Dérogation espèces protégées : la vraie-fausse simplification de la procédure de délivrance de la dérogation pour un « projet d’intérêt national majeur » est conforme à la Constitution (Conseil constitutionnel, 5 mars 2025, association préservons la forêt des colettes et autres, n°2024-1126 QPC)

Mar 5, 2025 | Environnement

Par une décision n°2024-1126 QPC du 5 mars 2025 le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à conforme à la Constitution les dispositions du second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement, lequel prévoit que, par décret, le Gouvernement peut prévoir qu’un « projet d’intérêt national majeur » est réputé répondre à une « raison impérative d’intérêt public majeur » qui est l’une des trois conditions pour bénéficier d’une autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Ce texte prévoit aussi que la reconnaissance du caractère d’intérêt public majeur d’un projet ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours dirigé contre le décret précité et non contre l’acte accordant la dérogation espèces protégées. Pour le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne méconnaissent ni le droit à un recours juridictionnel effectif (article 16 de la déclaration des droits de l’homme), ni les articles articles 1, 2, 5 et 7 de la Charte de l’environnement. Les motifs de cette décision confirment, à notre sens, l’idée que cette mesure de simplification produit si peu d’effets qu’elle ne peut être contraire à la Constitution. D’une certaine manière, si le Conseil constitutionnel n’a pas déclaré cette mesure comme étant contraire à la Constitution, il l’a neutralisée par son interprétation. Commentaire.

Résumé

  • L’interdiction de destruction des espèces protégées et de leurs habitats est de principe (article L.411-1 du code de l’environnement)
  • Le porteur d’un projet peut déroger à ce principe d’interdiction à certaines conditions. Il doit notamment démontrer que son projet répond à une « raison impérative d’intérêt public majeur » (article L.411-2 du code de l’environnement).
  • Pour faciliter la délivrance des autorisations administrative de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées (« dérogation espèces protégées »), le législateur a pris, en 2023, deux mesures, énoncées au second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement :
    • d’une part, le Gouvernement peut, par décret, prévoir qu’un « projet d’intérêt national majeur » est réputé répondre à une « raison impérative d’intérêt public majeur » ;
    • d’autre part, cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret et pas à l’appui d’un recours dirigé contre l’autorisation de déroger elle-même.
  • Par une décision n°2024-1126 QPC du 5 mars 2025 le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à conforme à la Constitution les dispositions du second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement. Elles ne méconnaissent ni le droit à un recours juridictionnel effectif (article 16 de la déclaration des droits de l’homme), ni les articles articles 1, 2 et 5 de la Charte de l’environnement.

Commentaire

Le législateur a défini, en 2023, une mesure de simplification pour faciliter la délivrance des autorisations de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. Cette mesure, inscrite au second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement, précise que :

  • certains projets peuvent être reconnus « d’intérêt national majeur » par décret ;
  • ce décret peut prévoir que ces projets sont réputés répondre à une « raison impérative d’intérêt public majeur ». Ils sont ainsi présumés satisfaire à l’une des trois conditions de délivrance de l’autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées
  • Cette reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur d’un projet ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret et pas à l’appui d’un recours dirigé contre l’autorisation de déroger elle-même.

Ce second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement comporte, à notre sens, une vraie-fausse mesure de simplification.

  • La mesure de simplification ne concerne que l’une des trois conditions de la délivrance de l’autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.
  • La mesure créé une présomption simple qui ne dispense donc pas le demandeur d’avoir à démontrer que son projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur. En effet, tant l’administration qu’un requérant peuvent combattre la présomption de ce caractère.
  • La mesure ne limite pas le risque de recours mais pourrait même l’accroître. Les requérants opposés à un projet pourraient en effet choisir de former un recours, non pas simplement contre l’autorisation environnementale des travaux (laquelle comprend en son sein l’autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées) mais également contre le décret qualifiant le projet d’intérêt national majeur.

