Urbanisme/Méthanisation : Précisions sur la qualification d’« équipement d’intérêt collectif » s’agissant d’une unité de méthanisation à la suite de la loi « APER » du 10 mars 2023

Août 8, 2024 | Environnement

Par trois décisions des 17 mai et 14 juin 2024, le tribunal administratif de Toulouse a apprécié la légalité d’une autorisation d’urbanisme ou d’un refus d’autorisation en vue de la construction d’une installation de méthanisation en zone agricole, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables (cf. TA de Toulouse, 17 mai 2024, n° 2305729 ; TA de Toulouse, 14 juin 2024, n° 2306971 ; TA de Toulouse, 14 juin 2024, n° 2400061).

I. Éléments de contexte

Avant de présenter ces décisions, il convient de rappeler que les articles L. 111-4 (pour les communes couvertes par le règlement national d’urbanisme – RNU), L. 151-11 (celles qui sont couvertes par un PLU) et L. 161-4 (celles couvertes par une carte communale) du code de l’urbanisme précisent qu’une construction ou une installation peut être autorisée au dehors des zones urbanisées de la commune, sous réserve du respect des conditions cumulatives suivantes :

  • D’être nécessaire à des équipements d’intérêt collectif ou à une activité agricole ;
  • De ne pas être incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale.

L’apport de la loi du 10 mars 2023 a consisté à définir des critères afin que les installations de méthanisation puissent être regardées comme « nécessaires à une activité agricole » au sens des dispositions d’urbanisme susvisées. Selon l’article 78 de la loi, une installation de méthanisation est nécessaire à une activité agricole à la condition de respecter les critères issus des articles L. 311-1 et D. 311-18 du code rural et de la pêche maritime.

Il s’agit en l’occurrence des critères cumulatifs suivants :

  • L’installation de méthanisation doit être exploitée par un exploitant agricole ou par une société détenue majoritairement par des exploitants agricoles ;
  • la majorité des matières utilisées proviennent d’exploitations agricoles.

Si la loi du 10 mars 2023 a précisé les conditions permettant d’apprécier dans quels cas une installation de méthanisation répond à la condition de nécessité à l’activité agricole, le législateur n’a, en revanche, apporté aucune précision sur leur qualification d’équipement d’intérêt collectif. Or, il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’une unité de méthanisation est nécessaire à un équipement d’intérêt collectif notamment dans les cas où le biométhane produit est injecté dans le réseau de distribution publique ou lorsqu’il est revendu au public (cf. CAA Bordeaux, 17 décembre 2019, n°17BX03674 ; CAA de Bordeaux, 9 juillet 2020, n° 18BX03330 ; CAA de Bordeaux, 9 février 2021, n°18BX03028 ; CAA Nantes, 17 juillet 2020, n°19NT02227).

Il y a donc lieu de s’interroger sur le point de savoir si les installations de méthanisation peuvent être regardées comme des équipements d’intérêt collectif, et leur construction en zone agricole autorisée si elle est compatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale. Cette question se pose avec d’autant plus d’intérêt qu’il ressort des débats parlementaires à propos de la loi du 10 mars 2023 que l’intention du législateur est de n’autoriser en zone agricole que les seules installations de méthanisation « agricoles ».

L’intérêt des décisions des 17 mai et 14 juin 2024 rendues par le tribunal administratif de Toulouse réside dans le fait que les autorisations d’urbanisme (ou le refus) ont été délivrées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 10 mars 2023 et de la décision, abondamment commentée, du Conseil d’Etat du 17 janvier 2024, n° 467572 rendue à propos d’une autorisation d’urbanisme délivrée en vue de construire en zone agricole une installation de méthanisation.

II. Commentaire

En premier lieu, aux termes de ces trois décisions, le tribunal administratif de Toulouse considère qu’une installation de méthanisation présente un intérêt collectif dès lors qu’elle vise à produire de l’énergie à partir de la valorisation de déchets organiques et à produire du biométhane qui est injecté sur le réseau public de distribution.

Il semble donc que les dispositions issues de la loi du 10 mars 2023 n’aient exercé aucune incidence sur l’appréciation, par tribunal administratif de Toulouse, de la qualification d’équipement d’intérêt collectif s’agissant d’une installation de méthanisation. Ces décisions s’inscrivent dans la continuité de la jurisprudence rendue en la matière. Le jugement du 17 mai 2024 précise ainsi que :

« Il ressort des pièces du dossier que le biométhane produit sera vendu et injecté dans le réseau de distribution publique de gaz de la régie X, afin de répondre aux besoins en énergie de la population et des entreprises du secteur de Carmaux. L’unité de méthanisation en litige présente donc un intérêt collectif au sens de l’article A-1 du règlement écrit du PLU ».

