Désinformation climatique : la diffusion sans contradiction de propos niant l’existence du changement climatique dû aux activités humaines est une faute (Conseil d’Etat, 6 novembre 2025, n°497471)

Nov 10, 2025 | Droit de l'Energie – Climat

Par une décision n°497471 rendue ce 6 novembre 2025, le Conseil d’Etat a rejeté le recours par lequel la société Sesi – qui exploite la chaîne de télévision « CNews » – a demandé l’annulation de la sanction de 20 000 euros prononcé par l’ARCOM saisie par l’association Quota climat, à la suite d’une émission au cours de laquelle un invité se présentant comme économiste a contesté, sans contradiction « l’existence d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines, niant son caractère scientifiquement établi et la qualifiant de mensonge et d’escroquerie, imputable à un complot destiné à justifier l’intervention de l’Etat dans la vie quotidienne des citoyens et qui s’apparenterait à une forme de totalitarisme. » Une décision qui constitue une première et rappelle que les médias sont tenus de distinguer les faits des opinions. Commentaire.

Commentaire général

1. Par une décision Par une décision n°497471 rendue ce 6 novembre 2025, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité de la sanction prononcée contre l’exploitant de la chaine CNews en raison de propos niant l’existence du changement climatique d’origine humaine.

2. Cette sanction de la désinformation climatique est une première. Elle présente l’intérêt d’imposer une distinction entre les faits scientifiques et les opinions. Une exigence particulièrement importante à l’endroit de médias d’opinions qui entretiennent régulièrement la confusion entre les opinions qu’ils diffusent et les faits. Elle oblige aussi les médias à assurer la contradiction lorsque de tels propos sont tenus.

3. Cette sanction, par son caractère proportionné, permet aussi d’assurer le nécessaire équilibre entre liberté d’expression et devoir d’information.

4. A notre sens, ce contentieux révèle un point commun entre le « greenwashing » et ce que l’on pourrait qualifier de « greenlying » à savoir : cette absence de distinction entre les faits et les chimères.

Commentaire détaillé

I. Les faits et la procédure

8 août 2023 : lors de l’émission « Punchline été » diffusée le 8 août 2023 sur CNEWS, un invité a contesté « a, à deux reprises, contesté l’existence d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines, niant son caractère scientifiquement établi et la qualifiant de mensonge et d’escroquerie, imputable à un complot destiné à justifier l’intervention de l’Etat dans la vie quotidienne des citoyens et qui s’apparenterait à une forme de totalitarisme. » (point 5)

Le texte de la décision de l’ARCOM comporte les précisions suivantes : « 5. Il ressort du compte rendu de visionnage de l’émission « Punchline Eté» diffusée le 8 août 2023 qu’une séquence a été consacrée à l’information selon laquelle le mois de juillet 2023 avait été le mois le plus chaud jamais enregistré. Au cours de cette séquence, l’un des intervenants a contesté l’influence anthropique sur le réchauffement climatique en déclarant notamment : « Le réchauffement climatique anthropique est un mensonge, une escroquerie, à un moment il va falloir poser les choses scientifiquement, c’est pas une loi de la science […] » ; « Il y a un réchauffement climatique depuis le milieu du XIXème siècle, mais qui suit un mini âge glacière, […] donc le climat a toujours évolué, il va continuer de le faire, mais nous expliquer que c’est à cause de l’Homme ça non, ça c’est de l’ordre du complot, et pourquoi ça a autant de poids ? Parce que ça justifie l’intervention de l’Etat dans notre vie, et ça aussi absout l’Etat de devoir diminuer ses dépenses publiques. Elisabeth Borne a annoncé qu’on allait dépenser 60 milliards d’euros par an pour lutter contre la… contre ce soi-disant réchauffement, comme ça l’Etat dit « bah j’peux pas faire d’économies y a le réchauffement », c’est très pratique et puis ça permet d’intervenir dans l’agenda, dans la vie des gens, l’habitation, le transport, l’industrie, l’agriculture et c’est… pour moi c’est une forme de
totalitarisme. Moi qui suis un économiste libéral, c’est une forme de totalitarisme. ». Ces propos de l’intervenant sur l’absence d’influence humaine sur le réchauffement climatique n’ont suscité aucune réaction de la part des autres personnes présentes en plateau. »

Des propos repérés par l’association Quota Climat qui avait alors saisi l’ARCOM aux fins de sanction de l’éditeur de la chaîne sur laquelle a été diffusée cette émission (cf. communiqué de Quota climat).

