En bref
Certificats d’économies d’énergie (CEE) : arrêté du 7 avril 2025 modifiant l’arrêté du 4 septembre 2014
Modification de l’arrêté tarifaire S21 : refonte majeure actée et à venir des conditions d’achat pour les installations sur toiture et ombrière inférieure ou égale à 500 kWc
Code minier : publication de l’arrêté du 3 avril 2025 soumettant les décisions d’octroi, d’extension ou de prolongation des concessions et permis exclusifs de recherches (PER) à évaluation environnementale
Déforestation importée : consultation publique sur un projet de règlement modifiant le règlement 2023/1115 (RDUE)
« Loi Duplomb » : le Gouvernement défend – de manière étrange – une « limitation » du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, devant le Conseil constitutionnel
Le Gouvernement vient de produire, ce 27 juillet 2025, devant le Conseil constitutionnel, ses observations (consultables ici : 2025-891 DC Observations du Gouvernement_PM) pour défendre la conformité à la Constitution – et notamment à la Charte de l’environnement – de la loi « Duplomb » visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur. Le Gouvernement a décidé d’adopter une position différente de celle du précédent Gouvernement qui, en 2016, avait longuement défendu l’interdiction de l’utilisation des substances néonicotinoïdes. Une position également différente.. de la sienne lorsqu’il défendait cette même interdiction, en 2025, devant le Conseil d’Etat. Le Gouvernement défend désormais l’autorisation sous conditions de ces substances néonicotinoïdes mais de manière assez étonnante. Le Gouvernement rappelle en effet dans ses observations les risques sanitaires et environnementaux de ces substances et la limitation qu’une telle mesure d’autorisation impose à l’exercice du droit de chacun à un environnement sain et équilibré, tel qu’inscrit à l’article 1er de la Charte de l’environnement.Une limitation que le Gouvernement tente de justifier au moyen d’arguments parfois assez surprenants. Ainsi, le Gouvernement n’hésite pas à suggérer que cette loi pourrait être conforme à la Constitution au motif … qu’elle ne sera peut être pas appliquée ou que les actes administratifs pris pour son application seront peut être annulés par le juge administratif. Un exercice d’équilibriste assez délicat qui permet au Gouvernement de défendre la loi sans toutefois trop endosser la responsabilité d’autoriser de nouveau des substances dont les risques ont été confirmés par le juge lui-même, qu’il s’agisse du Conseil d’Etat ou du Conseil constitutionnel. Analyse.
I. L’histoire de l’interdiction des substances néonicotinoïdes
1.1. L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits a été interdite à compter du 1er septembre 2018, aux termes de l’article 125 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Cet article 125 a été codifié à l’article L.253-8 du code rural et de la pêche. L’interdiction qu’il comporte a été assortie par le législateur d’une dérogation pouvant être accordée jusqu’au 1er juillet 2020 par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé.
Par une décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016 (Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages) le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la violation de la liberté d’entreprendre par cet article 125 : « (..) il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (point 37 de la décision).
Par un décret n° 2018-675 du 30 juillet 2018, le Gouvernement a publié la définition des substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les produits phytopharmaceutiques. Dans sa rédaction initiale et issue de ce décret du 30 juillet 2018, l’article D253-46-1 du code rural disposait que les substances de la famille des néonicotinoïdes mentionnées à l’article L.253-8 du même code sont les suivantes : Acétamipride ; Clothianidine ; Imidaclopride ; Thiaclopride ; Thiamétoxame.
1.2. L’article 83 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous a modifié la rédaction de l’article L.253-8 du code rural de manière, principalement, à ce que l’interdiction des néonicotinoïdes soit étendue aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et aux semences traitées avec ces produits.
Par un arrêté du 7 mai 2019 portant dérogation à l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits mentionnée à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, le Gouvernement a autorisé jusqu’au 1er juillet 2020 l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à base d’acétamipride bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché en vigueur pour l’usage considéré.
1.3. L’article 1er de la loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières a fait passer du 1er juillet 2020 au 1er juillet 2023 le terme de la période au cours de laquelle des dérogations peuvent être délivrées.
