En bref
Solaire : publication du décret du 3 décembre 2024 précisant les caractéristiques des panneaux solaires photovoltaïques permettant le report de l‘obligation de solarisation de certains parkings
Hydroélectricité : modifications des modalités d’expérimentation du dispositif du médiateur
Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) : Modification des dispositions relatives à l’élaboration, la modification et la révision des SAGE
Déchets : Assouplissement des conditions pour la reprise des déchets de construction par les distributeurs
Dérogation espèces protégées : l’analyse du risque d’atteinte aux espèces protégées est différente sur le fondement de l’article L.411-2 (régime de protection) et de l’article L.511-1 (police des ICPE) du code de l’environnement
Par une décision n°473862 du 20 décembre 2024 le Conseil d’Etat a jugé que le risque d’atteinte à l’état de conservation des espèces protégées diffère selon qu’il est analysé sur le fondement de l’article L.411-2 ou L.511-1 du code de l’environnement. Ces deux fondements et ces deux régimes (espèces protégées et ICPE) sont spécifiques. Le risque d’atteinte peut être caractérisé au titre de l’un de ces deux régimes et pas l’autre. Une décision qui permet de relativiser la portée de celle (société Gourvillette) rendue par le Conseil d’Etat le 6 novembre 2024. (cf. CE, 20 décembre 2024, n°473862)
I. Rappel des faits et de la procédure
29 novembre 2017 : le préfet de la Nièvre a accordé une autorisation unique à la société X pour l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien composé de huit éoliennes et trois postes de livraison.
7 février 2022 : jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé l’arrêté entrepris et les arrêtés de régularisation pris par le préfet de la Nièvre.
9 mars 2023 : arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a annulé les jugements du tribunal administratif et l’arrêté préfectoral du 29 novembre 2017 uniquement en tant que n’avait pas été mis en œuvre le régime de la dérogation prévu à l’article L.411-2 du code de l’environnement pour la grue cendrée.
20 décembre 2024 : décision n°473862 par laquelle le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la société X, a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 9 mars 2023 est annulé en tant seulement qu’il concerne la dérogation « espèces protégées » et a renvoyé l’affaire dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Lyon.
I. Analyse de la solution retenue
A. Rappel : la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées
L’interdiction de perturbation de l’état de conservation des espèces protégées est de principe (A). La délivrance d’une autorisation de déroger à cette interdiction de principe est soumise à plusieurs conditions (B).
Le principe d’interdiction de perturbation d’espèces protégées. Pour mémoire, le principe d’interdiction de destruction du patrimoine naturel protégé est inscrit à l’article L.411-1 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les destinataires de ce principe d’interdiction de destruction sont : les sites d’intérêt géologique ; les habitats naturels ; les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ; leurs habitats. Il importe de souligner que le terme « destruction » doit être compris, dans une acception large, comme comprenant aussi, « altération » ou « dégradation ».
- l’absence de « solution alternative satisfaisante » ;
- l’absence de nuisance pour le « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » ;
- la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs énumérés au nombre desquels figure « c) (…) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».
Par un avis n°463563 du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a précisé, à la demande de la cour administrative d’appel de Douai, son interprétation des dispositions du droit positif relatives aux conditions (cf. notre commentaire de cet avis) d’une part, de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction d’espèces protégées, d’autre part, de délivrance de cette dérogation, une fois demandée.
S’agissant des conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation, le Conseil d’Etat a précisé que celles-ci sont cumulatives et doivent être appréciées successivement.
- S’agissant de la première condition relative à l’espèce protégée en cause : le pétitionnaire puis l’administration doivent vérifier si « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet ». Cet examen ne doit porter, ni sur le « nombre de ces spécimens », ni sur leur « état de conservation ».
- S’agissant de la deuxième condition relative à la nature du risque d’atteinte à l’état de conservation de l’espèce protégée : l’administration doit prendre en compte l’existence du « risque suffisamment caractérisé » au regard des mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire. Ces mesures doivent présenter deux caractéristiques : elles doivent présenter des « garanties d’effectivité » et permettre de « diminuer le risque ».
La création d’un régime de présomption de la preuve de la condition relative à la « raison impérative d’intérêt public majeur ». En 2023, le législateur est intervenu pour tenter de simplifier la preuve de l’une des trois conditions à satisfaire pour obtenir une dérogation espèces protégées : celle selon laquelle le projet concerné répond à une « raison impérative d’intérêt public majeur. Le nouvel article L.411-2-1 du code de l’environnement dispose que certains projets sont, par avance, présumés répondre à cette « raison impérative d’intérêt public majeur ». Il s’agit :
- des projets d’installations de production d’énergies renouvelables
- des projets de stockage d’énergie dans le système électrique satisfaisant aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie.
- des projets d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale
B. Les deux régimes d’analyse du risque d’atteinte aux espèces protégées
La décision ici commentée comporte une précision importante : l’analyse du risque d’atteinte aux espèces protégées diffère selon que l’administration procède à cette analyse sur le fondement de l’article L.411-2 du code de l’environnement ou sur le fondement de l’article L.511-1 du même code.
En outre, le Conseil d’Etat précise cette différence d’analyse en fonction de ces deux régimes.
