Le Haut conseil pour le climat souligne la fragilité juridique de la Stratégie française énergie climat

Fév 2, 2025 | Energie – Climat

Ce 31 janvier 2025, le Haut conseil pour le climat a publié son avis – sur auto saisine – sur le projet de troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) mis en consultation par le gouvernement, du 4 novembre au 16 décembre 2024. Si le Haut conseil pour le climat a salué les avancées pour la neutralité carbone apportées par le projet de PPE 3, il a également émis une longue liste de recommandations pour améliorer ce texte et le rendre plus efficient. Il a notamment recommandé de « Rétablir la solidité juridique de la Stratégie française énergie climat en mettant en cohérence le code de l’énergie avec l’ensemble des objectifs énergie-climat de la PPE 3 et avec la loi européenne sur le climat (paquet climat Fit for 55) » (recommandation 6i). Une recommandation qui confirme à son tour le besoin d’une loi pour assurer la sécurité et donc l’utilité de la future programmation pluriannuelle de l’énergie.

Pour mémoire, le Gouvernement doit, avec plusieurs années de retard, publier par décret une nouvelle « programmation pluriannuelle de l’énergie » (article L.141-1 du code de l’énergie). Cette programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit définir les modalités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d’atteindre les objectifs définis par la loi (et codifiés aux articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 100-4 du code de l’énergie)

La loi destinée à actualiser les objectifs de la politique énergétique nationale aurait dû être votée avant le 1er juillet 2023 (article L. 100-1 A du code de l’énergie). Le 11 avril 2024, le Gouvernement a renoncer à déposer un projet de loi de programmation énergie climat (cf. notre commentaire de l’avant de projet de loi relative à la souveraineté énergétique). Une annonce regrettée par le Syndicat des énergies renouvelables, dans un communiqué de presse du même jour. Quelques mois plus tard, une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie a été déposée au Sénat et adoptée en première lecture. Elle n’a, depuis lors, pas été examinée à l’Assemblée nationale.

Du 4 novembre au 16 décembre 2024, le Gouvernement a organisé une consultation publique sur le seul projet de troisième programmation pluriannuelle de l’énergie mais aussi sur la troisième Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Le 31 janvier 2025, le Haut conseil pour le climat a émis son avis sur ces projets de plans.

I. Le Haut conseil pour le climat confirme qu’une loi de programmation énergie climat est nécessaire

Le vote d’une loi pour actualiser les objectifs de la politique énergétique nationale est un impératif avant de publier les moyens mis en œuvre pour les atteindre, notamment dans la 3ème PPE. L’auteur de ces lignes a pu le souligner à plusieurs reprises (cf. par ex. commentaire Linkedin et commentaire sur ce site)

L’avis du Haut conseil pour le climat.

Aux termes de son avis daté du 31 janvier 2025, le Haut conseil pour le climat recommande de : « 6i Rétablir la solidité juridique de la Stratégie française énergie climat en mettant en cohérence le code de l’énergie avec l’ensemble des objectifs énergie-climat de la PPE 3 et avec la loi européenne sur le climat (paquet climat Fit for 55)« .

La recommandation du HCC est fondée sur l’analyse suivante (cf. avis du 31 janvier 2025 page 32) :

« Un dispositif législatif fragilisé par l’abandon du projet de loi de programmation énergie climat

Faute de n’avoir su trouver l’ouverture politique nécessaire à l’adoption d’une loi programmatique, les gouvernements successifs ont pris la responsabilité de passer outre l’obligation légale. La publication du décret régissant la PPE aurait donc lieu en l’absence d’actualisation des objectifs globaux (code de l’énergie, article L100-4) qu’aurait permis l’adoption d’une LPEC. Ceci fragilise les bases juridiques de l’ensemble de la stratégie française en termes d’énergie et de climat. A l’instar du Conseil Supérieur de l’Énergie, le HCC regrette donc qu’une loi de programmation sur l’énergie et le climat n’ait pas été adoptée en amont de la PPE 3, conformément à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie.
Si la PPE dispose d’une existence juridique propre, elle doit néanmoins « définir les modalités d’action afin d’atteindre les objectifs » généraux de la politique énergétique, ainsi que ceux, chiffrés, déterminés par la LPEC. En son absence, ce sont les objectifs définis par la loi énergie climat de 2019 qui s’appliquent.
Le HCC s’interroge sur la portée réglementaire d’une programmation pluriannuelle dont les objectifs seraient plus ambitieux que ceux figurant dans le code l’énergie. La plupart des objectifs en matière énergétique sont certes plutôt flexibles pour l’horizon 2030 (il s’agit de « viser » une réduction de consommation énergétique finale et d’atteindre « au moins » une certaine part d’énergies renouvelables), mais d’autres sont plus stricts (la réduction d’énergie primaire fossile doit être de 40 % en 2030 par rapport à 2012). Les objectifs de la PPE pourraient par ailleurs être contestés puisque le scénario central sur lequel ils reposent est celui de la SNBC, et que celle-ci vise une cible de 50 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 (en application des objectifs assignés à la France dans le cadre du paquet climat énergie 2030 mis à jour pour correspondre à l’objectif de la loi européenne sur le climat, paquet Fit for 55), bien supérieure à l’objectif strict de 40 % inscrit dans la législation actuelle. Ces non-conformités pourraient avoir un impact sur les investissements prévus par la PPE, notamment lorsque les cibles de la PPE 2 seront dépassées.
Le HCC recommande de :
● Rétablir la solidité juridique de la Stratégie française énergie climat en mettant en cohérence
le code de l’énergie avec l’ensemble des objectifs énergie-climat de la PPE 3 et avec la loi
européenne sur le climat (paquet climat Fit for 55).« 