Par une décision n°2020-809 DC du 10 décembre 2020 le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les articles soumis à son contrôle de la loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, à certaines conditions.
- D’une part, ce qui est tout à fait remarquable, le Conseil constitutionnel a reconnu, aux termes de cette décision que les produits phytopharmaceutiques contenant des substances de la famille des néonicotinoïdes ont des incidences sur la biodiversité : « 19. Ces produits ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux ainsi que des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine. »
- D’autre part, le Conseil constitutionnel a précisément indiqué à quelles conditions le régime de dérogation à l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances de la famille des néonicotinoïdes, inscrit à l’article L.253-8 II du code rural, peut être conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Par un décret n° 2020-1601 du 16 décembre 2020, le Gouvernement a fixé une nouvelle liste des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances interdites en application de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime. Ces substances sont les suivantes : acétamipride ; flupyradifurone ; sulfoxaflor. Par une décision n°488238 du 5 juin 2025, le Conseil d’Etat a rejeté ce recours en annulation de décret du 16 décembre 2020.
1.3. Par une décision n°488338 du 5 juin 2025, le Conseil d’Etat a rejeté le recours par lequel le syndicat Phytéis a demandé l’annulation de la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté sa demande datée du 28 juin 2023 tendant à l’abrogation des dispositions du décret n° 2020-1601 du 16 décembre 2020 fixant la liste des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances interdites en application de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.
Par cette décision, le Conseil d’Etat a jugé qu’aucun changement de circonstances ni aucune nouvelle connaissance scientifique ne justifie une abrogation du décret du 16 décembre 2020. S’agissant spécialement de l’acétamipride dont l’autorisation est recherchée par la loi ici commentée, le Conseil d’Etat a souligné que les avis rendus par l’EFSA en 2022 et 2024 appellent une poursuite des recherches sur les risques sanitaires et environnementaux de cette substance :
« 15. S’agissant de l’acétamipride, le syndicat requérant se prévaut également d’un avis rendu par l’EFSA le 24 janvier 2022, faisant état de l’absence de preuve concluante d’une augmentation des risques causés par cette substance en ce qui concerne la santé humaine et l’environnement, par rapport à l’évaluation ayant conduit au renouvellement de l’approbation en 2018. Toutefois, il résulte des termes mêmes de cet avis qu’il relève également que la possibilité d’une sensibilité » inter-espèces » élevée des oiseaux et des abeilles à l’acétamipride pourrait nécessiter un examen plus approfondi et recommande l’étude de la sensibilité potentiellement plus élevée de la Megachile rotundata à cette substance par rapport à d’autres espèces d’abeilles. De plus, il ressort des pièces du dossier que, sur la base d’études scientifiques faisant état de la présence de métabolites de cette substance dans le liquide cérébrospinal de la grande majorité d’une cohorte d’enfants soignés pour un cancer lymphoïde, la Commission européenne a délivré un nouveau mandat à l’EFSA, le 29 juillet 2022, pour une assistance scientifique et technique sur le fondement de l’article 31 du règlement, et qu’il résulte de l’avis adopté par cette autorité le 15 mai 2024 que l’acétamipride est responsable d’effets moléculaires et cellulaires pouvant conduire à des effets néfastes au niveau de l’organisme et constitue dès lors une préoccupation de neurotoxicité développementale, de sorte que l’EFSA recommande de réduire la dose journalière admissible de 0,025 à 0,005 mg/kg de poids corporel et la limite maximale de résidus pour trente-huit produits agricoles pour lesquels un risque pour le consommateur a été identifié et souligne la nécessité de données supplémentaires pour aboutir à une évaluation appropriée des dangers et risques » (nous soulignons).
En définitive, par cette décision du 5 juin 2025, le Conseil d’Etat a jugé que l’Etat était bien fondé à interdire l’utilisation de néonicotinoïdes comme l’acétamipride. Rappelons en effet que de 2016 à 2020, le Gouvernement français a soutenu, notamment devant la Commission européenne que cette interdiction s’imposait. Il sera particulièrement délicat pour le Gouvernement de soutenir désormais, devant le Conseil constitutionnel qu’il faudrait, à l’inverse, l’autoriser sans condition de délai.
