En bref
Certificats d’économies d’énergie (CEE) : arrêté du 7 avril 2025 modifiant l’arrêté du 4 septembre 2014
Modification de l’arrêté tarifaire S21 : refonte majeure actée et à venir des conditions d’achat pour les installations sur toiture et ombrière inférieure ou égale à 500 kWc
Code minier : publication de l’arrêté du 3 avril 2025 soumettant les décisions d’octroi, d’extension ou de prolongation des concessions et permis exclusifs de recherches (PER) à évaluation environnementale
Déforestation importée : consultation publique sur un projet de règlement modifiant le règlement 2023/1115 (RDUE)
Dérogation espèces protégées : un projet de parc éolien ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur s’il n’apporte « qu’une contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans un département qui ne souffre d’aucune fragilité d’approvisionnement électrique et compte déjà un grand nombre de parcs éoliens » (Conseil d’État, 18 avril 2024, n°471141)
Par une décision n°471141 du 18 avril 2024, le Conseil d’Etat a jugé qu’un projet de parc éolien, tel que décrit par la cour administrative d’appel de Toulouse, ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur – et ne peut donc pas faire l’objet d’une autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées et de leurs habitats – s’il n’apporte « qu’une contribution modeste à la politique énergétique nationale de développement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans un département qui ne souffre d’aucune fragilité d’approvisionnement électrique et compte déjà un grand nombre de parcs éoliens« . Une décision conforme, d’une part à la conception de la raison impérative d’intérêt public majeur par le pouvoir réglementaire, d’autre part à la jurisprudence passée de la Haute juridiction administrative. Une conception « plus » favorable aux projets de puissance importante, même si cette qualité ne suffit bien entendu pas. Commentaire.
Résumé
I. Rappel des faits et de la procédure
28 février 2020 : arrêté par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a délivré à la société X une autorisation environnementale pour l’exploitation d’un parc de six éoliennes, tenant également lieu d’autorisation de défrichement et de dérogation « espèces et habitats protégés ».
8 décembre 2022 : par deux arrêts, la cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté les recours introduits par, notamment, une association une commune, tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral précité du 28 février 2020.
18 avril 2024 : par une décision n°471141, le Conseil d’Etat a annulé, par une même décision, les arrêts de la cour administrative d’appel de Toulouse du 8 décembre 2022 qui faisaient tous deux l’objet de pourvois.
II. Rappel du régime juridique de la « dérogation espèces protégées »
Il est utile de procéder au rappel des principales caractéristiques de ce régime juridique.
A. Le droit positif
Pour mémoire, le principe d’interdiction du patrimoine naturel protégé est inscrit à l’article L.411-1 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les destinataires de ce principe d’interdiction de destruction sont : les sites d’intérêt géologique, les habitats naturels, les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, leurs habitats. Il importe de souligner que le terme « destruction » doit être compris, dans une acception large, comme comprenant aussi, « altération » ou « dégradation ».
En droit interne, la possibilité de déroger à ce principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées est prévue au 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les conditions de fond suivantes doivent être réunies pour qu’une dérogation – si elle a été demandée – puisse être délivrée par l’administration :
- L’absence de « solution alternative satisfaisante ».- L’absence de nuisance pour le « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle« .
- La justification de la dérogation par l’un des cinq motifs énumérés au nombre desquels figure « c) (…) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement« .
B. La jurisprudence administrative
Par un avis n°463563 du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat, à la demande de la cour administrative d’appel de Douai, a précisé son interprétation des dispositions du droit positif relatives aux conditions (cf. notre commentaire de cet avis) d’une part, de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction d’espèces protégées; d’autre part, de délivrance de cette dérogation, une fois demandée.
1. Sur les conditions successives et cumulatives de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation.
- S’agissant de la première condition relative à l’espèce protégée en cause : le pétitionnaire puis l’administration doivent vérifier si « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet ». Cet examen ne doit porter, ni sur le « nombre de ces spécimens », ni sur leur « état de conservation ».
