Délai de recours : extension de la jurisprudence « Czabaj » aux décisions implicites de rejet (Conseil d’Etat)

Mar 29, 2019 | Environnement

Par une décision du 18 mars 2019, le Conseil d’État a, à nouveau, étendu le champ d’application de sa jurisprudence Czabaj en l’appliquant aux décisions implicites de rejet de l’Administration.

1. Sur la jurisprudence Czabaj

Pour mémoire, par un arrêt d’assemblée n° 387763 du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat a encadré les délais de recours à l’encontre des décisions administratives individuelles, dans l’hypothèse où la notification de la décision ne comporterait pas les mentions requises :

 » 5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance » (cf. CE, ass., 13 juill. 2016, Czabaj n° 387763). »

Ainsi, par cette décision « Czabaj », le Conseil d’Etat a :

– confirmé le principe fixé à l’article R. 421-5 du code de justice administrative, selon lequel le délai de recours de deux mois n’est opposable au destinataire d’une décision administrative individuelle qu’à la condition du caractère complet de la mention des délais et voies de recours qui peuvent être formés contre cette décision ;

– précisé que, lorsque l’obligation d’information sur les délais et voies de recours n’a pas été respectée ou lorsque la preuve de son respect ne peut être rapportée : un délai de recours raisonnable d’un an est opposable au destinataire d’une décision administrative individuelle ;

– précisé que ce délai raisonnable d’un an n’est pas opposable à l’auteur du recours qui se prévaut de « circonstances particulières » ou d’un délai de recours supérieur, défini par un texte.

Depuis, les Juridictions administratives n’ont eu de cesse d’étendre le champ d’application de cette jurisprudence. Le Conseil d’Etat en a notamment fait application au contentieux des titres exécutoires (cf. CE, 9 mars 2018, n° 401386), au contentieux indemnitaire (cf. CE, 9 mars 2018, n° 405355) au contentieux de l’urbanisme (cf. CE, 9 novembre 2018, n° 409872) ainsi qu’à l’exception d’illégalité d’un acte individuel (cf. CE, 27 février 2019, n° 418950).

2. Sur l’application de la jurisprudence Czabaj aux décisions implicites de rejet

Par une décision du 18 mars 2019, le Conseil d’Etat a transposé ce délai aux décisions implicites de rejet.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat était saisi d’une demande d’annulation d’un rejet tacite, par le Préfet du Val-de-Marne, d’une demande d’échange de permis de conduire camerounais contre un permis de conduire français.

Le Conseil d’Etat a jugé, en premier lieu, que le délai de recours « raisonnable » d’un an est également opposable aux recours formés à l’encontre des décisions individuelles implicites de rejet lorsqu’il est établi que le destinataire a eu connaissance de la décision.

 » 4. Les règles énoncées au point 3, relatives au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d’une décision ne peut exercer de recours juridictionnel, qui ne peut en règle générale excéder un an sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, sont également applicables à la contestation d’une décision implicite de rejet née du silence gardé par l’administration sur une demande présentée devant elle, lorsqu’il est établi que le demandeur a eu connaissance de la décision « .

Le Conseil d’Etat a précisé, en deuxième lieu, les modalités de preuve de la connaissance de la décision :

 » La preuve d’une telle connaissance ne saurait résulter du seul écoulement du temps depuis la présentation de la demande. Elle peut en revanche résulter de ce qu’il est établi, soit que l’intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande, soit que la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l’administration, notamment à l’occasion d’un recours gracieux dirigé contre cette décision « .

Ainsi, il doit être clairement établi que le destinataire de la décision a eu connaissance de la décision. C’est notamment le cas si l’intéressé a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

En dernier lieu, le Conseil d’Etat a défini le point de départ du calcul du « délai raisonnable » d’un an :

 » Le demandeur, s’il n’a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes cités au point 2, dispose alors, pour saisir le juge, d’un délai raisonnable qui court, dans la première hypothèse, de la date de naissance de la décision implicite et, dans la seconde, de la date de l’événement établissant qu’il a eu connaissance de la décision « .

Concrètement, le destinataire du rejet tacite qui n’a pas été informé des voies et délais de recours, dispose d’un délai de recours d’un an :

– à compter de la date de naissance de la décision implicite s’il est établi qu’il a été clairement informé des conditions de naissance d’une décision implicite lors de la présentation de sa demande, le demandeur ;

– à compter de la date de l’événement permettant d’établir que l’administré a eu connaissance de la décision si la décision de refus implicite a été expressément mentionnée lors d’échanges avec l’administration, tel qu’à l’occasion d’un recours gracieux.

Ainsi, par cette décision, le Conseil d’Etat poursuit l’extension de sa jurisprudence Czabaj – pourtant contestée – et élève encore davantage le principe de sécurité juridique comme principe structurant du contentieux administratif.

Margaux Caréna
Avocate sénior

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