Peut-on en déduire qu’une installation de méthanisation peut valablement être implantée en zone agricole, dès l’instant où le document ou les dispositions applicables en matière d’urbanisme sur le territoire de la commune concernée prévoient que les équipements d’intérêts collectif peuvent y être autorisés ?

L’analyse de ces trois décisions appelle une réponse nuancée et prudente à cette question.

En deuxième lieu, par les deux décisions du 14 juin 2024, le tribunal administratif de Toulouse a en l’espèce rejeté les conclusions à fin d’annulation du refus de permis de construire et du certificat d’urbanisme négatif opposés par l’autorité administrative à la société pétitionnaire, au motif que l’installation de méthanisation projetée est incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou la vocation agricole de la zone « sur le terrain d’assiette de l’installation envisagée », comme le soutenait au demeurant l’autorité administrative pour justifier son refus.

Les décisions du 14 juin 2024 précisent ainsi que :

« Or, il ressort des pièces du dossier, que le projet porté par la société requérante, qui consiste en la réalisation d’une unité de méthanisation d’une emprise totale de quatre hectares sur une parcelle de cinq hectares, abritant des terres cultivées, occupera ainsi 80% de la surface agricole de l’unité foncière et ne permettra pas le maintien d’une activité agricole significative sur le terrain d’assiette de l’installation envisagée. Il est, dès lors, incompatible avec l’exercice d’une activité agricole dans l’unité foncière où il est implanté au sens des dispositions précitées de l’article A 1.1 du règlement du PLU »

« Le projet consiste en la réalisation d’une unité de méthanisation d’une emprise totale de quatre hectares, dont un hectare dédié à l’espace vert et à l’accueil d’une butte périphérique vert, sur une parcelle de cinq hectares, qui abrite actuellement des terres cultivées. Il occupera ainsi 80% de la surface agricole de l’unité foncière. Ainsi, il ressort des pièces du dossier que le projet ne permettra pas le maintien d’une activité agricole significative sur le terrain d’assiette de l’installation envisagée et qu’il est, dès lors, incompatible avec l’exercice d’une activité agricole dans l’unité foncière où il est implanté au sens des dispositions précitées du PLU »

Conformément à ce que prévoit le règlement écrit annexé au PLU en vigueur, le juge administratif prend en compte la « surface agricole de l’unité foncière » afin d’apprécier la compatibilité de l’installation projetée avec la compatibilité avec l’exercice d’une activité agricole.

Il ressort de ces décisions :

  • qu’une attention particulière doit être portée sur les règles d’urbanisme en vigueur (en particulier les dispositions des plans locaux d’urbanisme) ;
  • si les dispositions du PLU le prévoient, que la qualification d’équipement collectif ne dispense pas de démontrer la compatibilité de l’installation avec l’exercice d’une activité agricole, cette condition étant, comme cela ressort des décisions commentées, appréciée de manière rigoureuse et concrète par le juge administratif.

En dernier lieu, il ressort enfin des décisions du 17 mai et 14 juin 2024 que le caractère nécessaire à une activité agricole s’agissant d’une installation de méthanisation paraît :

  • soit définitivement écarté « Il n’est pas contesté que le projet ne constitue pas une installation nécessaire à l’activité agricole. » (cf. jugement du 14 juin 2024) ;
  • soit inopérant dès l’instant où celle-ci peut être considérée comme relevant d’un intérêt collectif (cf. jugement du 17 mai 2024).

En conclusion, la loi du 10 mars 2023 a significativement complexifié le droit applicable à la délivrance des autorisations de construire les unités de méthanisation en dehors des espaces urbanisées des communes, en particulier en zone agricole. Si les récentes décisions rendues par le tribunal administratif de Toulouse ont le mérite d’apporter d’utiles précisions, il n’est pas inutile de rappeler que celles-ci doivent être confirmées dans le cadre d’un éventuel appel. En tout état de cause, ces décisions n’épuisent pas le débat et il conviendra de porter une attention particulière aux les prochaines décisions qui ne manqueront pas d’être rendues sur ce sujet.

Claire Sacksick, avocate

et Emma Babin, avocate associée

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