Urbanisme : une décision rare d’indemnisation de la victime d’un recours abusif sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme (CAA de Versailles)

Oct 25, 2019 | Droit de l'Urbanisme

Dans un arrêt rendu n° 18VE01741 le 3 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé la mise en œuvre de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, aujourd’hui encore très rare, en indemnisant le préjudice moral du bénéficiaire d’un permis d’aménager à hauteur de 3 000 euros en raison d’un recours abusif contre celui-ci.

L’article L. 600-7 du code de l’urbanisme a été créé par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, afin de permettre au bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme d’obtenir l’indemnisation de son préjudice devant le juge administratif en cas de recours abusif exercé contre cette autorisation.

En pratique, depuis sa création, cet article a très peu été mis en œuvre par le juge administratif, en raison de conditions particulièrement exigeantes à démontrer par le défendeur :

• la mise en œuvre du droit de former un recours pour excès de pouvoir dans des conditions qui  » excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant  » ;
• ainsi qu’un préjudice  » excessif  » qu’il subit du fait de ce recours.

A la suite de ce constat, cet article a été modifié par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « ELAN », portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, afin de pouvoir bénéficier d’une mise en œuvre plus concrète. Ses conditions, en principe assouplies, sont désormais rédigées dans les termes suivants :

 » Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. […] « 

L’arrêt commenté est une des rares illustrations de l’application de cet article L. 600-7, dans ses rédactions antérieure comme actuelle.

En l’espèce, un permis d’aménager avait été délivré à une société civile immobilière par un maire. Une association de contribuables locale avait contesté cette autorisation devant le tribunal administratif de Versailles.
Par un jugement du 16 septembre 2016, le tribunal avait rejeté la demande de l’association et l’avait condamnée à verser à la SCI la somme de 3 000 euros, sur le fondement des anciennes dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme.
Une requête d’appel avait été formée par l’association, rejetée par ordonnance du président de la deuxième chambre de la cour administrative d’appel de Versailles.
Le Conseil d’Etat avait annulé cette ordonnance et renvoyé l’affaire devant la même cour, qui a ensuite rendu l’arrêt commenté.

Dans ce dernier, la cour administrative d’appel de Versailles identifie les nombreuses failles de la requête présentée par l’association :

• En premier lieu, le recours avait été déposé tardivement au tribunal administratif.

• En deuxième lieu, alors même que la commune avait soulevé une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir du président de l’association, cette dernière n’avait pas justifié de l’habilitation de son président à agir en justice.

• En troisième lieu, l’objet social de l’association tend à la défense des intérêts des contribuables dans plusieurs domaines, et il n’avait pas été démontré que le permis d’aménager en litige comportait par lui-même un engagement de dépenses pour la communes. Le défaut d’intérêt donnant qualité pour agir à l’association était donc patent.

• En quatrième lieu, l’association n’avait pas démontré que, conformément à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, elle avait notifié son recours à la SCI bénéficiaire du permis contesté.

A la suite de cette démonstration, la cour administrative d’appel de Versailles conclut sur l’application de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme nouvellement rédigé, vis-à-vis des deux conditions exigées par l’article :

  • Elle démontre qu’en l’espèce, le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre le permis d’aménager doit être regardé comme ayant été mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part de l’association requérante, dès lors que sa demande est « entachée de nombreuses irrecevabilités et excédant notamment son objet social » et qu’elle a été présentée « après un rejet confirmé en appel également pour irrecevabilité d’un précédent recours formé contre un premier permis d’aménager » accordé à la même SCI en 2011.
  • Elle confirme l’estimation du préjudice moral de la SCI à hauteur de 3 000 euros, dès lors que celle-ci,  » dans l’attente de pouvoir disposer d’un permis ayant acquis un caractère définitif, n’a toujours pas pu mener à bien son projet d’aménagement et de vente de la parcelle à lotir « .

Pour autant, il convient de souligner que, malgré la réécriture de cet article L. 600-7 du code de l’urbanisme, son application pratique reste encore très rare, comme l’illustre un arrêt rendu par la cour administrative de Paris le même jour qui, à l’inverse, refuse l’indemnisation du préjudice du défendeur sur ce fondement. 

Camille Pifteau

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