En bref
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Déchets : le contrat entre un éco-organisme et une collectivité territoriale est-il de droit administratif ? (TGI Libourne)
Par ordonnance du 1er février 2016, le Juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Libourne s’est déclaré incompétent pour statuer sur un litige opposant un éco-organisme de gestion des déchets à un syndicat mixte intercommunal quant à l’exécution d’un contrat de gestion de déchets. Une décision qui peut contribuer à ce que l’Etat précise ce qu’est exactement le modèle de « la REP à la française ».
I. Le contexte
Dans cette affaire, un éco-organisme agréé pour la gestion des déchets diffus spécifiques avait assigné, devant le Tribunal de grande instance de Libourne, un Syndicat mixte intercommunal de collecte et de valorisation de déchets, en raison d’un litige entre les deux parties quant à l’exécution d’un contrat de gestions desdits déchets.
Le Syndicat mixte intercommunal a contesté, devant le Juge de la mise en état, la compétence du Tribunal de grande instance de Libourne au motif que le contrat objet du litige est un contrat de droit administratif.
Par ordonnance du 1er février 2016, le Juge de la mise en état du Tribunal de Grande instance de Libourne s’est en effet déclaré incompétent pour connaître du litige, au profit du Tribunal administratif de Bordeaux devant lequel la demande pourrait donc être désormais discutée.
II. Les enjeux
Le principe de la « responsabilité élargie du producteur » (REP) impose à certains producteurs, désignés par la loi, de prendre en charge, par avance, les déchets issus des produits qu’ils mettent sur le marché. Tel est le cas pour les producteurs d’équipements électriques et électroniques, d’emballages, de meubles, etc..
De manière générale et en simplifiant quelque peu : lorsqu’une filière REP est constituée, les producteurs concernés doivent financer la prévention, la collecte et le traitement des déchets issus de leurs produits. Ce financement est en réalité assuré par la collecte d’une éco-contribution versée par les consommateurs. Ce sera alors le consommateur et non plus le contribuable qui assurera le financement de la gestion des déchets. Pour leur part, les producteurs qui collectent l’éco-contribution versent une contribution financière, soit à un système individuel, soit à un éco-organisme.
Au sein de l’Union européenne, l’organisation des filières REP varie d’un Etat à un autre. Schématiquement, on peut isoler deux modèles d’organisation de ces filières.
– Un modèle d’autorégulation, dans lequel les producteurs s’organisent eux-mêmes et peuvent avoir le choix entre plusieurs éco-organismes qui sont des personnes de droit privé placées en situation de concurrence entre elles.
– Un modèle de co-régulation qui est celui choisit par l’Etat français : les éco-organismes sont, certes des personnes de droit privé, mais dont l’activité est fortement encadrée et contrôlée par l’Etat. Il s’agit de la « REP à la française ». S’il n’existe pas encore véritablement d’éco-organisme intervenant sur plusieurs filières, il peut exister plusieurs éco-organismes dans une même filière, par exemple dans la filière des équipements électriques et électroniques. Mais l’Etat régit strictement les possibilités de concurrence entre eux et peut imposer des dispositifs institutionnels et contractuels d’équilibrage et de coordination.
Le modèle de la « REP à la française » est, pour un juriste, assez original et défie les catégories traditionnelles du droit. A titre d’exemple, les éco-organismes sont souvent des sociétés commerciales mais à but non lucratif. Ils peuvent signer des contrats de droit privé mais sur le modèle de contrats type dont le contenu est parfois très précisément défini par voie réglementaire. Les producteurs qui adhèrent à un éco-organisme sont tout à la fois clients et contrôlés. Les collectivités territoriales qui assurent le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés sont tout à la fois destinataires de soutiens financiers par les éco-organismes mais aussi d’exigences de la part de ces derniers pour améliorer les conditions de collecte, de tri et de traitement des déchets.
Le modèle de la « REP à la française » a démontré son intérêt du point de vue environnemental et de la politique des déchets mais il est aussi, du point de vue juridique, très complexe, ce qui peut rendre plus difficile son appréhension par le grand public et par les producteurs eux-mêmes.
Les évolutions législatives et réglementaires de ces dernières années ont eu plutôt pour effet de renforcer l’encadrement et le contrôle des éco-organismes par l’Etat. Les cahiers des charges qui conditionnent l’agrément de ces structures pour des périodes déterminées ont tendance à s’allonger et à se densifier tout en augmentant le nombre des obligations à la charge des éco-organismes.