3 juillet 2024 : par une décision n° 2024-656 l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a infligé à la société d’exploitation d’un service d’information (SESI), exploitante du service CNEWS, une sanction pécuniaire d’un montant de 20 000 euros. La décision précise que « cette somme sera affectée au Centre national du cinéma et de l’image animée en application de l’article L. 116-5 du code du cinéma et de l’image animée« .

3 septembre 2024 : la société d’exploitation d’un service d’information (SESI) a demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette décision de l’ARCOM

6 novembre 2025 : décision par laquelle le Conseil d’Etat a rejetée la requête de la SESI et l’a condamnée à verser à l’Arcom la somme de 3 000 euros titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

A noter : par une autre décision n°497472 rendue également ce 6 novembre 2025, le Conseil d’Etat a rejeté une autre requête de la société SESI tendant à l’annulation de la décision n° 2024-655 du 3 juillet 2024 par laquelle l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) lui a infligé une sanction pécuniaire d’un montant de 60 000 euros à la suite de la séquence litigieuse de l’émission  » La Matinale du week-end « , dans laquelle deux chroniqueurs « ont affirmé, de manière péremptoire et sans qu’aucune contradiction ne leur soit portée, que l' » immigration tue « « .

II. La solution retenue

Les développements qui suivent sont consacrés

  • d’une part au rappel de la règle de droit ici appliquée qui doit conduire un éditeur à distinguer les faits des opinions (notamment) ;
  • d’autre part, à l’analyse de la manière dont le Conseil d’Etat a présenté les faits litigieux avant de rejeter le recours formé devant lui

A.Sur le cadre juridique

Ce cadre juridique est exposé aux points 2 et 3 de la décision du Conseil d’Etat

  • L’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit une procédure de mise en demeure des éditeurs : « Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. « 
  • L’article 42-1 de la même loi attribue un pouvoir de sanction au CSA devenu ARCOM : « Si la personne faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l’objet d’une mise en demeure, une des sanctions suivantes : / (…) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’édition ou de la distribution du ou des services ou d’une partie du programme (…) « .
  • L’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 dispose : « Le Conseil supérieur de l’audiovisuel garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de la présente loi. (…) « .
  • L’article 1er de la délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent précise : « L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent. (…) / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. / Il veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne« .
  • L’article 2-3-7 de la convention conclue le 27 novembre 2019 entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la société d’exploitation d’un service d’information (SESI) pour l’exploitation du service de télévision dénommé  » CNEWS « , diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique précise : « L’exigence d’honnêteté s’applique à l’ensemble des programmes. L’éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.« 
  • L’article 2-2-1 de la même convention précise : « L’éditeur est responsable du contenu des émissions qu’il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne.« 

A propos des stipulations de cette convention, le Conseil d’Etat prend soin de souligner que l’éditeur est tenu de distinguer, s’agissant des questions prêtant à controverse, les faits des commentaires : « Ces stipulations ainsi que les dispositions auxquelles elles renvoient ne font pas obstacle à la définition par l’éditeur du service conventionné d’une ligne éditoriale qui peut le conduire à faire intervenir à l’antenne des personnalités développant les thèses les plus controversées, dont les propos ne sauraient être regardés comme relevant par eux même de la présentation et du traitement de l’information par l’éditeur du service. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l’information, concourent à son traitement, même sous l’angle de la polémique, de n’aborder les questions prêtant à controverse qu’en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l’expression de points de vue différents. » (nous soulignons)

B. La présentation des faits litigieux

La présentation des faits litigieux par le Conseil d’Etat est réalisée au point 5 de la décision ici commentée :

