En bref
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Un maire peut refuser le permis de construire d’un poulailler industriel en raison du manque d’eau, en tenant compte du changement climatique (jurisprudence cabinet)
[webinaire] 21 novembre 2025 : « Etat de droit et Environnement : le Conseil constitutionnel face aux reculs environnementaux » (La Fabrique écologique)
[colloque] 17 octobre 2025 : intervention d’Arnaud Gossement à la IXème édition des Journées Cambacérès sur « Justice et Environnement » organisées par la Cour d’appel et la Faculté de droit de Montpellier
Dérogation espèces protégées : le Conseil d’Etat précise les conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation dans le sens d’un meilleur équilibre entre protection des espèces et production d’énergies renouvelables (Conseil d’Etat, 17 février 2023, n°460798)
Résumé
1. S’agissant de la condition relative à la présence d’un ou plusieurs spécimens d’espèces protégées sur la zone du projet : le contenu du terme « présence » est ici précisé.
– Le Conseil d’Etat concentre ici son analyse sur la présence d’une « zone de nidification ».
– La présence d’un ou plusieurs spécimens peut donc être temporaire.
– Toutefois, il semble possible de déduire de cette analyse des faits, que la « présence » desdits spécimens ne peut pas être uniquement potentielle. C’est bien l’existence avérée d’une zone de nidification » qui permet de conclure à la présence de ces spécimens.
2. S’agissant de l’existence du « risque suffisamment caractérisé » d’atteinte à l’état de conservation favorable d’une espèce protégée: le contenu du terme « risque » est ici précisé.
– Tout risque – positif ou négatif – ne déclenche pas l’obligation de dépôt : une seule hypothèse de réalisation d’un évènement ne suffit pas à identifier un « risque suffisamment caractérisé »
– Le risque à considérer doit être un risque d’évènement négatif. Le Conseil d’Etat fait ici état du « risque de collision » et du terme « impact »
– Le risque d’un évènement négatif pour la conservation de l’espèce doit être suffisamment caractérisé c’est à dire au moins « faible à modéré ». Un risque qui serait purement théorique, sans aucune donnée permettant de savoir si l’impact procédant de sa réalisation pourrait avoir un quelconque effet pour la conservation de l’espèce ne correspond pas à un risque suffisamment caractérisé.
9 octobre 2014 : l’arrêté du du préfet de X délivrant à la société X l’autorisation d’exploiter sept éoliennes et un poste de livraison, sur le territoire de la commune de X.
29 juillet 2016 : par un jugement n° 1501112, le tribunal administratif a fait droit à la demande d’annulation présentée par une association, des personnes physiques, une SEM et une commune et annulé cet arrêté.
14 décembre 2017 : Par un arrêt nos 16NC02173, 16NC02191, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté les appels de la société X et de la ministre chargée de l’environnement.
7 juin 2019 : par une décision n° 417928, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé l’arrêt de la cour et renvoyé l’affaire à celle-ci.
25 novembre 2021 : par un nouvel arrêt nos 19NC01845, 19NC01846, la cour administrative d’appel de Nancy a engagé une procédure de régularisation de l’autorisation environnementale attaquée. A cette fin, elle a :
– d’une part, sursis à statuer sur les requêtes de la société X et de la ministre chargée de l’environnement jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois, pour notifier, après avis régulièrement émis par l’autorité environnementale, une autorisation environnementale modificative,
– d’autre part, suspendu l’exécution de l’arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 9 octobre 2014, devenu autorisation environnementale, jusqu’à l’édiction de cette autorisation environnementale modificative.
25 janvier 2022 : les requérants opposés au projet ont saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation de cet arrêt rendu le 25 novembre2021 par la cour administrative d’appel de Nancy.
- Les sites d’intérêt géologique
- Les habitats naturels
- Les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées
- Leurs habitats
Il importe de souligner que le terme « destruction » doit être compris, dans une acception large, comme comprenant aussi, « altération » ou « dégradation ».
En droit interne, la possibilité de déroger à ce principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées est prévue au 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les conditions de fond suivantes doivent être réunies pour qu’une dérogation – si elle a été demandée – puisse être délivrée par l’administration :
– L’absence de « solution alternative satisfaisante »
– L’absence de nuisance pour le « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle«
– La justification de la dérogation par l’un des cinq motifs énumérés au nombre desquels figure « c) (…) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement«
2. L’avis n°463563 du 9 décembre 2022 du Conseil d’Etat
Par un avis n°463563 du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat, à la demande de la cour administrative d’appel de Douai, a précisé son interprétation des dispositions du droit positif relatives aux conditions (cf. notre commentaire de cet avis) :
– d’une part, de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction d’espèces protégées.
– d’autre part, de délivrance de cette dérogation, une fois demandée.
S »agissant des conditions distinctes et cumulatives de délivrance de la dérogation espèces protégées
– Le Conseil d’Etat a entendu rappeler le contenu et le caractère distinct et cumulatif des trois conditions de dérogation.
– Le Conseil d’Etat a également précisé que l’administration doit notamment prendre en compte, lors de l’examen de ces trois conditions, des mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par le pétitionnaire
3. La confirmation des termes de l’avis du 9 décembre 2022
La décision rendue ce 17 février 2023 reprend les termes de l’avis du 9 décembre 2022, s’agissant des conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation. Ces conditions sont au nombre de deux et doivent être successivement étudiées.
