éolien : la seule qualité de concurrent ne donne pas intérêt à agir contre l’autorisation environnementale d’un projet de parc voisin (Conseil d’Etat, 22 juin 2023, n°456192)

Juil 7, 2023 | Environnement

Par une décision n°456192 rendue ce 22 juin 2023, le Conseil d’Etat a confirmé l’irrecevabilité du recours par lequel l’exploitant d’un parc éolien a demandé l’annulation de l’autorisation environnementale d’un projet voisin du sien. Une application à l’éolien terrestre de la jurisprudence « Nord Broyage » selon laquelle un requérant n’a pas, en sa seule qualité de concurrent, intérêt à agir. Analyse. 

Résumé

1. Par une décision n°456192 rendue ce 22 juin 2023 le Conseil d’Etat a jugé que l’exploitant d’un parc éolien n’a pas, en sa seule qualité de concurrent, intérêt à agir à l’encontre de l’autorisation environnementale d’un parc éolien voisin.

2. Le Conseil d’Etat fait ainsi application, au recours en annulation de l’autorisation environnementale d’un parc éolien, de la jurisprudence  « Société Nord Broyage » (cf. CE, 30 janvier 2013, n°347347).

3. Aux termes de la décision rendue ce 22 juin 2023, le requérant doit démontrer que l’installation dont l’autorisation est contestée présente des inconvénients ou des dangers pour les conditions d’exploitation de son propre établissement. Le juge administratif doit, pour sa part, apprécier ces dangers ou inconvénients « notamment » en fonction des conditions de fonctionnement de l’établissement du requérant, de la situation des personnes qui le fréquentent et de la configuration des lieux.

4. Les motifs tirés de la perte de production ou du risque d’accident de pâles sont appréciés strictement.

5. Cette jurisprudence est bien entendu applicable à d’autres projets que les projets de parcs éoliens.

I. Faits et procédure

30 avril 2019 : arrêté par lequel le préfet de l’A. a autorisé la société F. à construire et exploiter un parc éolien composé de dix éoliennes et de trois postes de livraison.

29 juin 2021 : arrêt n°19DA02052 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté la demande d’annulation de cet arrêté. 

II. Commentaire

La décision rendue ce 22 juin 2023 par le Conseil d’Etat est une confirmation d’une jurisprudence désormais ancienne, relative à l’intérêt à agir d’un établissement commercial à l’encontre de l’autorisation d’exploiter une installation classée à proximité. La seule qualité de concurrent ne confère pas un intérêt suffisamment direct donnant qualité à agir. La décision rendue ce 22 juin 2023 prolonge toutefois cette jurisprudence en ce qu’elle a trait à une autorisation environnementale.

A. Sur la jurisprudence administrative relative à l’intérêt à agir du concurrent

Par une décision n°339592 « société Moulins Soufflet » rendue le 13 juillet 2012, le Conseil d’Etat a précisé les conditions auxquelles doit satisfaire l’auteur – personne physique – d’un recours en annulation d’une autorisation d’exploiter une installation classée pour être recevable devant la juridiction administrative. Pour démontrer son intérêt à agir, le requérant doit ainsi faire état « des inconvénients et dangers que présente pour [lui] l’installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation (..) et de la configuration des lieux ». La décision n°339592 précise : 

« Considérant qu’en application de ces dispositions, il appartient au juge administratif d’apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d’un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l’annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l’installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux ; qu’en relevant, au terme d’une appréciation souveraine des pièces du dossier, que les consorts C occupaient des maisons situées sur la rive droite de la Seine, face au site d’exploitation situé sur la rive gauche, à une distance d’environ trois cent soixante quinze mètres du terrain d’assiette de celui-ci et que l’installation présentait, en raison de son importance et de sa nature, des risques pour la salubrité et la sécurité publiques susceptibles d’affecter un périmètre étendu, puis en déduisant de ces constatations que les requérants justifiaient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse, la cour a exactement qualifié les faits de la cause et n’a pas commis d’erreur de droit ; » (nous soulignons).

