et environnementales en ce qui concerne cette modernisation n’étant quant à elles établies par aucune pièce du dossier. Par suite, en arrêtant un objectif de simple stabilisation de la production d’énergie éolienne à son niveau de mai 2018 sans justifier de l’impossibilité de prévoir un objectif portant sur le développement de cette source d’énergie, le SRADDET méconnaît les dispositions précitées de l’article R. 4251-5 du code général des collectivités territoriales.« 
Certes, la région a tenté de justifier ce défaut d’objectif de développement de l’éolien terrestre par référence à un « phénomène de saturation des paysages régionaux« . Toutefois, le tribunal administratif de Lille souligne que l’argument n’est pas fondé dés lors que le développement de l’énergie ne suppose pas nécessairement une augmentation du nombre d’aérogénérateurs. 
Cette motivation du jugement ici commenté appelle toutefois les observations suivantes.

En premier lieu, il est surprenant que le tribunal administratif de Lille n’ait pas déduit de la seule absence d’un objectif de développement de l’éolien terrestre au sein du SRADDET l’illégalité de ce dernier. A notre sens, le jugement cite en effet les dispositions de droit positif qui imposent aux auteurs du SRADDET de définir un tel objectif. 
En second lieu, il convient de souligner que le tribunal administratif de Lille s’est ici fondé sur les avis exprimés, d’une part par le conseil économique, social et environnemental régional, d’autre part lors de l’enquête publique sur le projet de SRADDET. La référence à ses avis est importante par la valeur qu’elle leur donne. Au cas présent, le conseil régional aurait pu, avec profit, tenir compte de ses avis et retenir la possibilité de développer l’éolien terrestre en augmentant la capacité de production des installations déjà autorisées. 

B. L’absence de violation du principe de non régression

Pour mémoire, aux termes de l’article L.110-1 du code de l’environnement, la protection de l’environnement procède notamment du principe de non régression ainsi défini : « 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »

Au cas présent, le tribunal administratif de Lille écarte le moyen tiré de la violation du principe de non régression au motif

« 17. Il ressort des pièces du dossier que le SRADDET fixe des objectifs, ainsi qu’il a été dit plus haut, de doublement de production des énergies renouvelables entre 2015 et 2031 et de triplement de la part de ces énergies dans la consommation finale d’énergie sur cette même période. Il n’est par ailleurs pas établi que l’absence d’augmentation de la production d’énergie éolienne entre 2021 et 2031 serait de nature à engendrer une diminution du niveau de protection de l’environnement. Dans ces circonstances, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non-régression de la protection de l’environnement énoncé à l’article L. 110-1 du code de l’environnement doit être écarté. »

Il est important ici de souligner que le jugement ne précise pas que l’absence de développement de l’éolien ne porterait pas atteinte au niveau de protection de l’environnement. Très précisément, le jugement souligne que cette preuve n’est pas ici rapportée (‘Il n’est d’ailleurs pas établi »).

Il est intéressant de rapprocher cette analyse de celle réalisée par le tribunal administratif de Dijon. Par un jugement en date du 12 janvier 2023, ce dernier a annulé partiellement le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires de la région Bourgogne-Franche-Comté. Aux termes du point 16 de son jugement, le tribunal administratif de Dijon a souligné que les requérants ne rapportaient pas la preuve que le développement de l’éolien pourrait porter atteinte à l’environnement :

« 16. Il ressort de ces éléments que l’objectif en matière de développement de l’énergie éolienne a été fixé en tenant compte des différents enjeux qui viennent d’être rappelés. Cet objectif n’apparait pas déraisonnable, et il n’est pas démontré qu’il ne pourrait être atteint sans porter atteinte à l’environnement, aux activités agricoles et forestières ou au patrimoine historique ou paysager. Le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation doit par suite être écarté. » (cf. tribunal administratif de Dijon, 12 janvier 2023, n° 2100756)

En conclusion, à  la veille des travaux de cartographie des « zones d’accélération » de la production d’énergies renouvelables, ce jugement doit retenir l’attention.

Arnaud Gossement

Avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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