1.4. Le 8 juillet 2025, l’Assemblée nationale a définitivement adopté la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » dite « Loi Duplomb » du nom du sénateur Laurent Duplomb qui a déposé la version initiale de ce texte. Celui-ci comporte notamment un article 2 qui tend à créer un nouveau régime de dérogation à l’interdiction de principe de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances. La conformité de ce texte à la Charte de l’environnement a été plusieurs fois discutée au cours des débats parlementaires. Les trois dispositions les plus discutées de cette loi sont les suivantes :
- L’article 1er a pour objet principal la modification de l’organisation des activités de conseil et de vente de produits phytopharmaceutiques.
- L’article 2 a pour objet principal d’assouplir le régime de dérogation à l’interdiction à l’interdiction de principe de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances. Il permet notamment un assouplissement du régime de dérogation à l’interdiction de principe de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances.
- L’article 3 a pour objet principal de « simplifier » les conditions d’autorisation, au titre de la police des installations classées, des installations d’élevage. .
- L’article 5 a pour objet de faciliter l’autorisation d’ouvrages de stockage et de prélèvement d’eau en simplifiant l’octroi d’autorisations de déroger à l’interdiction de destructions d’espèces protégées.
1.5. En juillet 2025, le Conseil constitutionnel a été saisi de trois recours (saisines) dirigés contre la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur :
- Le 11 juillet 2025, un recours a été déposé par au moins soixante députés des groupes « La France insoumise – Nouveau Front
Populaire », « Ecologiste et Social » et « Gauche démocrate et républicaine » ; - Le 15 juillet, un recours a été déposé par au moins soixante députés du groupe « Socialistes et apparentés » ;
- Le 18 juillet, un recours a été déposé par au moins soixante sénateurs des groupes « Socialiste, Ecologiste et Républicain du Sénat », « Communiste Républicain Citoyen et Ecologiste – Kanaky » et « Ecologiste – Solidarité et Territoire ».
Les textes de ces trois recours peuvent être consultés sur le site du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel devrait rendre sa décision le 7 août 2025.
II. Le contenu de la nouvelle mesure de dérogation à l’interdiction de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes
C’est bien entendu l’article 2 de la proposition de loi, relatif à l’autorisation dérogatoire de substances néonicotinoïdes, qui a suscité les débats les plus vifs au cours de la discussion parlementaire de ce texte. Pour mémoire, l’article L.253-8 II du code rural dispose, pour l’heure, que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes est, par principe, interdite : «L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite ». Cette interdiction de principe a été maintenue.
Toutefois, l’article L.253-8 II du code rural prévoyait aussi que, jusqu’au 1er juillet 2023, un arrêté de dérogation pouvait être signé par les ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement pour autoriser, à titre dérogatoire, l’utilisation de ces produits. Aussi, depuis cette date, plus aucune dérogation ne pouvait être délivrée.
L’article 2 paragraphe II 2° de la loi ici commentée modifie la rédaction de l’article L.253-8 du code rural pour y insérer un II ter. Ce paragraphe II ter a, précisément, pour objet d’organiser un nouveau régime de dérogation à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes. Une autorisation d’utilisation de néonicotinoïdes pourra de nouveau être délivrée, par décret, aux conditions suivantes :
- La substance ne peut être autorisée en infraction aux règles du droit de l’Union européenne (article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009)
- La dérogation doit avoir un caractère exceptionnel.
- La dérogation doit être motivée par l’impératif de « faire face à une menace grave compromettant la production agricole».
- La dérogation est prise après avis public d’un « conseil de surveillance »
- La dérogation doit respecter les conditions suivantes : les alternatives disponibles à l’utilisation de ces produits sont inexistantes ou manifestement insuffisantes ; il existe un plan de recherche sur les alternatives à leur utilisation ; l’avis du conseil de surveillance porte notamment sur la condition tenant à l’existence d’une menace grave pour la production agricole et sur les conditions mentionnées aux 1° et 2°.
