A69 : le Gouvernement peut-il faire échec à l’exécution du jugement du tribunal administratif de Toulouse au moyen d’une loi de validation ?

Mar 14, 2025 | Environnement

Plusieurs parlementaires ont annoncé qu’ils déposeraient une proposition de « loi de validation » pour faire échec à l’exécution du jugement par lequel, ce 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’arrêté du 1er mars 2023 par lequel le préfet de la région Occitanie, le préfet de la Haute-Garonne et le préfet du Tarn, ont autorisé la société concessionnaire à réaliser les travaux de construction de la liaison autoroutière de Verfeil à Castres, dite « A 69 ». Une démarche soutenue par le Gouvernement. Le point sur le parcours à venir de cette loi de validation et les conditions à réunir pour qu’elle produise les effets attendus par ses auteurs.

Une loi de validation a, historiquement, pour objet de prévenir l’annulation par le juge administratif de certaines décisions administratives. Certaines décisions prises par l’administration sont parfois illégales pour un motif « mineur » par, exemple, un vice de procédure de minime importance. L’annulation d’une décision pour un motif de minime importance peut apparaître comme étant disproportionnée. Ainsi, si la procédure d’organisation d’un concours d’accès à la fonction publique est affectée d’un vice de procédure, il peut parfois sembler excessif de demander à tous les candidats de revenir composer.  Une loi de validation n’a en principe pas pour objet de faire échec au principe de séparation des pouvoirs et d’influer sur le cours d’une procédure juridictionnelle déjà engagée avant son vote.

Au cas présent, il faut rappeler que, par un jugement rendu ce 27 février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a annulé, à la demande d’associations, l’arrêté du 1er mars 2023 par lequel le préfet de la région Occitanie, le préfet de la Haute-Garonne et le préfet du Tarn, ont autorisé la société concessionnaire à réaliser les travaux de construction de la liaison autoroutière de Verfeil à Castres, dite « A 69 » (cf. notre commentaire) Cette autorisation environnementale comporte en effet une autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées illégale : le projet ne répond pas à « une raison impérative d’intérêt public majeur ». Or, il s’agit de l’une des trois conditions à satisfaire pour qu’une autorisation de déroger puisse être légalement délivrée sur le fondement de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Les travaux doivent donc être suspendus, le temps pour la cour administrative d’appel saisie d’un recours en appel, de se prononcer sur une éventuelle demande de sursis à exécution du jugement.

Une loi de validation de l’arrêté d’autorisation environnementale du 1er mars 2023 aura donc pour objet d’en prévenir l’annulation par le juge administratif.

Sur le plan politique, il est préoccupant que des parlementaires tentent ainsi de faire échec à l’exécution d’une décision de justice – le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse – au moyen d’une loi de validation. Que l’on soit favorable ou non à ce projet d’autoroute, chacun devrait reconnaître que, dans un Etat de droit, c’est la requête d’appel puis le pourvoi en cassation qui sont les instruments légaux et légitimes de contestation d’un jugement. Dés l’instant où l’Etat a annoncé le dépôt d’une requête d’appel mais aussi celui d’une requête en sursis à exécution du jugement précité, il serait sage et respectueux du principe de séparation des pouvoirs qu’il attende le résultat de ces deux procédures.

Sur le plan du droit, le parcours de cette loi de validation sera composé de plusieurs étapes.

En premier lieu, il sera nécessaire que cette loi soit votée avant que la cour administrative d’appel ne se prononce sur la requête d’appel que l’Etat et la société concessionnaire ont introduit devant elle. Pour l’heure, il n’est pas certain qu’une majorité de sénateurs et de députés sera enclin à voter un texte qui représente une mise en cause grave de notre Etat de droit. Que l’on soit pour ou contre le projet d’autoroute A69  : le recours à la loi de validation pour faire échec à l’exécution d’une décision de justice peut choquer.

En deuxième lieu, cette loi sera sans doute soumise, par des parlementaires, au Conseil constitutionnel, entre la date de son adoption par les deux assemblées et la date de sa promulgation. Le Conseil constitutionnel sera alors saisi de la question de savoir si cette loi est ou non conforme aux textes, objectifs et principes qui composent le « bloc de constitutionnalité » :

Par le passé, le Conseil constitutionnel a déjà été saisi, avant (DC) ou après (QPC) promulgation d’une loi de validation de la question de sa conformité à la Constitution. Par une décision du 24 novembre 2023, il a rappelé quelles sont les conditions qu’une loi de validation doit respecter pour être déclarée conforme à la Constitution:

« 4. Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. En outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie » (cf. CC, 24 novembre 2023, Groupement foncier agricole J. et autres, n°2023-1071 QPC).