Ce second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement a été déclaré conforme à la Constitution par une décision QPC du 5 mars 2025 du Conseil constitutionnel. Les motifs de cette décision confirment, à notre sens, l’idée que cette mesure de simplification produit si peu d’effets qu’elle ne peut être contraire à la Constitution. D’une certaine manière, si le Conseil constitutionnel n’a pas déclaré cette mesure comme étant contraire à la Constitution, il l’a neutralisée par son interprétation.

Commentaire détaillé

I. Rappel du cadre juridique et de la procédure

Il convient de rappeler : d’une part, le contenu du principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées et les conditions de dérogation à ce principe (« dérogation espèces protégées ») (A) ; d’autre part, les caractéristiques du régime de présomption de la raison impérative d’intérêt public majeur de certains projets (B).

A. Le principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées et les conditions de dérogation à ce principe

L’interdiction de perturbation de l’état de conservation des espèces protégées est de principe. La délivrance d’une autorisation de déroger à cette interdiction de principe est soumise à plusieurs conditions.

Le principe d’interdiction de perturbation d’espèces protégées. Pour mémoire, le principe d’interdiction de destruction du patrimoine naturel protégé est inscrit à l’article L.411-1 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les destinataires de ce principe d’interdiction de destruction sont : les sites d’intérêt géologique ; les habitats naturels ; les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ; leurs habitats. Il importe de souligner que le terme « destruction » doit être compris, dans une acception large, comme comprenant aussi, « altération » ou « dégradation ».

Les conditions de dérogation à l’interdiction de principe. En droit interne, la possibilité de déroger à ce principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées est prévue au 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les conditions de fond suivantes doivent être réunies pour qu’une dérogation – si elle a été demandée – puisse être délivrée par l’administration :
  • l’absence de « solution alternative satisfaisante » ;
  • l’absence de nuisance pour le « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » ;
  • la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs énumérés au nombre desquels figure « c) (…) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

B. La création d’un régime de présomption de la raison impérative d’intérêt public majeur

10 mars 2023 : la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a inséré une nouvel article L. 211-2-1 au sein du code de l’énergie et un nouvel article L. 411-2-1 au sein du code de l’environnement de manière à prévoir que certains projets d’installations de production d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211-2 du présent code ou de stockage d’énergie sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat

23 octobre 2023 : la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte a, notamment, ajouté un second alinéa à l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement, ainsi rédigé : « Le décret, prévu au I de l’article L. 300-6-2 du code de l’urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue au même c. »

Septembre 2024 : plusieurs associations et particuliers ont formé un recours devant le Conseil d’Etat, tendant à l’annulation du décret n° 2024-740 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d’intérêt national majeur l’extraction et la transformation de lithium par la société Imérys dans l’Allier,

11 septembre 2024 : par un mémoire distinct, les associations et personnes requérantes ont demandé au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement.

9 décembre 2024 : par une décision n°497567, le Conseil d’Etat a (cf. Conseil d’Etat, 9 décembre 2024, association préservons la forêt des colettes et autres, n°497567)

II. La mesure de simplification inscrite au second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement est conforme à la Constitution

Pour le Conseil constitutionnel, aux termes de la décision ici commentée, la mesure définie au second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement est conforme à la Constitution car elle ne méconnaît :

  • ni le droit à un recours juridictionnel effectif inscrite à l’article 16 de la Déclaration de 1789 (A) ;
  • ni le droit à un environnement sain (article 1er de la Charte de l’environnement), ni le devoir de prendre à la préservation de l’environnement (article 2), ni le principe de précaution (article 5) (B).