- S’agissant de la deuxième condition relative à la nature du risque d’atteinte à l’état de conservation de l’espèce protégée : l’administration doit prendre en compte l’existence du « risque suffisamment caractérisé » au regard des mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire. Ces mesures doivent présenter deux caractéristiques : elles doivent présenter des « garanties d’effectivité » et permettre de « diminuer le risque ».
Ces deux conditions sont cumulatives et successives.
2. Sur les conditions distinctes et cumulatives de délivrance de la dérogation espèces protégées
- Le Conseil d’Etat a entendu rappeler le contenu et le caractère distinct et cumulatif des trois conditions de dérogation.
- Le Conseil d’Etat a également précisé que l’administration doit notamment prendre en compte, lors de l’examen de ces trois conditions, des mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par le pétitionnaire.
Le contrôle de cassation ici exercé a aboutit à l’identification d’une erreur dans la qualification juridique des faits par la cour administrative d’appel de Toulouse. L’analyse par le Conseil d’Etat du respect de la condition de dérogation relative à la « raison impérative d’intérêt public majeur » aurait donc pu être différente si la présentation des faits par la cour administrative d’appel de Toulouse avait, elle-même, été différente. Toutefois, il faut aussi relever que la décision ici commentée s’inscrit dans une jurisprudence de la Haute juridiction administrative qui témoigne d’une certaine conception des critères de qualification de la « raison impérative d’intérêt public majeur ». Conception plus favorable aux projets dotés d’une puissance installée importante.
- L’article 3.1 du règlement créé une présomption du caractère d’intérêt public supérieur de l’activité – au sens large – de la production d’énergie renouvelable. Il reconnaît également le caractère prioritaire des installations ainsi reconnus d’intérêt public supérieur.
- Ce règlement était d’application immédiate à partir du 30 décembre 2022 et pour 18 mois, dans tous les Etats membres de l’Union européenne.
- Un règlement du Conseil du 19 décembre 2023 a prolongé l’application du règlement 2022/2577 jusqu’au 31 décembre 2024
Au cas présent, la décision litigieuse dont la légalité était discutée devant la juridiction administrative est arrêté daté du 28 février 2020 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a délivré à la société X une autorisation environnementale pour l’exploitation d’un parc de six éoliennes, tenant également lieu d’autorisation de défrichement et de dérogation « espèces et habitats protégés ». Cette décision a donc été prise à une date antérieure à la date d’entrée en vigueur de ce règlement (UE) 2022/2577 du conseil du 22 décembre 2022
En deuxième lieu, la décision litigieuse du préfet des Pyrénées-Orientales est également antérieure à la date d’entrée en vigueur des dispositions de l’article 19 de la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables. Article qui a pour objet de faciliter la preuve, par le porteur de projet, de la satisfaction de la première des trois conditions à réunir pour pouvoir bénéficier d’une autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées et de leurs habitats (cf. notre commentaire).
Cet article 19 appelait la publication d’un décret d’application. Le Gouvernement a publié, au journal officiel du 30 décembre 2023, le décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023 pris pour l’application, sur le territoire métropolitain continental, de l’article L.211-2-1 du code de l’énergie et de l’article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023. Ce décret précise les conditions qu’un projet de production d’énergie renouvelable doit remplir pour être réputé répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur. L’ensemble de ces dispositions est donc bien postérieur à la décision précitée du préfet des Pyrénées-Orientales.
A. L’erreur dans la qualification juridique des faits commise par la cour administrative d’appel de Toulouse.
Aux termes de la décision ici commentée, le Conseil d’Etat a opéré, non un contrôle de légalité tel que celui opéré par les juges du fond (ici ceux de la cour administrative d’appel de Toulouse) mais un contrôle de cassation et a retenu le motif tiré de l’erreur dans la qualification juridique des faits pour annuler les arrêts de la cour administrative d’appel de Toulouse qui faisaient l’objet d’un pourvoi.
