En bref
PFAS : précisions sur l’analyse des substances PFAS dans les eaux des stations de traitement des eaux usées urbaines (arrêté du 3 septembre 2025)
Plastique : précision sur l’éco-modulation en cas d’incorporation de matières plastiques recyclées (arrêté du 5 septembre 2025)
Déchets de textile : publication au JO de l’arrêté modifiant le cahier des charges afin d’inclure un soutien exceptionnel au tri
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Néonicotinoïdes : présentation du projet de loi « relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire »
Le ministère de l’écologie vient d’adresser aux membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE), le texte de l’avant-projet de loi destiné à rouvrir la possibilité de déroger à l’interdiction d’utilisation des insecticides néonicotinoïdes. Présentation et commentaire.
Le projet de loi qui vient d’être adressé aux membres du CNTE comporte les mesures suivantes :
– il modifie la rédaction du II de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de l’article 125 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ;
– il permet de déroger à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits jusqu’au 1er juillet 2023 ;
– cette dérogation est fondée sur l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil
– le projet de loi supprime l’obligation de bilan sanitaire et environnemental par l’ANSES qui était prévue avant tout octroi de dérogation.
Analyse
Pour mémoire, le II de l’article de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime est actuellement rédigé de la manière suivante :
« II.-L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits est interdite à compter du 1er septembre 2018.
L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives présentant des modes d’action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits est interdite. Un décret précise les modalités d’application du présent alinéa.
Des dérogations à l’interdiction mentionnée aux premier et deuxième alinéas du présent II peuvent être accordées jusqu’au 1er juillet 2020 par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé.
L’arrêté mentionné au troisième alinéa du présent II est pris sur la base d’un bilan établi par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail qui compare les bénéfices et les risques liés aux usages des produits phytopharmaceutiques considérés autorisés en France avec ceux liés aux usages de produits de substitution ou aux méthodes alternatives disponibles.
Ce bilan porte sur les impacts sur l’environnement, notamment sur les pollinisateurs, sur la santé publique et sur l’activité agricole. Il est rendu public dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 1313-3 du code de la santé publique. »
Le projet de loi objet de la présente note prévoit de rédiger ainsi ce II de l’article L.253-8 du code rural et de la pêche maritime :
« II – L’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits est interdite.
« Toutefois, jusqu’au 1er juillet 2023, des dérogations à cette interdiction peuvent être accordées par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de l’environnement pour l’utilisation de semences traitées avec ces produits dans les conditions prévues à l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.«
Ces nouvelles dispositions apporteraient deux modifications au régime juridique actuel :
- d’une part, elles reportent du 1er juillet 2020 au 1er juillet 2023 la possibilité de bénéficier d’une dérogation à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes ;
- d’autre part, elles rappellent que l’octroi de cette dérogation est subordonné au respect de la procédure prévue à l’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009.
Pour bien comprendre le régime juridique de l’utilisation des produits néonicotinoïdes, il convient de bien distinguer les trois niveaux suivants :
- L’article 53 du règlement européen n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 prévoit une possibilité pour les Etats d’accorder une dérogation à l’interdiction de principe d’utilisation des néocotinoïdes :
- L’article L.253-8 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction issue de l’article 125 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ;
- Le décret n° 2018-675 du 30 juillet 2018 relatif à la définition des substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les produits phytopharmaceutiques. Ce décrit liste les substances de la famille des néonicotinoïdes mentionnées à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.
L’article 53 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 dispose :
« Article 53 – Situations d’urgence en matière de protection phytosanitaire
1. Par dérogation à l’article 28 et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables.
L’État membre concerné informe immédiatement les autres États membres et la Commission de la mesure adoptée, en fournissant des informations détaillées sur la situation et les dispositions prises pour assurer la sécurité des consommateurs.
2. La Commission peut solliciter l’avis de l’Autorité ou lui demander une assistance scientifique ou technique. L’Autorité communique son avis ou les résultats de ses travaux à la Commission dans le mois suivant la date de la demande.
3. Si nécessaire, il est décidé, selon la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3, si et dans quelles conditions l’État membre:
a) peut ou ne peut pas prolonger ou répéter la durée de la mesure; ou
b) retire ou modifie la mesure prise.
4. Les paragraphes 1 à 3 ne s’appliquent pas aux produits phytopharmaceutiques contenant des organismes génétiquement modifiés ou composés de tels organismes, sauf si cette dissémination a été acceptée conformément à la directive 2001/18/CE.«
Pour mieux comprendre le sens et la portée de l’article 53 du règlement 1107/2009 du 21 octobre 2009, il convient de lire également le considérant introductif n°32 de ce même règlement
« (32) Les États membres devraient, dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsqu’un danger ou une menace compromettant la production végétale ou les écosystèmes ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables, pouvoir autoriser des produits phytopharmaceutiques ne satisfaisant pas aux conditions prévues par le présent règlement. Ces autorisations temporaires devraient faire l’objet d’un réexamen au niveau communautaire.«
Aux termes de cet article 53, tel que lu à la lumière du considérant introductif 32, les Etats peuvent autoriser l’utilisation d’un produit phytopharmarceutique qui ne correspond pourtant aux critères d’autorisation du règlement.