Ce modèle de la « REP à la française » est actuellement à la croisée des chemins alors qu’il est l’objet de questions qui devront être tranchées, dont celle, essentielle, de la concurrence entre éco-organismes. A ce titre, la filière des emballages devrait accueillir, en 2016, un voire deux nouveaux éco-organismes agréés, sur le fondement d’un cahier des charges attendu pour le mois de juin prochain.
La question de la nature juridique des contrats signés par les éco-organismes est également déterminante.
En premier lieu, précisons que les éco-organismes signent de nombreux contrats : contrats d’adhésion des producteurs, contrats de prestations avec des opérateurs de collecte et de traitement, contrats de soutien financiers avec les collectivités territoriales, contrats de mise à disposition avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire, contrats d’enlèvement auprès des détenteurs, etc…
En deuxième lieu, le droit ne précise pas explicitement si ces contrats sont de droit privé ou de droit administratif. Les cahiers des charges précisent généralement quel doit être le contenu de ce contrat et imposent souvent qu’un même modèle de contrat soit signé quelle que soit la nature juridique de la personne, publique ou privée, cocontractante de l’éco-organisme. Les litiges relatifs aux contrats signés par les éco-organismes pour l’exercice de leurs attributions ont, jusqu’à présent, été portés devant les tribunaux de commerce.
En troisième lieu, à la suite de l’ordonnance du 1er février 2016 du Tribunal de grande instance, il serait précieux que l’Etat précise la nature juridique de ces contrats mais aussi celle des éco-organismes. A défaut, c’est le Juge administratif voire le Tribunal des conflits qui le fera.
Plusieurs options sont en présence dont les suivantes :
– Soit conserver le caractère « hybride » actuel des éco-organismes, partagés entre droit commercial et droit administratif, susceptibles – éventuellement – de conclure des contrats administratifs et privés.
– Soit créer un statut spécifique pour les éco-organismes, de manière à reconnaître la particularité de leur contribution en tant que personnes privées à une mission de service public. Leurs contrats pourraient, par détermination de la loi, relever d’un même « bloc de compétence » et relever tous d’un même juridique, sans doute de droit privé.
II. Le rappel des critères de qualification d’un contrat de droit administratif
Le Juge de la mise en état du Tribunal de Grande instance de Libourne a tout d’abord, énoncé les critères de qualification d’un contrat de droit administratif :
« Au terme des critères jurisprudentiels de qualification, un contrat administratif doit mettre en présence au moins une personne publique et ensuite, soit contenir une clause exorbitante du droit commun, soit avoir pour objet l’exécution même du service public.«
De manière classique, l’ordonnance rappelle ainsi qu’un contrat peut être de droit administratif
– S’il est conclu par au moins une personne publique (ou par une personne agissant pour le compte d’une personne publique)
– S’il contient une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit commun
– S’il a pour objet l’exécution même du service public
On regrettera que le Tribunal de Grande instance de Libourne n’ait pas analysé un autre critère de qualification : un contrat peut être de droit administratif « par détermination de la loi ». Or, le TGI ne s’est ici interrogé que sur les critères jurisprudentiels de qualification. Il n’est donc pas exclu que le Tribunal administratif devant lequel le dossier est renvoyé adopte une position contraire à celle retenue par le TGI de Libourne.
III. Le contrôle du critère organique de qualification du contrat
L’ordonnance s’attache tout d’abord à analyser le critère organique de qualification d’un contrat de droit administratif pour en conclure que ce critère est ici rempli :
« S’agissant du critère organique, et au regard des dispositions de l’article L2224-13 du Code général des collectivités territoriales qui prévoit que le service de la collecte et du traitement des déchets ménagers est un service public assuré par les communes, la métropole de Lyon ou les établissement publics de coopération intercommunale, en liaison avec les départements et les régions, les communes pouvant le transférer à un établissement public de coopération intercommunale ou à un syndicat mixte soit en totalité soit en partie, il n’est pas contestable que le [syndicat intercommunal] est une personne publique.
Le critère organique est donc rempli. »
Il est en effet incontestable que le critère organique est ici satisfait dès l’instant où le contrat litigieux a été conclu avec un syndicat mixte intercommunal de gestion des déchets. Bien entendu, il ne suffit pas qu’un contrat soit signé par au moins une personne publique pour qu’il puisse être qualifié de droit administratif.