Ainsi aux termes de cette décision, la validation (ou la modification) par la loi d’un acte administratif doit respecter les exigences suivantes pour être conforme à l’article 16 de la Déclaration de 1789 :

  • Elle doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée ;
  • Elle doit respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ;
  • L’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation  doit être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général;
  • L’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ;
  • La portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.

Au cas présent, la condition qui sera sans doute la plus délicate à satisfaire sera celle relatif à la justification par un « motif impérieux d’intérêt général ». On voit en effet mal quel motif impérieux d’intérêt général justifierait de ne pas attendre les décisions de la cour administrative d’appel de Toulouse sur les requêtes d’appel et de sursis à exécution déjà déposées devant elle.

Il convient également de souligner que par une décision QPC du 21 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a précisé que l’exigence de motivation du motif et du contenu de la mesure de validation est d’autant plus important qu’un recours a été engagé (cf. CC, 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000,  n°99-422 DC).

En troisième lieu, si la loi est votée et déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, il appartiendra alors à la cour administrative d’appel de Toulouse, saisie d’une requête d’appel, de savoir si elle applique ou non cette loi.

Si la loi de validation de l’arrêté d’autorisation environnementale des travaux de construction de l’A69 est promulguée avant que la cour administrative d’appel de Toulouse ait rendu son arrêt sur la requête d’appel de l’Etat et de la société concessionnaire, elle sera alors sans doute saisie, par ces requérants, d’une demande de non-lieu à statuer. Concrètement, l’Etat et la société concessionnaire demanderont à la cour de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur leur requêtes d’appel au motif que l’autorisation environnementale précitée a été « validée », c’est à dire purgée du motif d’illégalité retenu par le tribunal administratif de Toulouse.

La cour administrative d’appel de Toulouse aura alors à se prononcer sur cette demande de non lieu à statuer. Soit elle y fait droit et la loi de validation pourra ainsi produire tous ses effets : éteindre le contentieux, assurer la « renaissance » de l’autorisation environnementale, autoriser la reprise du chantier. Soit, à l’inverse, elle refuse d’y faire droit : elle écartera l’application de la loi de validation et statuera sur la requête d’appel déposée devant elle.

Pour prendre sa décision de faire droit ou non à la demande de non lieu à statuer, la cour administrative d’appel de Toulouse sera amenée à réaliser un contrôle de conventionnalité de la loi : elle devra vérifier si cette loi méconnaît ou non les dispositions de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lesquelles consacrent le droit de toute personne à un procès équitable.

Il existe un précédent assez proche et connu. Par une décision rendue le 28 juillet 2000, le Conseil d’Etat avait été saisi de la question de savoir si une loi de validation a toujours pour effet de faire échec au recours en annulation dirigé contre l’acte administratif ainsi régularisé (cf. CE, 28 juillet 2000, M Etienne Tête, n°202798 et 202872). Au cas d’espèce, une loi de validation du 12 juillet 1999 avait validé un décret et plusieurs délibérations destinés à instituer une redevance pour l’utilisation du boulevard périphérique lyonnais :

« Sur les conclusions de la communauté urbaine de Lyon tendant à ce que le Conseil d’Etat constate qu’il n’y a plus lieu de statuer :

Considérant qu’aux termes de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999 :  » Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, est validé en tant que sa régularité serait contestée, le décret n° 98-942 du 21 octobre 1998 pris en application des articles L.153-1 à L.153-5, R.153-1 et R.153-2 du code de la voirie routière, autorisant l’institution pour une durée de 25 ans de la redevance pour l’usage de l’ouvrage d’art dit « boulevard périphérique nord de Lyon ». Sont également validées en tant que leur régularité serait contestée, les délibérations du Conseil de la communauté urbaine de Lyon du 16 février 1998 et du 16 mars 1998 décidant de l’institution de cette redevance » ;

Le Conseil d’Etat avait alors procédé au contrôle de la conformité de cette loi de validation aux dispositions de l’article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui consacrent le droit de toute personne à un procès équitable :

« Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;

Considérant que les requêtes dont le Conseil d’Etat a été saisi ne sont pas relatives au paiement d’un impôt mais autorisent l’institution d’une redevance correspondant au prix payé par l’usager d’un ouvrage public ; qu’elles portent ainsi sur des droits et obligations de caractère civil au sens des stipulations de l’article 6-1 ;

Considérant que l’Etat ne peut, sans méconnaître les stipulations précitées, porter atteinte au droit de toute personne à un procés équitable en prenant, au cours d’un procès, des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation de la disposition réglementaire objet du procès, sauf lorsque l’intervention de ces mesures est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants ; »