Les conditions de cette dérogation sont les suivantes :
- La dérogation est octroyée par un Etat qui doit justifier de « circonstances particulières »
- L’autorisation délivrée à titre dérogatoire ne peut excéder cent vingt jours
- L’autorisation ne peut permettre qu’une mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé
- L’autorisation doit être justifiée « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables. »
- L’État membre concerné informe immédiatement les autres États membres et la Commission de la mesure adoptée
- La Commission peut solliciter l’avis de l’Autorité Autorité européenne de sécurité des aliments
Un règlement européen n’a pas besoin du vote d’une loi pour produire tous ses effets de droit en droit interne. Toutefois, au cas présent, le vote d’une loi est nécessaire pour revenir sur les conditions de dérogation à l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes, telles que définies par la loi du 8 août 2016. Une loi est nécessaire pour modifier cette loi du 8 août 2016 afin de reporter la fin de la période de dérogation du 1er juillet 2020 au 1er juillet 2023.
Commentaire :
L’enjeu de ce projet de loi est particulièrement important et sensible.
- le fait de multiplier les dérogations affaiblit nécessairement l’interdiction de principe, telle que décidée par le législateur en 2016. In fine, c’est bien l’autorité de la loi qui est affaiblie en étant ainsi modifiée.
- la loi du 8 août 2016 avait inscrit le principe de non régression en tête du code de l’environnement (cf. notre article). Un principe d’ores et déjà appliqué par le Conseil (cf. notre commentaire). Le fait de multiplier les dérogations à une interdiction conçue par le législateur lui-même comme un progrès de la protection de l’environnement constitue sans doute une régression. Modifier la loi qui a donné une valeur législative au principe de non régression pour y introduire une régression affaiblit la portée du principe également. Une réflexion sur la constitutionnalisation de ce principe de non régression pourrait être engagée.
- sur le plan politique, il est demandé à l’actuelle ministre chargée de l’écologie de porter un projet de loi modifiant une loi qu’elle a défendue en 2016 alors qu’elle était secrétaire d’Etat en charge de la biodiversité.
Au regard de l’importance scientifique, juridique et politique de l’enjeu et pour éviter un débat passionnel, une étude d’impact complète et rigoureuse était attendue. Or, force est de constater que l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi ici commenté se caractérise par son indigence.
A l’exception d’une étude sommaire du droit positif, la jurisprudence européenne et administrative est ignorée et les références des études sur lesquels se fondent les auteurs de ce projet de loi pour justifier d’un report de la fin de la période de dérogation ne sont pas citées à l’exception de « L’étude du groupe de travail de l’Anses remise en 2018 [qui] établit une comparaison des risques posés par les NNI et leurs alternatives » (cf. étude d’impact page 17). Paradoxalement, plusieurs références d’études mettant en évidence les risques des ces produits sont mentionnées en note de bas de page des passages suivants (page 17):
« Une synthèse de la littérature concernant les risques liés aux NNI3 met en effet en évidence des risques élevés pour les insectes non cibles, en particulier les pollinisateurs domestiques ou sauvages, mais aussi les oiseaux lorsqu’ils consomment des graines traitées par les NNI, les mammifères, les organismes aquatiques et les organismes vivant dans le sol.
Plusieurs études sur la gestion de l’eau ont par ailleurs démontré que, du fait de leur solubilité forte dans l’eau (acétamipride, thiamétoxame, imidaclopride) ou de leur persistance dans les sols et les milieux aquatiques (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame, thiaclopride), la contamination de l’environnement est étendue et des traces de ces substances sont détectées dans des zones non traitées. »
Par ailleurs, certaines affirmations de l’étude d’impact ont d’ores et déjà été contredites par la presse, sans que cela ne soit précisé (cf. l’exemple du risque lié à la floraison).
Enfin, de manière très regrettable, cette étude d’impact :
- ne précise pas quelle sont les conséquences de ce projet de loi pour l’application du principe de non régression ;
- ne précise pas pour quels motifs une demande de dérogation n’a pas été déposée par les professionnels de la betterave et instruite avant le 1er juillet 2020 sous l’empire des dispositions de l’article 125 de la loi biodiversité du 8 août 2016. Si, à l’inverse, une telle demande de dérogation a été déposée, la moindre des choses serait de la publier ainsi que les motifs de son rejet éventuel.
- ne précise pas si l’Etat a reçu d’autres demandes de dérogation que celle défendue publiquement par la filière de la betterave.
Arnaud Gossement
Avocat associé – Docteur en droit
Professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
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