Une commune a-t-elle le droit de contribuer au financement d’une société de production d’énergies renouvelables alors qu’elle a transféré sa compétence « énergies renouvelables » à un établissement public de coopération intercommunale ? (TA Rennes, 25 janvier 2024, n°23NT01257 et CAA Nantes, 19 avril 2024, n°23NT01257)

Avr 22, 2024 | Environnement

Par un arrêt n°23NT01257 rendu ce 19 avril 2024, la cour administrative d’appel de Nantes a jugé que les dispositions combinées de ces articles L.2224-32 et L.2253-1 du code général des collectivités territoriales autorisent une commune a participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, même lorsque la compétence « énergies renouvelables » a été transférée à un syndicat mixte.Une solution contraire à celle retenue par le tribunal administratif de Rennes, aux termes d’un jugement n°2300530 du 25 janvier 2024. Commentaire. 

Résumé

1. L’article L.2224-32 du code général des collectivités territoriales a trait à la compétence « énergies renouvelables » qui peut être exercée par une commune. Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent ainsi exploiter ou faire exploiter une installation de production d’énergie renouvelable.

2. Pour l’Etat, en cas de transfert de cette compétence à un établissement public de coopération intercommunal, la commune ne peut plus exercer cette compétence et, par conséquent, ne peut plus légalement décider de participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables (Question écrite n°10165 – 15e législature et réponse du ministre de la transition écologique publiée le 17 septembre 2020).

3. Par un jugement n°2300530 du 25 janvier 2024, le tribunal administratif de Rennes a jugé qu’une commune ne peut pas décider de participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables après s’être dessaisie de sa compétence « énergies renouvelables » au profit d’une communauté de communes  (cf. notre interview par la Gazette des communes).

4. Par un arrêt n°23NT01257 rendu ce 19 avril 2024, la cour administrative d’appel de Nantes a, à l’inverse, jugé que les dispositions combinées de ces articles L.2224-32 et L.2253-1 du code général des collectivités territoriales autorisent une commune a participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, même lorsque la compétence « énergies renouvelables » a été transférée à un syndicat mixte.

Commentaire

A titre liminaire, il importe de souligner que, dans ces deux affaires, les textes dont l’interprétation était requise par les juges administratifs saisis sont les suivants. 

En premier lieu, l’article L.2224-32 du code général des collectivités territoriales (dans sa rédaction applicable à la date de la délibération en litige) a trait à la compétence « énergies renouvelables » qui peut être exercée par une commune. Cet article dispose que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent ainsi exploiter ou faire exploiter une installation de production d’énergie renouvelable : 

« Sous réserve de l’autorisation prévue à l’article 7 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 précitée, les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres, peuvent, outre les possibilités ouvertes par les douzième et treizième alinéas de l’article 8 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter dans les conditions prévues par le présent code toute nouvelle installation hydroélectrique, toute nouvelle installation utilisant les autres énergies renouvelables, toute nouvelle installation de valorisation énergétique des déchets ménagers ou assimilés mentionnés aux articles L. 2224-13 et L. 2224-14, ou toute nouvelle installation de cogénération ou de récupération d’énergie provenant d’installations visant l’alimentation d’un réseau de chaleur dans les conditions fixées par le dixième alinéa (6°) de l’article 8 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée lorsque ces nouvelles installations se traduisent par une économie d’énergie et une réduction des pollutions atmosphériques. (…) « .

En deuxième lieu, l’article L.2253-1 du même code (dans sa rédaction applicable) dispose qu’une commune peut participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, par dérogation à l’interdiction de principe des participations d’une commune au capital d’une société commerciale : 

« Sont exclues, sauf autorisation prévue par décret en Conseil d’Etat, toutes participations d’une commune dans le capital d’une société commerciale et de tout autre organisme à but lucratif n’ayant pas pour objet d’exploiter les services communaux ou des activités d’intérêt général dans les conditions prévues à l’article L. 2253-2. / (…) / Par dérogation au premier alinéa, les communes et leurs groupements peuvent, par délibération de leurs organes délibérants, participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe. (…) « 

La question de droit est donc la suivante : une commune peut-elle décider de participer au capital d’une société commerciale de production d’énergies renouvelables lorsqu’elle a transféré sa compétence « énergies renouvelables » – visée à l’article L.2224-32 du code général des collectivités territoriales.

