Eolien : le Conseil d’Etat précise les conditions de régularisation devant la cour administrative d’appel, de l’autorisation d’un parc éolien (Conseil d’Etat, 13 juillet 2023,n°450093 – dossier cabinet)

Juil 18, 2023 | Environnement

Par une décision n°450093 du 13 juillet 2023, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi en cassation par lequel plusieurs opposants à un projet de parc éolien ont sollicité l’annulation des arrêts avant-dire droit et au fond par lesquels la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté, après régularisation, leurs moyens dirigés contre le permis de construire de ce projet. L’intérêt de cette décision tient notamment aux confirmations et précisions relatives à la régularisation, devant la cour administrative d’appel, de l’autorisation délivrée. Un dossier instruit par Me Emma Babin (Gossement Avocats) et Me Cédric Uzan-Sarano (SCP Rocheteau, Uzan-Sarano & Goulet).

I. Faits et procédure

13 juin 2014 : arrêté préfectoral par lequel le préfet de l’Aveyron a délivré à  deux sociétés, le permis de construire six aérogénérateurs et deux postes électriques sur le territoire de la commune de X, ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux. 
22 mars 2014 : par un jugement n° 1500084, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et cette décision, à la demande d’une associations et de plusieurs particuliers.
26 novembre 2019 : arrêt avant-dire droit n°17BX01557 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel des sociétés pétitionnaires, a sursis à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois pour permettre la régularisation des seuls moyens tirés de l’insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur et de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 423-72 du code de l’urbanisme. Les autres moyens ont été rejetés. 
29 décembre 2020 : par arrêt  la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du 22 mars 2017 du tribunal administratif de Toulouse et rejeté la demande d’annulation de l’arrêté préfectoral précité.

13 juillet 2023 : par une décision n°450093 du 13 juillet 2023, le Conseil d’Etat a, d’une part décidé qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt avant-dire droit du 26 novembre 2019, d’autre part, rejeté le surplus des conclusions du pourvoi.

II. Commentaire

Résumé. La décision rendue ce 13 juillet 2023 comporte, successivement, un examen des moyens du pourvoi dirigés contre : 

  • L’arrêt avant-dire droit du 26 novembre 2019  par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a sursis à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois pour permettre la régularisation des seuls moyens tirés de l’insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur et de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 423-72 du code de l’urbanisme et rejeté les autres moyens.
  • L’arrêt au fond du 29 décembre 2020 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du 22 mars 2017 du tribunal administratif de Toulouse et rejeté la demande d’annulation de l’arrêté préfectoral précité.

Les points suivants de la décision retiendront, sans doute, plus particulièrement l’attention ; 

  • Le permis de construire respecte les dispositions de l’article R.111-15 du code de l’urbanisme lorsqu’il est assorti des visas des compléments apportés par la société pétitionnaire et par lesquels elle a « prévu un ensemble de mesures de protection des chiroptères » Ces engagements, ainsi visés, équivalent donc aux prescriptions spéciales mentionnées à l’article R.111-15 du code de l’urbanisme.
  • Le permis de construire respecte les dispositions de l’article R.421-2 du code de l’urbanisme : les conditions de raccordement du parc éolien au réseau de distribution d’électricité n’avaient pas à figurer au dossier de demande de permis de construire.
  • La cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur en droit lors de l’examen du moyen d’annulation tiré de la violation de l’article R.111-21 du code de l’urbanisme. Elle a bien examiné la qualité du site naturel et urbain dans lequel le parc
    éolien doit être implanté avant d’étudier « l’impact de l’autorisation
    projetée sur ces paysage et ces sites. »
  • Un classement UNESCO – qui ne constitue pas une disposition d’urbanisme au sens de
    l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme l’administration – ne peut pas être opposé au permis de construire attaqué lorsqu’il
    est intervenu postérieurement à ce dernier.
  • La demande d’annulation
    de la décision juridictionnelle avant-dire droit, en tant qu’elle met en
    œuvre les pouvoirs que le juge tient de l’article L. 600-5-1 du code de
    l’urbanisme, est privée d’objet, après régularisation. 
  • Lorsque le juge administratif prescrit la conduite d’une nouvelle enquête publique  « les
    éléments d’une précédente procédure peuvent être réutilisés, malgré
    leur ancienneté, à la condition toutefois qu’aucun changement de fait ou
    de droit ne soit intervenu les rendant obsolètes
    « .
  • Les motifs de la décision avant-dire droit par laquelle
    le juge administratif engage une procédure de régularisation sont « le
    soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement
    l’instance
    « . Aussi, est inopérant, le moyen produit après la procédure de
    régularisation qui avait déjà été écarté par la décision avant-dire
    droit, avant cette procédure de régularisation.


2.1. Sur le respect de l’article R.111-15 du code de l’urbanisme relatif au respect des préoccupations d’environnement par le permis de construire attaqué

La décision ici commentée rappelle que les dispositions de l’article R. 111-15 du code de l’urbanisme (dans sa rédaction alors en vigueur) : « ne permettent pas à l’autorité administrative de refuser un permis de construire, mais seulement de l’accorder sous réserve du respect de prescriptions spéciales relevant de la police de l’urbanisme, telles que celles relatives à l’implantation ou aux caractéristiques des bâtiments et de leurs abords, si le projet de construction est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l’environnement.« 

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge que le préfet de l’Aveyron n’a pas méconnu cet article puisqu’il a assorti son arrêté de permis de construire de visas des compléments apportés par la société pétitionnaire et par lesquels elle a « prévu un ensemble de mesures de protection des chiroptères » Ces engagements, ainsi visés, équivalent donc aux prescriptions spéciales mentionnées à l’article R.111-15 du code de l’urbanisme.