L’article 2 paragraphe II ter interdit en outre certains usages : « Dans des conditions définies par le ministre chargé de l’agriculture, le semis, la plantation et la replantation de végétaux attractifs d’insectes pollinisateurs sont temporairement interdits, pour une culture non‑pérenne, après l’emploi de produits contenant les substances mentionnées au II, y compris l’utilisation de semences traitées avec ces produits. »
On notera :
- d’une part, que l’autorisation dérogatoire d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes suppose la rédaction, la signature et la publication d’un décret. La présente loi organise cette dérogation mais ne la délivre pas directement. Un décret est donc requis et nul doute qu’il fera à son tour l’objet de recours devant le juge administratif. Un contentieux important est sans doute à prévoir.
- d’autre part, que cette autorisation pourra être délivrée à des conditions pour l’heure très imprécises : sans condition de durée ou de champ d’application géographique.
III. Le sens des observations du Gouvernement sur l’article 2 de la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur
Les observations que le Gouvernement vient de produire devant le Conseil constitutionnel retiennent l’attention à deux titres au moins.
- D’une part, le Gouvernement avait, en 2016, dans ses observations devant le Conseil constitutionnel sur l’article 125 de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, exposé longuement les risques consécutifs à l’utilisation des néonicotinoïdes et défendu très fermement leur interdiction. En 2025, il prend une position très différente. Certes la majorité présidentielle a changé entretemps ainsi que la composition du Gouvernement. Toutefois, un tel changement interroge quant à la continuité des politiques environnementales, agricoles et sanitaires.
- D’autre part, le Gouvernement défend désormais l’autorisation, à titre dérogatoire, de ces substances mais après avoir rappelé certains de leurs risques et avoir admis que l’article 2 de la loi soumise au contrôle du Conseil constitutionnel.
En ce mois de juillet 2025, la défense par le Gouvernement de l’article 2 de la loi loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur retient l’attention à plusieurs titres.
En premier lieu, le Gouvernement reconnaît que l’article 2 de la loi actuellement soumise au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnalité procède à une limitation du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré à l’article 1er de la Charte de l’environnement. Le point 24 de ses observations précise en effet :
« En premier lieu, en ouvrant la possibilité de déroger, par un acte réglementaire, à l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, lorsque ces produits contiennent des substances approuvées en application du règlement européen n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, ainsi qu’à l’interdiction de l’utilisation des semences traitées avec ces produits, le II ter de l’article L. 253-8 du CRPM vient effectivement limiter le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » (nous soulignons)
De manière assez surprenante, le Gouvernement développe – assez longuement – plusieurs des motifs pour lesquels cet article 2 limite ce droit de vivre dans un environnement sain et équilibré. Le Gouvernement reconnaît même que les substances dont il défend pourtant l’autorisation ont « des incidences sur la biodiversité , des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine. » comme l’avait relevé le Conseil constitutionnel aux termes de sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 (Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières) : « Les substances dont l’utilisation sous forme de produits phytopharmaceutiques est susceptible d’être autorisée par les dispositions contestées ont donc, comme vous l’aviez relevé à propos de celles concernées par la loi du 14 décembre 2020 au paragraphe 19 de votre décision précitée, des incidences sur la biodiversité, des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé humaine. »
Le Gouvernement prend également soin de rappeler l’analyse des risques réalisée par le Conseil d’Etat aux termes de sa décision n°488338 du 5 juin 2025 : « Les dernières informations disponibles sur les effets et les risques attachés à l’utilisation de ces trois substances ont été synthétisées par une récente décision des 3ème et 8ème chambres réunies de la section du contentieux du Conseil d’Etat, par laquelle celles-ci ont rejeté une
demande d’annulation du refus d’abroger le décret interdisant le recours à ces substances et dont se prévalent les parlementaires (5 juin 2025, Syndicat professionnel Phyteis, n° 488338, inédite au Recueil)« .
En deuxième lieu, le Gouvernement défend assez peu vigoureusement l’argument selon lequel des motifs d’intérêt général justifieraient cette limitation du droit de vivre dans un environnement sain et équilibré.