2. Les motifs de l’erreur dans la qualification juridique des faits commise par la cour administrative d’appel de Toulouse
Pour quels motifs, la cour administrative d’appel de Toulouse a-t-elle commis une erreur dans la qualification juridique des faits ? Aux termes du point 4 de sa décision rendue ce 18 avril 2024, le Conseil d’Etat décrit ainsi l’erreur dans la qualification juridique des faits qui a été commise par la cour administrative d’appel de Toulouse :
- le projet de parc éolien, tel que décrit par la cour administrative d’appel de Toulouse apportera une « contribution modestes » à la politique énergétique nationale
- dans un département qui ne souffre d’aucune fragilité d’approvisionnement électrique
- et qui compte déjà un grand nombre de parc éoliens.
- sur le seuil à partir duquel une contribution à la politique énergétique nationale n’est plus modeste.
- sur le motif pour lequel le Conseil d’Etat se borne à la maille départementale.
- sur le seuil à partir duquel un département ne souffre plus d’aucune fragilité d’approvisionnement électrique.
- sur le seuil à partir duquel un département compterait « trop » de parcs éoliens.
- d’une part, sur la raison pour laquelle la présentation de certaines caractéristiques du parc éolien litigieux amène ici le Conseil d’Etat a qualifier de « modeste » sa contribution à la politique énergétique national.
- d’autre part, sur la raison pour laquelle une « contribution modeste » interdirait à un projet de production d’énergie de répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur. Une politique énergétique peut aussi
être fondée sur une multiplication des installations « modeste » de
production d’énergie qui, ensemble, assurent une contribution
« conséquente » à la réalisation des objectifs de ladite politique.
2. Une décision conforme à la jurisprudence passée du Conseil d’Etat
Le point 5 de cette décision précise :
Ainsi, le projet de parc éolien qui était ici en cause répond une raison impérative d’intérêt public majeur pour les motifs suivants :
- Il permettra l’approvisionnement en électricité de plus de 50 000 personnes,
- Il correspond aux objectifs nationaux (loi du 3 août 2009, article L. 100-4 du code de l’énergie), européens (directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables) et locaux ( » pacte électrique « , signé le 14 décembre 2010 entre l’Etat, la région Bretagne, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)
- Il sera implanté dans une région marquée par le « caractère fragile de l’approvisionnement électrique »
- contribue fortement, au moyen d’une puissance installée importante, à la réalisation des objectifs européens, nationaux et est installé dans un territoire marqué par la fragilité de son approvisionnement électrique
- est installé dans un territoire qui n’est pas caractérisé par un nombre important d’autres installations
« En premier lieu, le paquet » énergie-climat » adopté par l’Union européenne en décembre 2008 s’est traduit pour la France par l’adoption de l’objectif, fixé par la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement puis par l’article L. 100-4 du code de l’énergie, visant à porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020. Il résulte de l’instruction que le parc éolien en litige, d’une puissance de dix-huit mégawatts, permettra de contribuer à répondre aux besoins définis dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et à atteindre les objectifs des politiques en matières d’énergies renouvelable tant au niveau régional que national. Ainsi, et alors même qu’un document intitulé » scénario région à énergie positive de la région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée » édicté par la région Occitanie indique que cette dernière mise quasi exclusivement sur l’éolien en mer pour atteindre les objectifs qui lui sont dévolus en matière d’énergie renouvelable, le projet en litige répond, nonobstant son caractère privé, à une raison impérative d’intérêt public majeur. » (CAA Toulouse, 20 avril 2023, n°20TL23721 – nous soulignons).
Note du 23 octobre 2023 – Dérogation espèces protégées : la mesure de régularisation peut faire l’objet d’un sursis à exécution si elle est de nature à générer un retard ou un surcoût (Conseil d’Etat, 3 octobre 2023, n°474381)
Note du 10 mars 2023 – Dérogation espèces protégées : la production d’énergies renouvelables et le développement des capacités de stockage d’énergie correspondent à l »objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement » (Conseil constitutionnel, 9 mars 2023, loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, n°2023-848 DC)
Note du 1er janvier 2023 – Dérogation espèces protégées : les suites données par les juridictions administratives à l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022
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