1er temps de l’examen de l’obligation de dépôt : l’identification de spécimen présents dans la zone du projet
L’avis contentieux rendu le 9 décembre 2022 et la décision rendue ce 17 février 2023 comportent l’énoncé suivant :
« 4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d’oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes. »
Ainsi, la première étape de l’examen de l’obligation de dépôt consiste à vérifier si un ou plusieurs spécimens d’une espèce protégée sont présents sur la zone du projet. Le nombre et l’état de conservation de ces spécimens ne doivent pas être pris en compte.
Si un ou plusieurs spécimens sont présents dans la zone du projet : il convient de passer à la 2ème étape de l’examen de l’obligation de dépôt.
2ème temps de l’examen de l’obligation de dépôt : l’identification d’un risque suffisamment caractérisé de l’activité en cause pour les espèces protégées
L’avis contentieux rendu le 9 décembre 2022 et la décision rendue ce 17 février 2023 précisent que l’administration, pour savoir si elle doit exiger ou non une demande de dérogation de la part du porteur de projet, doit
– d’une part, prendre en compte les mesure d’évitement et de réduction proposée
– d’autre part, vérifier que ces mesures présentent des « garanties d’effectivité »
– enfin, vérifier que ces mesures sont de nature à « diminuer le risque pour les espèces ».
L’avis et la décision précisent sur ce point :
« 16. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation » espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation » espèces protégées « .
B. L’application au cas d’espèce des conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt de la demande de dérogation
Par sa décision rendue ce 17 février 2023, le Conseil d’Etat a procédé à une application des conditions précitées de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation :
– d’une part, pour chaque espèces prise isolément : la grue cendrée puis le milan royal.
– d’autre part, pour chacune de ces deux espèces.
Le point 17 de la décision rendue ce 17 février 2023 précise :
« 17. La cour a relevé, d’une part, s’agissant de la grue cendrée, que si une étude complémentaire menée à la demande du pétitionnaire en 2014 avait mis en évidence la présence sensiblement plus importante de spécimens de cette espèce que l’étude d’impact initialement établie, aucune zone de nidification n’avait été identifiée, que le risque estimé de modification des trajectoires de migration lié au projet était faible à modéré et le risque de collision non significatif, au regard de l’altitude de vol de l’espèce et des conditions d’implantation des éoliennes. La cour a également relevé, d’autre part, s’agissant du milan royal, que si cette espèce soulève un fort enjeu de conservation eu égard à son statut de conservation défavorable au niveau national, aucune zone de nidification n’avait été identifiée sur le site et que l’impact sur l’espèce n’était pas démontré. Dans ces conditions, en jugeant que le projet n’impliquait pas d’atteinte suffisamment caractérisée à la grue cendrée et au milan royal, et en déduisant qu’un tel risque ne nécessitait pas de former préalablement une demande de dérogation au titre des dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, la cour n’a ni commis d’erreur de droit, ni donné aux faits de l’espèce une inexacte qualification juridique«
S’agissant du risque d’atteinte à l’état de conservation favorable de la grue cendrée :
– Il y a bien présence de spécimens de cette espèce
– Mais aucune « zone de nidification » n’a été identifiée
– Le risque estimé de modification de trajectoires de migration est « faible à modéré«
– Le risque de collision est « non significatif » « au regard de l’altitude de vol de l’espèce et des conditions d’implantation des éoliennes. » Ce point sera bien entendu lu avec beaucoup d’attention par les porteurs de projets de la filière éolienne.
S’agissant du risque d’atteinte à l’état de conservation favorable du milan royal « qui soulève un fort enjeu de conservation eu égard à son statut de conservation défavorable au niveau national » :
– Aucune zone de nidification n’avait été identifiée sur le site et que
– L’impact sur l’espèce n’a pas été démontré.
La cour administrative d’appel de Nancy n’a donc pas commis d’erreur de droit ou de qualification juridique des faits en estimant que le porteur de projet n’était pas tenu de déposer une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées
Conclusion. Cette décision du 17 février 2023 est particulièrement intéressante en ce qu’elle précise les conditions d’application des conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt de la demande de dérogation.
1. S’agissant de la condition relative à la présence d’un ou plusieurs spécimens d’espèces protégées sur la zone du projet : le terme « présence » est ici précisé.
– Le Conseil d’Etat concentre ici son analyse sur la présence d’une « zone de nidification ».
– La présence d’un ou plusieurs spécimens peut donc être temporaire.
– Toutefois, il semble possible de déduire de cette analyse des faits, que la « présence » desdits spécimens ne peut pas être uniquement potentielle. C’est bien l’existence avérée d’une zone de nidification » qui permet de conclure à la présence de ces spécimens.
2. S’agissant de l’existence du « risque suffisamment caractérisé » d’atteinte à l’état de conservation favorable d’une espèce protégée : le terme « risque » est ici précisé.
– tout risque ne déclenche pas l’obligation de dépôt : une seule hypothèse de réalisation d’un évènement ne suffit pas à identifier un « risque suffisamment caractérisé
– Le risque à considérer doit être un risque d’évènement négatif. Le Conseil d’Etat fait ici état du « risque de collision » et du terme « impact »
– Le risque d’un évènement négatif pour la conservation de l’espèce doit être suffisamment caractérisé c’est à dire au moins « faible à modéré ». Un risque qui serait purement théorique, sans aucune donnée permettant de savoir si l’impact procédant de sa réalisation pourrait avoir un quelconque effet pour la conservation de l’espèce ne correspond pas à un risque suffisamment caractérisé.
Arnaud Gossement
Avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne
A lire également :
Note du 1er janvier 2023 – Dérogation espèces protégées : les suites données par les juridictions administratives à l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022
Note du 29 décembre 2022 – La production d’énergies renouvelables relève d’un « intérêt public supérieur » (Règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables)
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