Dérogation espèces protégées : le préfet doit mettre en demeure, à tout moment, l’exploitant d’une ICPE de régulariser sa situation (CE, 16 décembre 2025, n°494931)

Déc 19, 2025 | Droit de l'Environnement

Par une décision n°494931 rendue ce 16 décembre 2025, le Conseil d’Etat a jugé que le préfet doit mettre en demeure l’exploitant d’une installation classée (ici un parc éolien) de déposer une demande de dérogation espèces protégées lorsque les conditions sont réunies. Par application de l’objectif de prévention des atteintes à ces espèces, il doit procéder à cette mise en demeure même si les travaux de construction et d’exploitation de l’installation n’ont pas commencé, dés lors que des « circonstances de fait nouvelles font apparaître que ces travaux ou le fonctionnement de cette installation seront susceptibles de présenter pour les espèces protégées un risque suffisamment caractérisé ». Commentaire.

Résumé

1. Par un arrêt du 4 avril 2024, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête de plusieurs associations tendant à l’annulation de la décision par laquelle le préfet de la Côte-d’Or a refusé d’enjoindre à une société de déposer une telle demande de dérogation espèces protégées.

2. Par une décision du 16 décembre 2025, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt rendu le 4 avril 2024 par la cour administrative d’appel de Lyon. C’est en effet à tort que cette dernière a jugé que le préfet de la Côte-d’Or était tenu de rejeter la demande tendant à ce qu’il mette en demeure la société X, sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, de déposer une demande de dérogation  » espèces protégées « , au motif tiré de ce que, dès lors que le parc en litige n’avait pas encore été mis en service, ni même construit, il n’entrait pas dans les pouvoirs de l’autorité administrative de prononcer une telle mise en demeure. En statuant ainsi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

3. Pour le Conseil d’Etat, peu importe que les travaux de construction et d’exploitation de l’installation classé n’aient pas commencé. L’objectif de prévention de l’atteinte aux espèces impose au préfet d’exercer à tout moment son pouvoir de mise en demeure, sans attendre qu’une atteinte se soit produite, dés lors que des « circonstances de fait nouvelles » l’exigent : « 7. Eu égard à l’objectif du régime de protection des espèces, qui consiste à prévenir les atteintes aux espèces concernées, la règle mentionnée au point précédent trouve également à s’appliquer lorsque l’installation autorisée n’est pas encore exploitée, ou même lorsque ses travaux de construction n’ont pas encore débuté, si des circonstances de fait nouvelles font apparaître que ces travaux ou le fonctionnement de cette installation seront susceptibles de présenter pour les espèces protégées un risque suffisamment caractérisé. »

Commentaire

I. Les faits et la procédure

25 octobre 2016 : par arrêté, le préfet de la Côte-d’Or a délivré à la société X, l’autorisation d’exploiter sur le territoire de la commune de X, au titre des installations classées pour la protection de l’environnement, six aérogénérateurs et trois postes de livraison.

9 juillet 2018 : jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon, sur la demande de l’association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et de l’association  » Sites et Monuments « , a annulé cette autorisation.

17 juin 2021 : arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Lyon, sur appel de la société pétitionnaire et du ministre de la transition écologique et solidaire, a sursis à statuer dans l’attente d’une autorisation modificative afin que soit régularisé le vice de procédure tenant à l’absence d’autonomie de l’autorité environnementale.

12 avril 2022 : par arrêté, le préfet a délivré à la société pétitionnaire une autorisation de régularisation.

8 décembre 2022 : par un deuxième arrêt, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté les conclusions des associations tendant à l’annulation de l’autorisation.

22 mars 2023 : par un courrier, ces mêmes associations ont demandé au préfet d’enjoindre à la société X, sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, de déposer sans délai une demande de dérogation  » espèces protégées « .

4 avril 2024 : Par un troisième arrêt, la cour administrative d’appel a rejeté la requête des associations tendant à l’annulation de la décision implicite du 27 mai 2023 par laquelle le préfet de la Côte-d’Or a refusé d’enjoindre à la société de déposer une telle demande de dérogation.

16 décembre 2025 : saisi d’un pourvoi par les associations précitées, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt rendu le 4 avril 2024 par la cour administrative d’appel de Lyon. C’est en effet à tort que cette dernière a jugé que le préfet de la Côte-d’Or était tenu de rejeter la demande tendant à ce qu’il mette en demeure la société X, sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, de déposer une demande de dérogation  » espèces protégées « , au motif tiré de ce que, dès lors que le parc en litige n’avait pas encore été mis en service, ni même construit, il n’entrait pas dans les pouvoirs de l’autorité administrative de prononcer une telle mise en demeure. En statuant ainsi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

II. La solution retenue

2.1. Rappel : la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées

L’interdiction de perturbation de l’état de conservation des espèces protégées est de principe. La délivrance d’une autorisation de déroger à cette interdiction de principe est soumise à plusieurs conditions.