IV. Le contrôle du critère matériel de qualification du contrat
Le Juge de la mise en état du TGI de Libourne a jugé que le critère matériel de qualification du contrat de droit administratif était satisfait dés l’instant où le contrat litigieux entre l’éco-organisme et le syndicat mixte intercommunal
A. Sur l’existence de clauses exorbitantes du droit commun, l’ordonnance précise :
« Ces clauses ont pour effet de conférer aux parties des droits ou mettre à leur charge des obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales (Conseil d’Etat, section 20 octobre 1950, Stein). »
L’ordonnance fait ensuite application de cette règle ainsi rappelée :
« En l’espèce, il convient de constater que la convention entre les parties établies le 14 juin 2013 et signée le 20 septembre 2013 prévoit que la convention peut être résiliée de plein droit par la collectivité sans droit à indemnité, que ladite convention doit être transmise aux ministères de l’Economie, de l’Environnement et de l’intérieur, cc-signataires de l’arrêté du 15 juin 2012 relatif à la procédure d’agrément des éco organismes de la filière des déchets ménagers issus de produits chimiques pouvant présenter un risque significatif pour la santé et l’environnement.
Cet arrêté prévoit en annexe un cahier des charges qui doit être respecté par la société [éco-organisme].
La société [éco-organisme] ne pouvait contracter avec le [syndicat intercommunal] sans avoir reçu préalablement un agrément ministériel qui lui a été délivré par arrêté du 9 avril 2013, que cet agrément peut lui être retiré s’il apparaît qu’elle ne respecte pas le cahier des charges susmentionné.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le contrôle de l’administration est particulièrement étroit et encadre strictement les conditions de l’activité de la société [éco-organisme] et il s’en déduit l’existence de clauses exorbitantes de droit commun. »
Aux termes de cette ordonnance, le contrat conclu entre un éco-organisme et une collectivité territoriale pour la gestion de déchets comporte des clauses exorbitantes pour deux séries de motifs : d’une part, en raison du caractère unilatéral de certaines clauses (résiliation), d’autre part, en raison de l’absence de liberté de rédaction des termes du contrat.
B. Sur l’objet du contrat :
Enfin, l’ordonnance du TGI de Libourne précise que, par son objet également, ce contrat est de droit administratif :
« Il convient de rappeler que le service de la collecte et du traitement des déchets ménagers est un service public en application de la loi et plus particulièrement de l’article L.2224-13 du Code général des collectivités territoriales.
Le [syndicat intercommunal] exécute une mission de service public en collectant et en traitant les déchets.
La convention passée avec la société [éco-organisme] a pour objectif de lui confier le traitement spécifique des « déchets diffus spécifiques ménagers » (DDS ménagers) selon des modalités précisément fixées au contrat et suivant un strict cahier des charges annexé à l’arrêté d’agrément ministériel spécifique à l’activité de la société [éco-organisme].
Il s’en déduit que le [syndicat intercommunal] a transféré une partie de sa compétence en matière de gestion des déchets ménagés et assimilés et que par son activité, la société [éco-organisme] participe à l’exécution d’une des modalités de la mission de service public de gestion des déchets.
Dès lors, le contrat conclu entre le [syndicat intercommunal] et la société [éco-organisme] a une nature administrative et le litige relatif au titre exécutoire émis le 20 juillet 2015 est en lien avec l’application du contrat administratif sur lequel le juge judiciaire ne saurait se trouver compétent nonobstant la clause attributive de compétence figurant au contrat.
En conséquence, en application des dispositions de l’article 96 du code de procédure civile, il convient de renvoyer les parties à mieux se pourvoir. »
On relèvera les termes suivants : « la société [éco-organisme] participe à l’exécution d’une des modalités de la mission de service public de gestion des déchets. » Toutefois, le débat peut avoir lieu sur le point de savoir si cet objet suffit à qualifier immédiatement un contrat de droit administratif. Ce qui justifie sans doute le fait que le TGI de Libourne a pris soin de renseigner tous les critères de qualification précités.
Conclusion
Il n’est pas de notre propos de discuter ici des termes de cette ordonnance et nous ne ferons donc pas état ici de notre analyse sur le bien-fondé de la solution retenue par le Juge de la mise en état.
Au surplus, le sens de cette ordonnance sera sans doute encore discuté devant d’autres juridictions. Il convient toutefois de souligner que cette ordonnance soulève de nombreuses questions dont la suivante.
Il sera notamment nécessaire de s’interroger sur sa portée. Les contrats entre éco-organismes et personnes de droit public (collectivités territoriales, établissements publics…) peuvent avoir des objets différents, pour des opérations différentes portant sur des flux de déchets différents. L’enlèvement de déchets professionnels auprès d’un détenteur personne publique ne peut être assimilé à une opération de soutien au service public de gestion des déchets ménagers comme cela était le cas en l’espèce. Par voie de conséquence, la question est posée de savoir s’il ne serait pas préférable, dans un souci de simplification du droit, de créer un bloc de compétence devant une même juridiction, plutôt que de qualifier différemment les contrats des éco-organismes.
Arnaud Gossement
Selarl Gossement Avocats
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