A. Sur la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif

Le droit à un recours juridictionnel effectif procède des dispositions de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction. »

Pour le Conseil constitutionnel, les dispositions du second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement. ne portent pas atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif pour les motifs suivants :

  • Par cette mesure, « le législateur a entendu réduire l’incertitude juridique pesant sur certains projets industriels. Il a donc poursuivi un objectif d’intérêt général ».
  • Cette mesure ne concerne que « des projets industriels qualifiés d’intérêt national majeur en raison de leur importance pour la transition écologique ou la souveraineté nationale ».
  • La reconnaissance de la raison impérieuse d’intérêt public majeur peut être contestée à l’occasion d’un recours dirigé contre le décret qualifiant le projet industriel de projet d’intérêt national majeur.

C’est ce dernier point qui est, à notre sens, le plus intéressant de la décision ici commentée. Au point 12, le Conseil constitutionnel donne en effet un « mode d’emploi » aux requérants qui s’inquiéteraient de ne plus pouvoir contester le caractère d’intérêt public majeur d’un projet après expiration du délai de recours contre le décret procédant à cette reconnaissance.

Le Conseil constitutionnel rappelle simplement que le requérant qui aurait manqué de former un recours contre le décret dans le délai de recours de deux mois peut présenter une demande d’abrogation du décret à l’administration puis former un recours contre le refus éventuel qui lui serait opposé :

« 12. D’autre part, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à la possibilité ouverte à toute personne ayant un intérêt à agir de demander, dans les conditions du droit commun, l’abrogation des décrets prévus par les dispositions contestées devenus illégaux en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à leur édiction et de former des recours pour excès de pouvoir contre d’éventuelles décisions de refus explicites ou implicites. »

En définitive, malgré la mesure de simplification inscrite à l’article L.411-2-1 du code de l’environnement :

  • les opposants à un projet peuvent former un recours contre le décret reconnaissant à un projet d’intérêt national majeur une « raison impérative d’intérêt public majeur » dans le délai de deux mois
  • au-delà du délai de deux mois, ils peuvent demander l’abrogation du décret à l’administration puis former un recours contre le refus d’abroger
  • ils peuvent former, en outre, un recours contre l’autorisation de déroger à l’interdiction de destruction d’espèces protégées pour contester la satisfaction des deux autres conditions de délivrance de cette autorisation

La mesure de simplification de la loi industrie verte a donc surtout pour effet de complexifier le contentieux, sans réel intérêt pour le porteur de projet. Il serait pourtant précieux de pouvoir sécuriser la situation de ce dernier et trouver un équilibre entre les droits – notamment à la sécurité juridique – de ce dernier et la protection de l’environnement.

B. Sur l’absence de méconnaissance de la Charte de l’environnement

Pour le Conseil constitutionnel, la mesure inscrite au second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement ne méconnaît pas les articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement.

  • L’article 1er dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
  • L’article 2 dispose que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».

En effet,

  • d’une part, la mesure inscrit au second alinéa de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement ne modifie pas les conditions de délivrance de la dérogation espèces protégées : « 16. Les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir que la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur peut intervenir dès l’édiction du décret qualifiant le projet d’intérêt national majeur, n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d’une dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées ». Ce point 16 démontre à lui seul que la mesure de simplification litigieuse ne produit, concrètement, aucun effet véritable.
  • d’autre part, la présomption de la raison impérative d’intérêt public majeur est une présomption simple (jurisprudence du Conseil d’Etat) et ne dispense pas l’administration de procéder à l’examen de cette condition, ensuite des deux autres : « 17. Ainsi, l’autorité administrative demeure tenue d’apprécier, sous le contrôle du juge, la condition tenant à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur au regard de la nature du projet industriel envisagé. Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État que, en présence d’un tel intérêt, il appartient ensuite à l’autorité administrative compétente, lors de la délivrance de la dérogation, de s’assurer qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle« . Ce point 17 démontre, lui aussi que la mesure de simplification litigieuse ne produit, concrètement, aucun effet véritable.

Enfin, les griefs relatifs à la méconnaissance des articles 5 (principe de précaution) et 7 (principe de participation) de la Charte sont écartés de manière lapidaire.

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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