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Responsabilité environnementale : les personnes morales de droit public peuvent être responsables des dommages environnementaux causés par des activités d’intérêt public (CJUE)
Par un arrêt remarqué en date du 9 juillet 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a apporté d’utiles précisions au régime de la responsabilité environnementale en droit de l’Union européenne.
1. Sur le régime de la responsabilité environnementale en droit de l’Union européenne
La directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 « sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux » (DRE) a fixé un régime juridique commun aux Etats membres de responsabilité environnementale, dans le cadre de la politique environnementale de l’Union européenne.
Les dispositions de la DRE s’appuient sur le principe du pollueur-payeur. En d’autres termes, en cas de dommage environnemental ou de menace imminente d’un tel dommage, l’exploitant en est tenu responsable et doit prendre les mesures préventives et de réparation nécessaires et en supporter les coûts. Les dommages sont considérés comme réparés lorsqu’un retour de l’environnement à l’état initial est obtenu.
L’objectif est d’inciter les entreprises à adopter des mesures et à développer des pratiques propres à minimiser les risques de dommages environnementaux, de façon à réduire leur exposition aux risques financiers associés.
La directive couvre les dommages causés à la biodiversité (espèces et habitats naturels protégés), aux eaux et aux sols. A noter que la Commission européenne s’est engagée, aux termes d’un règlement (UE) 2019/1010 du 5 juin 2019, à publier des lignes directrices permettant une compréhension commune du terme « dommage environnemental » d’ici le 31 décembre 2020, afin d’écarter les litiges nés de son interprétation.
Sauf exceptions, la responsabilité environnementale est engagée :
- Sans faute, lorsque le dommage environnemental est causé par une des activités professionnelles dangereuses énumérées par la directive (opérations de gestion des déchets, exploitation des installations soumises à autorisation, etc.) ;
- Lorsqu’une faute ou une négligence est démontrée, si un dommage environnemental significatif est causé aux espèces protégées et aux habitats naturels (ou la menace imminente d’un tel dommage) par des activités professionnelles autres.
2. Sur la mauvaise application de la directive européenne en droit français
En droit français, la transposition de la DRE a été opérée par la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 « relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement » et son décret d’application n° 2009-468 du 23 avril 2009 « relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages causés à l’environnement ».
Néanmoins, la mauvaise application de la directive par les Etats membres est régulièrement relevée. En ce sens, le 2 juillet 2020, la Commission européenne a adressé à plusieurs Etats membres, dont la France, une lettre de mise en demeure en raison de sa mauvaise application de la DRE. La Commission relève en effet que la législation nationale ne permet pas, à ce jour, à l’ensemble des personnes habilitées au sens de la directive, de demander à l’autorité compétente de prendre des mesures de réparation des dommages environnementaux. Les Etats concernés ont trois mois pour remédier à la situation.
En outre, une résolution du Parlement européen du 26 octobre 2017, qui fait suite à un rapport de la Commission européenne du 14 avril 2016 (cf. COM(2016) 204 final du 14.4.2016), a souligné les « limites de l’efficacité de la DRE ». Pour y remédier, la résolution préconise plusieurs modifications de la directive afin d’étendre son champ d’application et de la rendre plus contraignante.
3. Sur les précisions apportées par la Cour de justice de l’Union européenne
A titre liminaire, l’interprétation et l’application de la directive du 21 avril 2004 a donné lieu à peu de contentieux liés à son interprétation et son application, dont aucune jurisprudence nationale.
Parmi les jurisprudences notables, la CJUE a apporté des précisions sur l’applicabilité dans le temps de la directive (cf. CJUE, 1er juin 2017, aff. C-529/15, Folk) et a admis la possibilité de condamner le propriétaire du terrain solidairement avec l’exploitant (cf. CJUE, 13 juill. 2016, C-129/16, Túrkevei Tejtermelo Kft).
La CJUE a également précisé le cadre de la responsabilité sans faute et en particulier du lien de causalité entre la pollution constatée et les activités concernées (cf. CJUE, grande ch., 9 mars 2010, aff. C-378/08, ERG et a. CJUE) et des mesures de réparation (cf. CJUE, grande ch., 9 mars 2010, aff. C-379/08, ERG et a.).
