En bref
Hydroélectricité : modifications des modalités d’expérimentation du dispositif du médiateur
Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) : Modification des dispositions relatives à l’élaboration, la modification et la révision des SAGE
Déchets : Assouplissement des conditions pour la reprise des déchets de construction par les distributeurs
Certificats d’économie d’énergie : Publication au JO de ce jour de l’arrêté du 18 novembre 2024 modifiant plusieurs textes règlementaires relatifs aux opérations standardisées d’économie d’énergie
[Important] Déchets : par application du principe de précaution, un déchet doit être classé en tant que déchet dangereux en cas de doute ou d’impossibilité de déterminer sa dangerosité (CJUE)
Par arrêt du 28 mars 2019 (C-487/17 à C-489/17), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce pour la première fois sur la classification de déchets sous des rubriques dites « entrées miroirs » de la liste européenne des déchets et juge qu’en cas de doute ou d’impossibilité de déterminer la dangerosité d’un déchet, celui-ci doit être classé et traité en tant que déchet dangereux, en vertu du principe de précaution.
Dans cette affaire, plusieurs procédures pénales ont été engagées à l’encontre d’une trentaine de gérants de décharges, de sociétés de collecte et de production de déchets ainsi que de sociétés chargées d’effectuer les analyses chimiques des déchets, suspectés d’avoir réalisé un trafic illicite de déchets.
Les prévenus sont, en effet, accusés d’avoir attribué à des déchets potentiellement dangereux des codes correspondant à des déchets non dangereux et de les avoir ensuite traités dans des décharges pour déchets non dangereux.
A la suite de plusieurs recours introduits par les prévenus puis par le Procureur de la République près du Tribunal de Rome, le litige a été porté devant la Cour de cassation italienne (Corte suprema di cassazione).
Cette dernière ayant relevé que deux solutions différentes s’opposaient dans la résolution du litige dans la mesure où deux interprétations avaient été données aux dispositions du droit national découlant du droit de l’Union européenne, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’annexe à la décision [2000/532] ainsi que [l’annexe III de la directive 2008/98] doivent-elles être interprétées, s’agissant de la classification des déchets sous des codes miroirs, dans le sens que, lorsque la composition de déchets n’est pas connue, le producteur de ces déchets doit procéder à leur caractérisation préalable et, dans l’affirmative, dans quelles limites ?
2) La recherche de substances dangereuses doit-elle être effectuée en vertu de méthodes uniformes prédéterminées ?
3) La recherche de substances dangereuses doit-elle être fondée sur une vérification précise et représentative qui tienne compte de la composition d’un déchet, si elle est déjà connue ou identifiée lors de la phase de caractérisation, ou bien doit-elle être effectuée selon des critères de probabilité, eu égard aux substances qui pourraient raisonnablement être présentes dans un déchet ?
4) En cas de doute ou d’impossibilité de déterminer avec certitude la présence ou non de substances dangereuses dans un déchet, ce dernier doit-il, en tout état de cause, être classé et traité comme un déchet dangereux, en application du principe de précaution ? »
I. Sur l’obligation de procéder à la caractérisation préalable des déchets et à leur classification
Par ses trois premières questions, la juridiction de renvoi demande si le détenteur d’un déchet susceptible d’être classé sous des codes miroirs, mais dont la composition n’est pas d’emblée connue, doit, en vue de cette classification, déterminer ladite composition et rechercher si le déchet en question contient une ou plusieurs substances dangereuses afin d’établir si ce déchet présente des propriétés dangereuses ainsi que, dans l’affirmative, avec quel degré de détermination et selon quelles méthodes.
A titre liminaire, le droit italien prévoit que la classification des déchets est effectuée par le producteur qui leur attribue un code : le déchet peut être classé en tant que « déchet dangereux absolu », en tant que « déchets non dangereux absolu » ou sous des « codes miroirs ».
Lorsqu’un déchet relève du code miroir, il convient de déterminer les propriétés dangereuses que ce déchet présente afin d’établir si le déchet est dangereux ou non.
En premier lieu, la Cour revient sur les dispositions de l’article 3, point 2, de la directive-cadre n°2008/98 sur les déchets au terme duquel un déchet dangereux correspond à « tout déchet qui présente une ou plusieurs des propriétés dangereuses énumérées à l’annexe III » de cette directive.
Dans ses conclusions, l’avocat général rappelle les incidences d’un classement en tant que déchet dangereux puisque la directive-cadre soumet la gestion de ces déchets dangereux à des exigences spécifiques (traçabilité, emballage, étiquetage, interdiction de les mélanger, traitement dans des installations spécifiques, etc.).
En deuxième lieu, conformément aux dispositions de l’article 7 de la directive-cadre, pour savoir si un déchet relève de cette liste des déchets dangereux, il y a lieu de tenir compte de « l’origine et de la composition des déchets et, le cas échéant, des valeurs limites de concentration de substances dangereuses ».