Il est important de rappeler que la loi actuelle définit en effet des objectifs obsolètes qui ne sont en phase, ni avec le consensus scientifique, ni avec le droit de l’Union européenne. Un travail de mise à jour des objectifs aujourd’hui codifiés dans le code de l’énergie est un préalable indispensable pour, ensuite, disposer d’une PPE cohérente et dotée d’une valeur juridique certaine. Il est intéressant de rappeler les principes caractéristiques du cadre juridique dans lequel s’inscrit cette PPE pour s’en convaincre.

II. Rappel : le cadre juridique actuel de la programmation pluriannuelle de l’énergie
Pour mémoire, les objectifs de la politique énergétique sont actuellement définis de la manière suivante en droit interne, au sein du code de l’énergie.
A. Les objectifs de la politique énergétique nationale du code de l’énergie
Les objectifs non chiffrés de la politique énergétique. Aux termes de l’article L100-1 du code de l’énergie, la « politique énergétique » doit, notamment, « contribuer » « à la mise en place d’une Union européenne de l’énergie, qui vise à garantir la sécurité d’approvisionnement et à construire une économie décarbonée et compétitive, au moyen du développement des énergies renouvelables, des interconnexions physiques, des moyens de flexibilité du système électrique, du soutien à l’amélioration de l’efficacité énergétique et de la mise en place d’instruments de coordination des politiques nationales« .
Ces dispositions ont été introduites par l’article 1er de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. On soulignera ici l’objectif d’une économie « décarbonée ». Le développement des énergies renouvelables est ici un « moyen » parmi d’autres pour réaliser cet objectif. Depuis plusieurs décennies, l’Etat français demande régulièrement à ce que le terme « décarboné » soit employé en droit de l’énergie pour désigner les sources de production d’électricité de manière à donner la priorité, non au caractère renouvelable du flux ou du stock utilisé mais aux émissions de gaz à effet de serre issues de l’exploitation de ce flux.
Les objectifs chiffrés de la politique énergétique nationale. L’article L.100-4 du code de l’énergie comporte l’ensemble des objectifs chiffrés de la politique énergétique nationale et notamment les objectifs de développement des énergies renouvelables aux paragraphes 4° à 11° du I de cet article.
Le besoin d’une loi pour actualiser les objectifs et priorités d’action de la politique énergétique nationale. L’article L.100-1 A I du code de l’énergie prévoit l’élaboration d’une telle loi : « I.-Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique. » 
Cette loi devra, notamment, définir les objectifs de développement et de stockage des énergies renouvelables pour l’électricité, la chaleur, le carburant, le gaz ainsi que l’hydrogène renouvelable et bas-carbone : « 3° Les objectifs de développement et de stockage des énergies renouvelables pour l’électricité, la chaleur, le carburant, le gaz ainsi que l’hydrogène renouvelable et bas-carbone, pour deux périodes successives de cinq ans. Pour l’électricité d’origine hydraulique, les objectifs de développement et de stockage portent sur l’évolution des capacités de production des installations hydrauliques, autorisées et concédées en application de l’article L. 511-5, ainsi que des stations de transfert d’électricité par pompage« .
Cette loi n’a pas été votée avant la date du 1er juillet 2023.
B. La mise en œuvre des objectifs de la politique énergétique nationale
Conformément à l’article article L.100-1 A II du code de l’énergie, les plans suivants doivent être compatibles avec la  loi relative aux objectifs et priorités d’action de la politique énergétique nationale :
  1. La programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.
  2. Le plafond national des émissions de gaz à effet de serre, dénommé  « budget carbone », mentionné à l’article L. 222-1 A du code de l’environnement.
  3. La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée « stratégie bas-carbone » (SNBC), ainsi que les plafonds indicatifs des émissions de gaz à effet de serre dénommés « empreinte carbone de la France » et  « budget carbone spécifique au transport international », mentionnés à l’article L. 222-1 B du même code.
  4. Le plan national intégré en matière d’énergie et de climat et la stratégie à long terme, mentionnés respectivement aux articles 3 et 15 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat, modifiant les règlements (CE) n° 663/2009 et (CE) n° 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/ CE, 98/70/ CE, 2009/31/ CE, 2009/73/ CE, 2010/31/ UE, 2012/27/ UE et 2013/30/ UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/ CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.
  5. La stratégie de rénovation à long terme, mentionnée à l’article 2 bis de la directive 2010/31/ UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments.
La programmation pluriannuelle a fait l’objet de plusieurs décrets et notamment des suivants pour le territoire métropolitain :
La troisième PPE est donc attendue. Non seulement le droit (article L.100-1 A du code de l’énergie) impose le vote d’une loi qui « détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique » avant toute adoption d’un nouveau décret PPE mais, en outre et comme le HCC le souligne très bien, il est temps d’actualiser les objectifs, notamment définis dans la loi à l’article L.100-4 du code de l’énergie.  A titre d’exemple, cet article L.100-4 continue de comporter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre suivant : « Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. » Or, il est désormais nécessaire de passer cet objectif de 40 à 50% d’ici à 2030.

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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