La position de l’Etat, exprimée par la voie du ministre de la transition écologique répondant, le 17 septembre 2020, à une question parlementaire était la suivante : « Néanmoins, dans les deux cas, la participation de la commune au capital de la société n’est possible que dans la mesure où elle n’a pas transféré la compétence en matière de production d’énergie renouvelable à un EPCI, auquel cas seul ce dernier est habilité à prendre des participations en application du principe d’exclusivité. » (Question écrite n°10165 – 15e législature et réponse du ministre de la transition écologique publiée le 17 septembre 2020).

Cette position de l’Etat est aussi celle adoptée par le tribunal administratif de Rennes. Alors que la cour administrative d’appel de Nantes s’en est écartée.

I. La solution retenue par le tribunal administratif de Rennes (jugement n°2300530 du 19 janvier 2024)

A. Les faits et la procédure
6 septembre 2022 : délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de V. a décidé d’autoriser la participation de la commune au capital de la société par actions simplifiées (SAS) P. de V., dont l’objet social consiste en la réalisation, la maintenance et l’exploitation de centrales photovoltaïques au sol, sur toiture ou en ombrière, situées sur le territoire communal
10 novembre 2022 : courrier par lequel le sous-préfet de B. a notamment demandé au maire de la commune de V., au titre du contrôle de légalité, d’inviter le conseil municipal à retirer cette délibération. 
2 janvier 2023 : refus opposé par le maire de V.. Déféré préfectoral.
19 janvier 2024 : jugement n°2300530 du 19 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif de Rennes annule La délibération du 6 septembre 2022 du conseil municipal de la commune de V. relative à la participation de la commune au capital de la SAS P. de V. 
B. La commune ne peut pas décider de participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables après s’être dessaisie de sa compétence « énergies renouvelables » au profit d’une communauté de communes

« 4. Il ressort des pièces du dossier que les communes membres de la communauté de communes de J. ont transféré à cet établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ainsi qu’il résulte de l’arrêté préfectoral du 26 août 2022 portant modification de statuts, une compétence exclusive en matière de transition écologique et énergétique et plus particulièrement celle consistant à « soutenir et financer des actions de maîtrise de la demande d’énergie et de production d’énergies renouvelables » et à « aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter, participer et/ou soutenir toute installation de production d’énergies renouvelables seul ou avec d’autres partenaires, publics ou privés. ». Ainsi, à compter du 1er septembre 2022, conformément aux dispositions précitées de l’article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales, la communauté de communes de J. était substituée de plein droit aux communes qui en sont membres dans toutes leurs délibérations et actes relatifs à cette compétence en matière de production d’énergies renouvelables. Dans ces conditions, la délibération du 6 septembre 2022 du conseil municipal de la commune de V. qui prévoit la participation au capital de la SAS P. de V., dont l’objet social consiste en la réalisation, la maintenance et l’exploitation de centrales photovoltaïques au sol, sur toiture ou en ombrière, situées sur le territoire communal, est intervenue dans une matière dont la commune avait décidé de se dessaisir. La commune de V. ne saurait ainsi utilement soutenir que les dispositions de l’article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales permettent l’exercice d’une compétence partagée des communes et des EPCI s’agissant de la participation au capital d’une société de production d’énergie renouvelable, compte tenu du transfert volontaire et intégral de cette compétence à la communauté de communes de J.. » (nous soulignons)

Il convient de souligner que, pour le tribunal administratif, le transfert de compétences équivaut un « dessaisissement dans une matière » de la commune. En outre, le jugement souligne que l’article L.2224-32 du code général des collectivités territoriales permettent pas non plus l’exercice d’une compétence partagée des communes et des EPCI.