Par une décision n°347347 « Société Nord Broyage » rendue le 30 janvier 2013, le Conseil d’Etat a précisé les conditions de recevabilité du recours en annulation d’une autorisation d’exploiter, délivrée au titre de la police des ICPE, formé par une personne morale et, plus précisément encore, du recours formé par une personne morale concurrente du bénéficiaire de l’autorisation :
  • d’une part, un établissement commercial n’a pas intérêt à agir contre
    l’autorisation d’exploiter une ICPE délivrée à une autre entreprise
    « fut-elle concurrente que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l’installation classée présente pour les intérêts visés à l’article L. 511-1 sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d’exploitation de cet établissement commercial ; ». Il convient de souligner que le Conseil d’Etat n’a pas précisé que
    tout recours en annulation d’une autorisation d’exploiter ICPE formé par
    une société concurrente est toujours irrecevable. Très précisément, il a
    jugé que la qualité de concurrent ne suffit pas, seule, à donner cet
    intérêt à agir et à assurer la recevabilité du recours. Le juge administratif doit donc : 
  • d’autre part, le juge administratif saisi doit vérifier si l’installation en cause est susceptible de présenter des « dangers et inconvénients » pour le requérant : « ‘il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l’établissement justifie d’un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l’installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux« .
Par un arrêt n°14NT00124 rendu le 24 juillet 2015, la cour administrative d’appel de Nantes a fait application de cette règle selon laquelle un concurrent n’a pas d’intérêt à agir en cette seule qualité, dans un dossier relatif au permis de construire un parc éolien. Plus précisément, la cour administrative d’appel de Nantes était saisie d’une demande d’annulation d’un jugement par lequel le tribunal administratif d’Orléans avait rejeté le recours tendant à l’annulation d’un permis de construire six éoliennes et un poste de livraison. La cour administrative d’appel a confirmé l’irrecevabilité de la demande d’annulation en ces termes : 

« 3. Considérant qu’en dehors du cas où les caractéristiques particulières de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d’exploitation d’un établissement commercial, ce dernier ne justifie pas d’un intérêt à contester devant le juge de l’excès de pouvoir un permis de construire délivré à une entreprise concurrente, même situé à proximité ;« 

B. Sur la décision n°456192 rendue ce 22 juin 2023 par le Conseil d’Etat

Par une décision – ici commentée – n°456192 rendue ce 22 juin 2023, le Conseil d’Etat a fait application de cette jurisprudence relative à l’intérêt à agir d’une personne morale, dans un dossier relatif à l’autorisation environnementale d’un parc éolien. Il a confirmé qu’un établissement commercial ne justifie pas d’un « intérêt suffisamment direct lui donnant qualité » à agir à l’encontre dune autorisation environnementale délivrée à une entreprise « fut-elle concurrente ».

« 5. Au sens de ces dispositions, un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement délivrée à une entreprise, fut-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l’installation classée présente pour les intérêts visés à l’article L. 511-1 sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d’exploitation de cet établissement commercial. Il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l’établissement justifie d’un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l’installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux. »

Aux termes de ce point 5, le requérant doit démontrer que l’installation dont l’autorisation est contestée présente des inconvénients ou des dangers pour les conditions d’exploitation de son propre établissement. Le juge administratif doit, pour sa part, apprécier ces dangers ou inconvénients « notamment » en fonction des conditions de fonctionnement de l’établissement du requérant, de la situation des personnes qui le fréquentent et de la configuration des lieux. 

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a jugé que la société requérante, laquelle exploite un parc éolien, ne justifie pas d’un intérêt à agir contre un projet de parc éolien voisin. 