- Sur le fondement L.511-1 du code de l’environnement, l’administration vérifiera si le projet porte atteinte à la conservation d’espèces protégées qui est au nombre des intérêts protégés par l’article L.511-1 du code de l’environnement, dans le cadre de la police des installations classées. Ce risque d’atteinte doit être analysé en tenant compte, notamment, des possibilités d’éviter, de réduire ou de compenser cette atteinte : « 8. Ainsi, le juge peut prononcer l’annulation d’une autorisation environnementale au motif qu’elle porte atteinte à la conservation d’espèces protégées, qui est au nombre des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement, sans mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement en vue de permettre au pétitionnaire de solliciter une dérogation au titre de l’article L. 411-2 du même code, s’il résulte de l’instruction, et notamment des éléments relatifs aux atteintes portées à la conservation de ces espèces et des possibilités de les éviter, réduire ou compenser, qu’aucune prescription complémentaire n’est susceptible d’assurer la conformité de l’exploitation aux dispositions de l’article L. 511-1 du code de l’environnement.«
- Sur le fondement de l’article L.411-2, l’administration s’attachera à vérifier l’existence d’un « risque suffisamment caractérisé » d’atteinte aux espèces protégées. Si ce risque existe, une demande de dérogation espèces protégées devra être déposée par l’exploitant : « 9. Mais les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 mettent en place un régime spécifique de protection des espèces protégées qui ne se confond pas avec les intérêts protégés de manière générale par l’article L. 511-1 du code de l’environnement. Il s’ensuit qu’un risque d’atteinte portée à des espèces protégées peut apparaître suffisamment caractérisé pour que le projet nécessite l’octroi d’une dérogation sur le fondement de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, sans pour autant être d’une nature et d’une ampleur telles qu’il porterait, sans qu’aucune prescription complémentaire puisse l’empêcher, une atteinte à la conservation de ces espèces justifiant d’opposer un refus sur le fondement de l’article L. 511-1 du même code. » (nous soulignons)
Les deux régimes sont donc spécifiques et l’analyse pratiquée dans le cadre de l’un ne sera pas forcément valable dans le cadre de l’autre. La protection des intérêts protégés à l’article L.511-1 appelle, le cas échéant, des prescriptions complémentaires à celles édictées dans l’arrêté préfectoral d’autorisation. L’article
Aussi c’est à bon droit qu’ici la cour administrative d’appel de Lyon a pu considérer qu’une dérogation était requise sur le fondement de l’article L.411-2 alors que le risque d’atteinte n’était pas tel qu’il portait atteinte aux intérêts protégés par l’article L.511-1 du code de l’environnement :
« 10. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que pour écarter le moyen tiré de ce que le projet attaqué méconnaissait l’article L. 511-1 du code de l’environnement, la cour a relevé que l’autorisation prévoyait une adaptation des travaux au sol, le bridage des éoliennes en période de migration et par temps de brouillard ainsi qu’un suivi de la mortalité et du comportement de la grue cendrée. Elle a également relevé que cette autorisation, d’une part, imposait un dispositif de mesure de la visibilité activé pendant les périodes de migration postnuptiale et prénuptiale et, d’autre part, prévoyait la mise à l’arrêt, durant ces périodes, des éoliennes en-dessous d’une certaine visibilité. De ces constatations, exemptes de dénaturation, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, a pu déduire sans erreur de droit ni contradiction de motifs que le projet, s’il justifiait l’octroi d’une dérogation » espèces protégées » pour la grue cendrée, ne portait pas, compte tenu de l’ensemble de ces mesures et au vu des effectifs d’oiseaux recensés sur la zone d’implantation et ses alentours, atteinte aux intérêts protégés de manière générale par l’article L. 511-1 du code de l’environnement. » (nous soulignons).
On notera qu’ici, le risque d’atteinte aux espèces protégées n’est pas caractérisé sur le fondement de l’article L.511-1 du code de l’environnement au motif que l’autorisation environnementale de l’installation en cause comporte une série de prescriptions de nature à en assurer la maîtrise.
Cette solution retenue par le Conseil d’Etat appelle les premières observations suivantes.
En premier lieu, cette décision permet de « relativiser » celle rendue le 6 novembre 2024 par le Conseil d’Etat Pour mémoire, par cette décision la Haute juridiction administrative a précisé que le juge administratif peut refuser d’engager une procédure de régularisation d’une autorisation environnementale – délivrée pour l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) – sur le fondement de l’article L.511-1 du code de l’environnement relatif aux intérêts de la police des ICPE et ce, pour remédier à l’absence de dérogation espèces protégées (cf. notre commentaire). A la suite de la décision rendue ce 20 décembre 2024, la régularisation d’un motif d’illégalité tiré d’une absence de prévention du risque d’atteinte aux espèces protégées, si elle n’est pas possible sur l’un des deux fondements précités, le sera peut être sur l’autre.
En deuxième lieu, il est désormais conseillé aux pétitionnaires, au cours l’évaluation environnementale de leurs projets, d’examiner le risque d’atteinte aux espèces protégées sur le double fondement des articles L.411-2 et L.511-1 du code de l’environnement.
Arnaud Gossement
avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
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