En réalité, le Gouvernement s’emploie surtout à citer les rapports du député Julien Dives qui a défendu cette loi devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale puis la Commission mixte paritaire. Manière de renvoyer la responsabilité de cette loi à ce député (notamment). C’est après avoir cité de nouveau les travaux de ce député que le Gouvernement conclut (page 20) : « Les dispositions de l’article 2 qui vous sont déférées visent donc à permettre aux filières qui ne disposent pas de solution alternative à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances néonicotinoïdes de poursuivre leurs activités, sans pâtir d’une concurrence déloyale des producteurs établis dans d’autres Etats membres de l’UE et autorisés à utiliser de telles substances. Vous avez déjà eu l’occasion de juger que la poursuite d’un tel objectif constitue un motif d’intérêt général. »
Rappelons que cette analyse du Gouvernement est absolument contraire à celle qu’il a défendu, en 2016 devant le Conseil constitutionnel et en 2025 devant le Conseil d’Etat.
En troisième lieu, le Gouvernement soutient que « eu égard aux garanties et limites dont elle est entourée, la limitation au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé résultant des dispositions contestées est proportionnée aux objectifs qu’elle poursuit. » (observations page 20 – nous soulignons)
Au moyen de longs développements, le Gouvernement promet de procéder à une interprétation des dispositions de cet article 2 qui soit la moins risquée possible pour l’environnement. Plus fort encore, le Gouvernement propose de lui-même au Conseil constitutionnel une réserve d’interprétation pour garantir que les conditions d’autorisation – et notamment celle relative à l’absence de « solution alternative » – soient lues par l’administration de manière à tenir compte des risques pour la santé et l’environnement et non pas uniquement des risques financiers pour les exploitants : « Vous pourriez, en cas de doute sur ce point, préciser par la voie d’une réserve d’interprétation que la notion « d’alternatives disponibles à l’utilisation de ces produits» figurant sous le II ter de l’article L. 253-8 ne saurait être définie de manière aussi restrictive que celle prévue au second alinéa de l’article L. 253-1 A du même code. » (observations page 22).
En quatrième lieu, au points 26 de ses observations, le Gouvernement donne le mode d’emploi (ou conseille ?) du recours à former contre la mesure réglementaire qui, pour l’application de cette loi, organisera la dérogation à l’interdiction d’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances néonicotinoïdes : « Enfin, il résulte du caractère réglementaire de l’acte pouvant ouvrir la dérogation prévue au II ter de l’article L. 253-8 qu’il sera, à tout moment, loisible à un requérant y ayant intérêt de saisir son auteur d’une demande d’abrogation [de l’acte réglementaire organisant la dérogation]« . Pour le Gouvernement, il semble donc que la possibilité qu’un recours soit formé devant le juge administratif contre un acte administratif d’application d’une loi soit un argument valable pour soutenir que ladite loi est conforme à la Constitution… Le Gouvernement n’oublie d’ailleurs pas de signaler qu’un référé peut être déposé : « Par ailleurs, cet acte pourra bien évidemment faire l’objet de recours en référé devant le Conseil d’Etat, en particulier de demandes de suspension formées en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative« . Nous frisons l’absurde.
Enfin, ultime argument du désespoir, le Gouvernement soutient que…. la loi pourrait rester lettre morte ! A la page de ses observations, le Gouvernement n’hésite pas à écrire qu’il n’est pas certain que les filières citées dans la presse bénéficient d’une dérogation : « S’agissant des filières visées par la loi déférée, la presse rapporte que les filières aujourd’hui demandeuses sont celles qui produisent des betteraves, des noisettes, des asperges, des pommes et des cerises. Mais il n’est pas établi, à ce stade, qu’elles répondent toutes aux critères pour pouvoir bénéficier de la dérogation. En outre, d’autres filières pourraient elles aussi présenter des demandes (figues). »
Ainsi, le Gouvernement n’hésite pas à suggérer qu’une loi pourrait être conforme à la Constitution au motif … qu’elle ne sera peut être pas appliquée ou que les actes administratifs pris pour son application seront peut être annulés par le juge administratif.
Arnaud Gossement
avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
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