Les deux motifs pour lesquels la cour administrative d’appel de Douai a jugé que la société requérante ne démontrait pas la réalité des dangers et inconvénients du projet voisin pour le sien sont les suivants : il n’a pas rapporté la preuve, d’une part d’une perte de production, d’autre part d’une augmentation du risque d’accident lié à la projection de pâles : 

« 6. Il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que pour juger que la société requérante, qui exploite depuis le 1er février 2019 un parc éolien composé de six éoliennes sur le territoire de la commune de L., et dont une des éoliennes se situe à 490 mètres de l’éolienne E9 du projet de parc éolien autorisé par l’arrêté litigieux, ne pouvait être regardée comme un tiers justifiant d’un intérêt, au sens des dispositions de l’article R. 181-50 du code de l’environnement citées au point 4, lui donnant qualité pour agir contre l’arrêté litigieux, la cour administrative d’appel a relevé, d’une part, qu’elle ne justifiait pas de la réalité de l’existence d’une perte de production du parc éolien qu’elle exploite du fait de l’effet de sillage de l’implantation du projet de parc éolien autorisé et, d’autre part, qu’elle ne produisait aucun élément mettant en évidence que la proximité des éoliennes du parc éolien qu’elle exploite avec les éoliennes du projet de parc éolien autorisé par l’arrêté litigieux favoriserait des phénomènes de turbulence augmentant le risque d’accident lié à la projection de pales ou de fragments de pales, de sorte qu’il ne résultait pas de l’instruction que le fonctionnement du projet de parc éolien autorisé par l’arrêté litigieux présenterait des inconvénients ou des dangers pour les intérêts visés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l’environnement, de nature à affecter par eux-mêmes les conditions de l’exploitation du parc éolien qu’elle exploite. » (nous soulignons)

Sur le défaut de preuve d’une perte de production. S’agissant de ce premier motif d’irrecevabilité de la demande d’annulation de l’autorisation environnementale du projet de parc éolien litigieux, le Conseil d’Etat relève que, la cour administrative d’appel de Douai a, à juste titre selon lui, jugé que les études produites par la société requérante ne démontraient pas la réalité de la perte de production :

« 7. D’une part, la cour a, pour considérer que la société requérante ne justifiait pas de la réalité de la perte de production alléguée du parc éolien qu’elle exploite du fait de l’effet de sillage de l’implantation du projet de parc éolien autorisé par l’arrêté litigieux, relevé que l’étude de l’association Danish wind industry produite à l’instance précise que les éoliennes sont habituellement espacées d’une distance équivalente à au moins trois fois le diamètre du rotor afin d’éviter que la turbulence créée derrière chaque éolienne n’affecte trop la production des éoliennes situées en aval, que la distance de 482 mètres séparant une des éoliennes du projet de parc éolien d’une éolienne du parc éolien exploité par la société requérante représente une distance équivalente à 4,38 diamètres de rotor et que la seconde étude produite à l’instance était insuffisamment précise et circonstanciée pour démontrer l’existence d’une perte de production (…) »
Sur l’augmentation du risque d’accident. Le deuxième motif d’irrecevabilité du recours tenait à l’absence de preuve de l’augmentation du risque d’accident. Pour le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la requérante ne rapportait pas la preuve d’un risque suffisamment certain : 
« Elle a également, d’autre part, pour juger que le risque de projection de pale ou de fragments de pale n’était pas de nature à affecter, par lui-même, les conditions de l’exploitation du parc éolien de la société requérante, relevé que l’étude de dangers évalue cette probabilité comme un risque qui  » s’est produit mais a fait l’objet de mesures correctrices réduisant significativement la probabilité « , que l’autorité environnementale a retenu dans son avis que le niveau de risque technologique était aussi faible que possible et que la société requérante n’a produit aucun élément propre au parc projeté qui mettrait en évidence que sa proximité avec le parc existant favoriserait des phénomènes de turbulences augmentant les risques d’accident. Si la société requérante soutient que la cour administrative d’appel a ainsi exigé d’elle qu’elle apporte la preuve du caractère certain des atteintes aux conditions d’exploitation de son parc éolien, du fait de la perte de production alléguée et du risque de projection de pale ou de fragments de pale, en statuant ainsi, la cour, qui a, ce faisant, apprécié si le risque de perte de production et de projection de pale ou de fragments de pale était de nature à affecter les conditions d’exploitation de son parc éolien, au regard notamment de ses conditions de fonctionnement et de la configuration des lieux n’a pas commis d’erreur de droit au regard des principes rappelés au point 5. » (nous soulignons).

Arnaud Gossement

Avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

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