Par un arrêt du 9 juillet 2020, la CJUE a précisé le régime de responsabilité environnementale institué par la DRE, cette fois dans l’hypothèse de la responsabilité pour faute concernant les dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés (cf. CJUE, 9 juillet 2020, C-297/19, Naturschutzbund Deutschland).
Dans cette affaire, une association allemande avait sollicité des mesures de réparation des dommages causés à une espèce protégée d’oiseau du fait de l’exploitation d’une station de pompage. La particularité du dossier étant que l’exploitant était un syndicat constitué sous la forme d’une personne morale de droit public, dont la mission d’entretien des eaux de surface qualifiée d’obligation de droit public lui avait été confiée par la loi.
Dans ce contexte, la juridiction allemande a sollicité auprès de la CJUE une clarification de deux notions figurant dans la directive, déterminantes pour l’issue du litige : la « gestion normale du site » et l’exercice d’une « activité professionnelle ».
En effet, en premier lieu, la directive prévoit une exonération de responsabilité au profit des exploitants, lorsque les dommages résultent de « variations négatives […] résultant des interventions liées à la gestion normale des sites telle que définie dans les cahiers d’habitat, les documents d’objectif ou pratiquée antérieurement par les propriétaires ou exploitants » (cf. annexe I de la directive).
La juridiction de renvoi se posait notamment la question de savoir si la notion de « gestion » couvrait l’exploitation d’une station de pompage visant l’irrigation et le drainage des surfaces agricoles et si le caractère « normal » de la gestion devait uniquement être apprécié au regard des cahiers d’habitat et des documents d’objectif ou bien s’il pouvait l’être également au regard d’autres principes généraux de droit national tels que les bonnes pratiques professionnelles.
Sur ce point, la CJUE indique que la notion de « gestion normale » des sites doit être entendue comme couvrant,
- d’une part, toute mesure d’administration ou d’organisation susceptible d’avoir une incidence sur les espèces et les habitats naturels protégés se trouvant sur un site, telle qu’elle résulte des documents de gestion adoptés par les États membres en vertu des directives « Oiseaux » et « Habitat », au besoin, en référence à toute norme de droit interne transposant ces deux dernières directives ou, à défaut, compatible avec l’esprit et l’objectif de ces directives ;
- d’autre part, toute mesure d’administration ou d’organisation considérée comme usuelle, généralement reconnue, établie et pratiquée depuis un laps de temps suffisamment long par les propriétaires ou les exploitants jusqu’à la survenance d’un dommage causé par l’effet de cette mesure aux espèces et aux habitats naturels protégés, l’ensemble de ces mesures devant par ailleurs être compatible avec les objectifs sous-tendant les directives ainsi que, notamment, avec les pratiques agricoles couramment admises.
En deuxième lieu, s’agissant de la notion d’« activité professionnelle », il résulte de l’article 2 de la directive que l’exercice d’une activité professionnelle constitue une condition indispensable à la mise en œuvre de la responsabilité environnementale pour faute.
Sur ce point, la Juridiction de renvoi s’interrogeait sur la question de savoir si l’activité du syndicat, exercée en vertu d’un transfert légal de mission et ne présentant pas de caractère concurrentiel, était une « activité professionnelle ».
La CJUE affirme que la notion d’« activité professionnelle » recouvre une conception large et inclut également les activités publiques non lucratives exercées par des personnes morales publiques. En ce sens, elle « englobe l’ensemble des activités exercées dans un cadre professionnel, par opposition à un cadre purement personnel ou domestique, et, partant, les activités exercées dans l’intérêt de la collectivité en vertu d’un transfert légal de mission » (Pt 76).
Autrement dit, les personnes morales de droit public peuvent être responsables des dommages environnementaux pour des activités menées dans l’intérêt public comme l’exploitation d’une station de pompage pour drainer des surfaces agricoles.
Margaux Bouzac
Avocate sénior
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