Ainsi, aux termes de ces considérants, une loi de validation qui intervient au cours d’un procsè ne peut être conforme à l’article 6§1 de la convention européenne que dans la mesure où elle est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants :

« Considérant que les dispositions précitées de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999, qui sont postérieures à l’introduction des requêtes de M. Y… et de l’ASSOCIATION DU « COLLECTIF POUR LA GRATUITE, CONTRE LE RACKET », ont pour seul objet d’éviter l’annulation du décret autorisant l’institution de la redevance que la communauté urbaine de Lyon entend percevoir afin d’assurer la participation des usagers du périphérique nord de Lyon au financement du dédommagement dû à la société ayant supporté le coût de la construction de l’ouvrage ; que l’intérêt financier auquel ont ainsi entendu répondre les dispositions de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999 ne constitue pas un intérêt général suffisant pour justifier la validation du décret attaqué ; qu’il en résulte que les dispositions de l’article 67 de la loi du 12 juillet 1999 portent atteinte au principe du droit à un procès équitable énoncé par les stipulations du 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que les requérants sont nfondés à soutenir que leur application doit, pour cette raison, être écartée ; qu’en conséquence, la communauté urbaine de Lyon ne saurait valablement soutenir que leur intervention aurait rendu les pourvois sans objet ; » (cf. CE, 28 juillet 2000, M Etienne Tête, n°202798 et 202872)

Par un avis contentieux rendu en Assemblée et daté du 27 mai 2025, le Conseil d’État (cf. CE, assemblée, 27 mai 2005, n°277975) a rendu plus sévères les conditions de légalité d’une loi de validation. Une loi de validation ne sera jugée conforme à l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’homme qu’à la condition qu’elle réponde non pas seulement à un motif d’intérêt général suffisant mais à « d’impérieux motifs d’intérêt général » : 

« Le droit ouvert par les dispositions de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite à tout fonctionnaire remplissant les conditions qu’elles définissent est relatif non à la cessation du service ou à la radiation des cadres mais à l’entrée en jouissance immédiate de la pension avant l’âge de la retraite. Il porte ainsi sur le droit à pension et constitue dès lors, quelle que soit la nature de l’emploi que détenait le fonctionnaire, un droit à caractère civil au sens du §1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux termes duquel :  » Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi et qui décidera (…) des contestations sur des droits et obligations de caractère civil (…) « .

Pour être compatible avec ces stipulations, l’intervention rétroactive du législateur en vue de modifier au profit de l’Etat les règles applicables à des procès en cours doit reposer sur d’impérieux motifs d’intérêt général. »

Dans ce cas d’espèce, il est intéressant de noter que le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’existait pas de motifs impérieux d’intérêt général de nature à justifier qu’une loi de validation influe sur l’issue de procédures juridictionnelles procédant de recours engagés avant l’entrée en vigueur de ladite loi de validation :

« S’agissant des dispositions du II de l’article 136 de la loi du 30 décembre 2004 qui font l’objet de la demande d’avis, issues d’un amendement parlementaire dont l’adoption ne pouvait être regardée comme prévisible, il ne ressort ni des travaux préparatoires – au cours desquels n’a été évoquée que la nécessité de mettre les termes de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite en conformité avec le droit communautaire – ni des pièces du dossier soumis au Conseil d’Etat que le fait de rendre applicables les dispositions du I du même article aux actions en justice engagées avant leur entrée en vigueur en vue d’obtenir le bénéfice des dispositions auxquelles elles se substituent puisse être regardé comme reposant sur d’impérieux motifs d’intérêt général. En conséquence, dans la mesure où ces dispositions rétroactives ont pour objet d’influer sur l’issue des procédures juridictionnelles engagées par des fonctionnaires s’étant vu refuser le bénéfice des dispositions alors applicables de l’article L. 24 de ce code – lesquelles, ainsi qu’il a été dit, devaient être interprétées comme ouvrant aux hommes comme aux femmes ayant eu trois enfants le droit à l’entrée en jouissance immédiate de leur pension de retraite – elles méconnaissent les stipulations du §1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il découle toutefois de l’objet même de ces stipulations que cette incompatibilité ne peut être utilement invoquée que par les fonctionnaires qui, à la date d’entrée en vigueur des dispositions litigieuses, avaient, à la suite d’une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieurement applicable, engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision. » (nous soulignons)

Il est également intéressant de noter que cette notion d’impérieux motifs d’intérêt général a été forgée par la Cour européenne des droits de l’homme. Aux termes de l’arrêt Zielinski, Pradal et Gonzalez et autres c/ France, la Cour a en effet jugé en ce sens : « La Cour réaffirme que si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige ».

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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