2.2. Sur le respect de l’article R.421-2 du code de l’urbanisme et le raccordement au réseau de distribution d’électricité du parc éolien
Au visa de l’article R.421-2 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat rappelle que l’opération de raccordement au réseau de distribution d’électricité constitue une opération distincte de celle qui est l’objet de la demande de permis de construire : « Le raccordement, à partir de son poste de livraison, d’une installation de production d’électricité au réseau électrique se rattache à une opération distincte de la construction de cette installation et est sans rapport avec la procédure de délivrance du permis de construire l’autorisant.« 
Au cas d’espèce, les conditions de raccordement n’avaient pas à figurer au dossier de demande de permis de construire : « 6. Il résulte de ce qui précède qu’en relevant que les conditions de raccordement n’avaient pas à figurer dans le dossier de demande de permis de construire du parc éolien projeté, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit.
2.3. Sur le respect de l’article R.111-21 du code de l’urbanisme et le risque d’atteinte aux paysages
Au cas d’espèce et contrairement à ce qui était allégué par les auteurs du pourvoi, la cour administrative d’appel de Bordeaux a bien examiné la qualité du site naturel et urbain dans lequel le parc éolien doit être implanté avant d’étudier « l’impact de l’autorisation projetée sur ces paysage et ces sites. »
2.4. Sur le respect de l’article L.600-2 du code de l’urbanisme et le classement UNESCO des Causses des Cévennes
Aux termes de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme l’administration ne peut pas refuser une deuxième fois une demande d’autorisation d’autorisation d’urbanisme sur le fondement d’une disposition intervenue postérieurement à l’annulation juridictionnelle du premier refus. Au cas d’espèce, un classement UNESCO – qui ne constitue pas une disposition d’urbanisme au sens de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme l’administration – ne pouvait donc pas être opposé au permis de construire attaqué dés l’instant où il est intervenu postérieurement à ce dernier.
2.5. Sur la régularisation du permis de construire entrepris, devant la cour administrative d’appel de Bordeaux
La décision ici commentée du Conseil d’Etat comporte trois précisions intéressantes sur l’articulation entre l’office du juge qui ordonne la régularisation et celui qui, à la suite de cette procédure de régularisation, se prononce au fond sur la demande d’annulation.
En premier lieu, le Conseil d’Etat souligne que la demande d’annulation de la décision juridictionnelle avant-dire droit, en tant qu’elle met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, est privée d’objet, après régularisation : 
« 18. Lorsque le juge administratif décide de recourir à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le requérant de première instance peut contester le jugement avant dire droit en tant qu’il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l’autorisation initiale d’urbanisme et en tant qu’il a fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1. Toutefois, à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice relevé dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant dire droit, les conclusions présentées par le requérant de première instance et dirigées contre ce jugement en tant qu’il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sont privées d’objet. Il s’ensuit qu’en l’espèce, à compter de la régularisation des vices relevés par la cour administrative d’appel dans son arrêt avant-dire droit du 26 novembre 2019, les conclusions dirigées contre cet arrêt, en tant qu’il a mis en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sont privées d’objet.
En deuxième lieu, lorsque le juge administratif prescrit la conduite d’une nouvelle enquête publique  « les éléments d’une précédente procédure peuvent être réutilisés, malgré leur ancienneté, à la condition toutefois qu’aucun changement de fait ou de droit ne soit intervenu les rendant obsolètes« . En l’espèce, les notes de la LPO et Eurobats « ne suffisent pas, à eux seuls, à établir que les données de l’étude d’impact initiale, au demeurant complétée par le pétitionnaire lors de la nouvelle instruction de sa demande faisant suite à l’injonction prononcé par le tribunal administratif de Toulouse dans son jugement du 11 juin 2013, seraient devenus obsolètes« .
En troisième lieu, les motifs de la décision avant-dire droit par laquelle le juge administratif engage une procédure de régularisation sont « le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l’instance. Aussi, est inopérant, le moyen produit après la procédure de régularisation qui avait déjà été écarté par la décision avant-dire droit, avant cette procédure de régularisation :

« 23. Enfin, il résulte des dispositions rappelées au point 17 que lorsque le juge estime que le permis de construire, de démolir ou d’aménager qui lui est déféré est entaché d’un vice entraînant son illégalité, mais susceptible d’être régularisé par la délivrance d’un permis modificatif, il peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, constater, par une décision avant-dire droit, que les autres moyens ne sont pas fondés, et surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour permettre, selon les modalités qu’il détermine, la régularisation du vice qu’il a relevé. Lorsque le juge administratif estime par un premier jugement, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de l’acte attaqué est susceptible d’être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, les motifs de ce premier jugement qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l’instance, si ce second jugement rejette les conclusions à fin d’annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d’une mesure de régularisation.
24. Dès lors, en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111-26 du code de l’urbanisme en raison de l’impact environnemental du projet sur le vautour Fauve et le busard centré, écarté par la cour dans son arrêt avant-dire droit, était inopérant, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit.« 

Au terme de cette analyse, le Conseil d’Etat a donc décidé :

  • qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi dirigées contre l’arrêt avant-dire droit du 26 novembre 2019 en tant qu’il met en œuvre l’article L 600-5-1 du code de l’urbanisme (article 1er)
  • que le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté (article 2)

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