Dérogation espèces protégées : le législateur précise les conditions de naissance de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées (Loi DDADDUE)

Avr 9, 2025 | Environnement

Le Parlement a définitivement adopté, ce 3 avril 2025, le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (DDADUE). Ce texte a suscité assez peu d’attention mais il comporte pourtant plusieurs dispositions importantes pour l’avenir du droit de l’environnement. A titre d’exemple, l’article 25 de ce projet de loi définit, pour la première fois en droit interne, les conditions dont la réunion justifie qu’un porteur de projet soit tenu de déposer une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. La rédaction de l’article 25 du projet de loi DDADDUE n’est pas tout à fait identique à celle de l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 (cf. notre commentaire de cet avis). Analyse.

A titre liminaire, il convient de souligner qu’à l’heure de la rédaction de la présente note, le projet de loi DDADDUE est l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori par le Conseil constitutionnel. Il convient donc de rester prudent car certaines dispositions de ce texte peuvent bien entendu être déclarées contraires à la Constitution et ne jamais entrer en vigueur. Les développements qui suivent sont donc écrits sous cette réserve.

L’article 25 du projet de loi DDADUE ajoute un nouvel alinéa au début de l’article L.411-2-1 du code de l’environnement, de manière à transposer l’article 16 ter de la directive RED II de 2018, dans sa rédaction résultant de la directive RED III de 2023. Notons de manière incidente que cet article prévoit aussi que «lorsqu’un projet d’énergies renouvelables comporte les mesures d’atténuation nécessaires, toute mise à mort ou perturbation des espèces protégées n’est pas considérée comme intentionnelle ». Or, cette disposition n’a pas été transposée dans le projet de loi.

Pour mémoire, cet article L.411-2-1 a été créé par l’article 19 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables puis modifié par l’article 19 de loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte. Cet article L.411-2-1 créé un régime de présomption selon lequel certains projets sont réputés – par avance – répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Le nouvel alinéa ajouté par l’article 25 de la loi DDADUE à cet article L.411-2-1 du code de l’environnement a pour objet de définir les conditions qui, si elles sont réunies, imposent au porteur de projet, sous le contrôle de l’administration puis du juge, de déposer une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées :

« La dérogation prévue au 4° du I de l’article L. 411-2 n’est pas requise lorsqu’un projet comporte des mesures d’évitement et de réduction présentant des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces mentionnées à l’article L. 411-1 au point que ce risque apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées. »

Aux termes de ces dispositions, si les conditions sont réunies, le porteur de projet n’est pas tenu de déposer une demande de « dérogation espèces protégées » :

  • Le projet comporte des mesures d’évitement et de réduction
  • présentant des garanties d’effectivité
  • telles qu’elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces mentionnées à l’article L. 411-1
  • au point que ce risque apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé
  • et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées.

Pour mémoire, les conditions de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de DEP ont été tout d’abord définies – en droit interne – par le Conseil d’Etat, aux termes de son avis contentieux du 9 décembre 2022 : 

« 4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d’oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes.

5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation  » espèces protégées  » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation  » espèces protégées « .« 

Ainsi, pour le Conseil d’Etat, les conditions successives et cumulatives de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation sont les suivantes :

  • S’agissant de la première condition relative à l’espèce protégée en cause : le pétitionnaire puis l’administration doivent vérifier si « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet ». Cet examen ne doit porter, ni sur le « nombre de ces spécimens », ni sur leur « état de conservation ».
  • S’agissant de la deuxième condition relative à la nature du risque d’atteinte à l’état de conservation de l’espèce protégée : l’administration doit prendre en compte l’existence du « risque suffisamment caractérisé » au regard des mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire. Ces mesures doivent présenter deux caractéristiques : elles doivent présenter des « garanties d’effectivité » et permettre de « diminuer le risque ».
  • Ces deux conditions sont cumulatives et successives. 

Les dispositions de l’article 25 du projet de loi DDADDUE appellent les premières observations suivantes.

En premier lieu, il est certainement utile – pour la lisibilité et l’accessibilité du droit – que le législateur définisse lui-même les conditions de naissance de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. On regrettera cependant que le législateur n’ait pas profité de cet exercice pour définir les critères d’appréciation du « risque suffisamment caractérisé ».

En deuxième lieu, la rédaction de cet article 25 confirme que l’obligation de dépôt de la demande de dérogation n’est pas systématique mais dépend de la réunion des conditions précitées.

En troisième lieu, la rédaction de l’article 25 du projet de loi DDADDUE n’est pas tout à fait identique à celle de l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022.

Certes, le législateur ne s’est, à notre sens, pas totalement écarté de l’analyse réalisée par le Conseil d’Etat le 9 décembre 2022. On notera notamment que seules les mesures d’évitement et de réduction présentant des garanties d’effectivité doivent être prises en compte.

Toutefois, l’article 25 créé une nouvelle condition d’exemption de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation, reprenant la rédaction du considérant 37 de la directive RED III : le projet doit intégrer « un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre les mesures supplémentaires nécessaires pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur la population de ces espèces ». De ce point de vue, le régime juridique de l’article 25 est plus sévère que celui que contient l’avis du 9 décembre 2022 du Conseil d’Etat.

Enfin, l’article 25 comporte une imprécision importante qui risque de susciter des débats devant le juge administratif. Cette imprécision concerne la première condition relative à l’espèce protégée en cause.

  • Pour le Conseil d’Etat, le pétitionnaire puis l’administration doivent vérifier si « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet ». Cet examen ne doit porter, ni sur le « nombre de ces spécimens », ni sur leur « état de conservation ». Dit autrement : la présence d’un seul individu d’une espère protégée suffit à réaliser cette condition.
  • Pour le législateur : l’article 25 est muet sur ce point crucial qui, rappelons-le, avait motivé la question transmise par la cour administrative d’appel de Douai au Conseil d’Etat. L’article 25 ne mentionne que « les espèces » et jamais les « specimens » ou les « individus ».

Reste donc cette question : la présence d’un seul individu dans la zone du projet, quel que son état de conservation, suffit-elle à remplir la première des deux conditions de naissance de l’obligation de dépôt d’une espèce protégée ? Il serait précieux que le législateur intervienne rapidement pour réparer cet oubli.

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

 

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