Sur ce point, la Cour relève que, s’agissant des déchets classés sous des codes miroirs, la composition du déchet n’est pas d’emblée connue.
Dès lors, il appartient au détenteur du déchet, en tant que responsable de sa gestion, de recueillir les informations susceptibles de lui permettre d’acquérir une connaissance suffisante de la composition du déchet afin de lui attribuer le code déchet approprié.
La Cour précise également qu’à défaut d’obtenir ces informations, le détenteur du déchet risque de manquer à ses obligations en tant que responsable de la gestion de celui-ci.
Dans ses conclusions, l’avocat général précise à son tour qu’il existe différentes méthodes pour recueillir les informations nécessaires relatives à la composition du déchet (Cf. point 52 de ses conclusions).
En dernier lieu, la Cour indique que l’analyse chimique d’un déchet doit permettre à son détenteur d’acquérir une connaissance suffisante de la composition du déchet afin de vérifier si celui-ci présente une ou plusieurs propriétés dangereuses.
La Cour précise donc que le détenteur n’est pas tenu de vérifier l’absence de toute substance dangereuse dans le déchet en cause. Ce faisant, la Cour précise que le détenteur du déchet n’est pas tenu de renverser une présomption de dangerosité de ce déchet.
Dès lors, la Cour en conclut que le détenteur d’un déchet dont la composition n’est pas d’emblée connue, doit, en vue de cette classification, déterminer ladite composition et rechercher les substances dangereuses qui peuvent raisonnablement s’y trouver afin d’établir si ce déchet présente des propriétés dangereuses :
« […] le détenteur d’un déchet susceptible d’être classé soit sous des codes correspondant à des déchets dangereux soit sous des codes correspondant à des déchets non dangereux, mais dont la composition n’est pas d’emblée connue, doit, en vue de cette classification, déterminer ladite composition et rechercher les substances dangereuses qui peuvent raisonnablement s’y trouver afin d’établir si ce déchet présente des propriétés dangereuses et peut, à cette fin, utiliser des échantillonnages, des analyses chimiques et des essais prévus par le règlement (CE) no 440/2008 de la Commission, du 30 mai 2008 […] »
Ainsi, le producteur ou détenteur du déchet est tenu de :
1) Réunir les informations relatives à la composition du déchet ;
2) Déterminer si ce dernier est une substance identifiée comme dangereuse ou contient des substances présentant des propriétés dangereuses ;
3) Classer le déchet en fonction de sa nature et de sa dangerosité.
Partant, l’évaluation du caractère dangereux présuppose de connaitre la composition du déchet afin de détecter les substances dangereuses qu’il contient, et il revient au producteur ou au détenteur du déchet de procéder aux vérifications nécessaires lorsque la composition de ce dernier n’est pas connue.
Notons enfin que cette obligation de classification est à la charge d’une personne privée, à savoir le producteur ou détenteur du déchet.
II. Sur l’interprétation du principe de précaution en l’absence de certitude quant à la dangerosité d’un déchet
Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi s’interroge en cas de doute ou d’impossibilité de déterminer avec certitude la présence ou non de substances dangereuses dans un déchet et demande si le déchet doit être classé et traité en tant que déchet dangereux, en vertu du principe de précaution.
Afin de répondre à cette question, la Cour rappelle tout d’abord que le principe de précaution constitue l’un des fondements de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement (Cf. article 191, paragraphe 2, TFUE).
La Cour relève également que l’application du principe de précaution nécessite d’identifier au préalable les conséquences potentiellement négatives pour l’environnement des déchets concernés et d’évaluer le risque pour l’environnement sur la base des données scientifiques disponibles les plus fiables et des résultats les plus récents de la recherche internationale.
La Cour précise ensuite que lorsque l’existence ou la portée du risque allégué ne peut être déterminée en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour l’environnement persiste, alors le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, à la condition qu’elles soient non discriminatoires et objectives.
Dès lors, la Cour en conclut que lorsque le détenteur d’un déchet se trouve dans l’impossibilité pratique de déterminer la présence de substances dangereuses ou d’évaluer ses propriétés dangereuses, alors le principe de précaution justifie que ce déchet soit classé en tant que déchet dangereux :
« Le principe de précaution doit être interprété en ce sens que lorsque, après une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, le détenteur d’un déchet susceptible d’être classé soit sous des codes correspondant à des déchets dangereux, soit sous des codes correspondant à des déchets non dangereux est dans l’impossibilité pratique de déterminer la présence de substances dangereuses ou d’évaluer les propriétés dangereuses présentées par ledit déchet, ce dernier doit être classé en tant que déchet dangereux.«
La Cour précise, enfin, qu’une telle impossibilité pratique ne peut découler du comportement du détenteur du déchet.
Laura Picavez
Avocate – Cabinet Gossement Avocats
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