« 5. En second lieu, au cours de la séquence litigieuse, consacrée à l’information selon laquelle le mois de juillet 2023 avait été le mois le plus chaud jamais enregistré à cette date, M. A…, invité de l’émission présenté comme  » économiste », a, à deux reprises, contesté l’existence d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines, niant son caractère scientifiquement établi et la qualifiant de mensonge et d’escroquerie, imputable à un complot destiné à justifier l’intervention de l’Etat dans la vie quotidienne des citoyens et qui s’apparenterait à une forme de totalitarisme. Ni le présentateur ni les autres invités de l’émission n’ont apporté de contradiction à ces propos grossièrement erronés et manifestement non conformes aux données acquises de la science, au surcroît accompagnés de propos de caractère complotiste.« 

Cette présentation des faits est très intéressante à plusieurs égards en ce qu’elle a permet de caractériser les éléments de la faute commise l’éditeur, la société SESI.

En premier lieu, on notera que le Conseil d’Etat prend soin de relever la qualité professionnelle sont se prévaut la personne auteurs des propos en cause : « M. A…, invité de l’émission présenté comme  » économiste ». Outre l’incertitude relative à la réalité de cette qualité professionnelle cette précision a son importance : un économiste n’a évidemment pas la même légitimité qu’un climatologue pour parler du climat et prétendre en parler comme expert. On soulignera que les climatosceptiques ont un point commun : ils ne sont pas climatologues.

En deuxième lieu, la faute tient à ce que l’éditeur a permis à cette personne de nier un fait scientifique. Cette dernière a en effet :

  • contester « l’existence d’un réchauffement climatique dû aux activités humaines »,
  • nier « son caractère scientifiquement établi »
  • la qualifier « de mensonge et d’escroquerie, imputable à un complot destiné à justifier l’intervention de l’Etat dans la vie quotidienne des citoyens et qui s’apparenterait à une forme de totalitarisme ».

Cette précision est importante  : s’il est permis de débattre d’opinions, il est interdit de nier ainsi sans aucune contradiction ce qui est un fait scientifique.Cette négation ne peut être assimilée à une simple erreur dés lors que l’auteur des propos a tenu plusieurs propos erronés

En troisième lieu, la faute de l’éditeur tient à l’absence de toute contradiction de ces propos : « Ni le présentateur ni les autres invités de l’émission n’ont apporté de contradiction à ces propos grossièrement erronés et manifestement non conformes aux données acquises de la science, au surcroît accompagnés de propos de caractère complotiste« .

Cette précision appelle les remarques suivantes :

  • d’une part, le Conseil d’Etat souligne que la contradiction aurait dû venir, soit du présentateur, soit des autres invités de l’émission, lesquels n’ont malheureusement rien dit
  • d’autre part, la contradiction était d’autant plus importante que les propos litigieux étaient « grossièrement erronés et manifestement non conformes aux données acquises de la science, au surcroît accompagnés de propos de caractère complotiste«  »

C. Sur le bien fondé de la décision de l’ARCOM

Le bien fondé de la sanction prononcée par l’ARCOM est confirmé par le Conseil d’Etat. Non seulement les faits litigieux justifiaient par leurs caractéristiques précitées une intervention de l’ARCOM mais, au surplus, la sanction prononcée était conforme au principe de proportionnalité :

« En estimant que la diffusion, dans ces conditions, de tels propos caractérisait une méconnaissance par l’éditeur du service des obligations résultant pour lui des stipulations des articles 2-3-7 et 2-2-1 de la convention du 27 novembre 2019, relatifs respectivement à l’exigence d’honnêteté de l’information et à la maîtrise de l’antenne, justifiant l’infliction d’une sanction pécuniaire d’un montant de 20 000 euros, l’Arcom n’a pas fait une inexacte application des pouvoirs qu’elle tient de l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986, ni retenu une sanction disproportionnée, ni porté une atteinte excessive à la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.« 

Ainsi, la sanction prononcée et dont la société SESI demandait l’annulation était proportionnée et ne portait pas une atteinte excessive à la liberté d’expression. Ce qui permet d’assurer un équilibré entre liberté d’expression et devoir d’information. La désinformation climatique ainsi condamnée, cette décision du Conseil d’Etat permettra, espérons-le, de prévenir plus efficacement ce type de comportement dans les médias.

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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