II. La solution retenue par la cour administrative d’appel de Nantes (arrêt n°23NT01257 du 19 avril 2024)

A. Les faits et la procédure

6 mai 2021 : délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de C. a décidé de souscrire au capital de la société X – productrice de biogaz – et de lui verser une première avance en compte-courant d’associé 
31 mai 2021 : courrier par lequel le préfet de Y a demandé au maire d’inviter le conseil municipal de la commune à retirer cette délibération. 
15 juillet 2021 : courrier par lequel le maire a rejeté cette demande. Recours du préfet
1er mars 2023 : jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la délibération du conseil municipal de C. du 6 mai 2021 ainsi que la décision du maire d’organiser le retrait de cette délibération. 
19 avril 2024 : arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête du préfet. 
B. Une commune peut participer au financement d’une société de production d’énergies renouvelables, même après avoir transféré sa compétence « énergies renouvelables » à un syndicat mixte

L’interprétation des articles L.2224-32 et L.2253-1 du code général des collectivités territoriales : une commune peut participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, même en cas de transferts à un EPCI de sa compétence « énergies renouvelables ». Pour la cour administrative d’appel de Nantes, les dispositions combinées de ces articles L.2224-32 et L.2253-1 du code général des collectivités territoriales autorisent une commune a participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, même lorsque la compétence « énergie renouvelable » a été transférée à un syndicat mixte. 

Le point 4 de son arrêt ici commenté précise :

« 4. D’une part, il ressort des termes de l’article L.2253-1 du code général des collectivités territoriales que ce dernier, qui pose des conditions de manière limitative et exclusive, n’a pas entendu imposer que seules les collectivités ayant la compétence en matière d’énergies renouvelables en vertu de l’article L. 2224-32 du même code puissent participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables. Ainsi, la circonstance que la compétence prévue à l’article L. 2224-32 du code général des collectivités territoriales aurait été transférée par la commune de C. au syndicat mixte est sans influence sur la légalité de la délibération du 6 mai 2021. » (nous soulignons)

Le point 5 rappelle, de manière plus générale, que l’article L.2253-1 du code général des collectivités territoriales autorise ce type d’intervention :

« 5. D’autre part, les dispositions de l’article L.2253-1 du code général des collectivités territoriales définissent des modalités d’intervention dans le champ économique et permettent l’intervention des communes et de leurs groupements.« 

L’application au cas d’espèce : la commune de C. pouvait légalement participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables. Pour la cour administrative d’appel de Nantes, la commune de C était, en l’espèce, en droit de participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, et ce, pour deux motifs. 

En premier lieu, comme cela a été précédemment souligné, la circonstance que la commune de C. ait, éventuellement, transféré sa compétence « énergies renouvelables » à un EPCI, est sans incidence sur la légalité de la délibération de son conseil municipal de participer au capital de la société X.

En second lieu, le préfet n’a semble-t-il pas rapporté la preuve que la compétence « énergies renouvelables » a été effectivement transférée à un syndicat mixte par la commune de C. La seule lecture de l’article 4 des statuts du syndicat mixte

« 3. Aux termes de l’article 4 des statuts du syndicat mixte [..], dont la commune de C. est membre, le syndicat mixte est  » autorisé à prendre des participations dans des sociétés commerciales ou coopératives dont l’objet social concerne l’un de ses domaines d’intervention selon les modalités légales et réglementaires en vigueur et, en particulier, les dispositions de l’article L.2253-1 du code général des collectivités territoriales (…) « .
Ainsi, les dispositions de l’article 4 des statuts du syndicat mixte […], qui ne font que rappeler les règles posées à l’article L. 2253-1 du code général des collectivités territoriales, ne peuvent être regardées comme un transfert de compétence de la commune au syndicat mixte. 
6. Par conséquent, le moyen tiré de ce que la commune de C. n’était plus compétente en matière d’énergies renouvelables et ne pouvait donc pas participer au capital de la société X doit être écarté.« 
Le recours du préfet est donc rejeté et la légalité de la délibération du conseil municipal de la commune de C. est confirmée.
Conclusion : les solutions adoptées par le tribunal administratif de Rennes et la cour administrative d’appel de Nantes sont contraires, s’agissant de l’interprétation des articles L.2224-32 et L.2253-1 du code général des collectivités territoriales. Une intervention, soit du Conseil d’Etat, soit du législateur serait précieuse pour préciser si une commune, après avoir adhéré à un EPCI compétent en matière de transition énergétique peut décider de participer au capital d’une société de production d’énergies renouvelables, soit parce que ce transfert de compétences ne la prive jamais de ce droit, soit parce que l’exercice partagé de cette compétence peut être rendu possible.
Arnaud Gossement
Avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
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