Le principe d’interdiction de perturbation d’espèces protégées. Pour mémoire, le principe d’interdiction de destruction du patrimoine naturel protégé est inscrit à l’article L.411-1 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les destinataires de ce principe d’interdiction de destruction sont : les sites d’intérêt géologique ; les habitats naturels ; les espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ; leurs habitats. Il importe de souligner que le terme « destruction » doit être compris, dans une acception large, comme comprenant aussi, « altération » ou « dégradation ».

Les conditions de dérogation à l’interdiction de principe. En droit interne, la possibilité de déroger à ce principe d’interdiction de destruction d’espèces protégées est prévue au 4° de l’article L.411-2 du code de l’environnement. Aux termes de ces dispositions, les conditions de fond suivantes doivent être réunies pour qu’une dérogation – si elle a été demandée – puisse être délivrée par l’administration :
  • l’absence de « solution alternative satisfaisante » ;
  • l’absence de nuisance pour le « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » ;
  • la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs énumérés au nombre desquels figure « c) (…) l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

Par un avis n°463563 du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a précisé, à la demande de la cour administrative d’appel de Douai, son interprétation des dispositions du droit positif relatives aux conditions (cf. notre commentaire de cet avis) d’une part, de déclenchement de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation à l’interdiction d’espèces protégées, d’autre part, de délivrance de cette dérogation, une fois demandée.

S’agissant des conditions de naissance de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation, le Conseil d’Etat a précisé que celles-ci sont cumulatives et doivent être appréciées successivement.

  • S’agissant de la première condition relative à l’espèce protégée en cause : le pétitionnaire puis l’administration doivent vérifier si « des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet ». Cet examen ne doit porter, ni sur le « nombre de ces spécimens », ni sur leur « état de conservation ».
  • S’agissant de la deuxième condition relative à la nature du risque d’atteinte à l’état de conservation de l’espèce protégée : l’administration doit prendre en compte l’existence du « risque suffisamment caractérisé » au regard des mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire. Ces mesures doivent présenter deux caractéristiques : elles doivent présenter des « garanties d’effectivité » et permettre de « diminuer le risque ».

2.2. Le préfet doit mettre en demeure l’exploitation de déposer une demande de dérogation espèces protégées, même si les travaux n’ont pas commencé

La décision rendue ce 16 décembre 2025 par le Conseil d’Etat comporte une précision intéressante qui n’est toutefois pas surprenante : le préfet doit mettre en demeure l’exploitant d’une installation classée exploitée de déposer une demande de dérogation espèces protégées si les conditions sont réunies.

Le point 6 de la décision rappelle ces conditions de naissance de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées. Lorsque l’ICPE fonctionne sans cette dérogation alors que son fonctionnement présente « un risque suffisamment caractérisé » pour les espèces protégées, le préfet doit exercer son pouvoir de mise en demeure :

« 6. Il résulte des dispositions citées aux points 2, 3 et 5 que, dans le cas où une installation classée pour la protection de l’environnement est exploitée sans avoir fait l’objet d’une dérogation  » espèces protégées « , alors que son fonctionnement présente pour de telles espèces un risque suffisamment caractérisé, il appartient au préfet, de sa propre initiative ou à la demande d’un tiers, de mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, en mettant en demeure l’exploitant de l’installation en cause de régulariser sa situation par le dépôt de la demande de dérogation requise au titre de l’article L. 411-2 du même code dans un délai déterminé et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande.« 

Peu importe que les travaux de construction et d’exploitation de l’installation n’aient pas commencé. L’objectif de prévention de l’atteinte aux espèces impose au préfet d’exercer à tout moment son pouvoir de mise en demeure, sans attendre qu’une atteinte se soit produite, dés lors que des « circonstances de fait nouvelles » l’exigent :

« 7. Eu égard à l’objectif du régime de protection des espèces, qui consiste à prévenir les atteintes aux espèces concernées, la règle mentionnée au point précédent trouve également à s’appliquer lorsque l’installation autorisée n’est pas encore exploitée, ou même lorsque ses travaux de construction n’ont pas encore débuté, si des circonstances de fait nouvelles font apparaître que ces travaux ou le fonctionnement de cette installation seront susceptibles de présenter pour les espèces protégées un risque suffisamment caractérisé. »

Au cas d’espèce, c’est donc à tort que la cour administrative d’appel de Lyon a jugé que le préfet de la Côte-d’Or était tenu de rejeter la demande tendant à ce qu’il mette en demeure la société X, sur le fondement de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, de déposer une demande de dérogation  » espèces protégées « , au motif tiré de ce que, dès lors que le parc en litige n’avait pas encore été mis en service, ni même construit, il n’entrait pas dans les pouvoirs de l’autorité administrative de prononcer une telle mise en demeure.

En statuant ainsi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Cette décision du Conseil d’Etat du 16 décembre 2025 est cohérente avec la jurisprudence passée

Par un jugement n°2001712 en date du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Lyon a confirmé l’application du régime de protection des espèces protégées aux habitats artificiels. Il souligne également que l’administration peut obliger l’exploitant à formuler une demande de dérogation au régime applicable aux espèces protégées à tout moment de l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).

Par une décision n°471174 rendue ce 8 juillet 2024, le Conseil d’Etat a confirmé que l’administration doit, à tout moment sur le fondement de l’article L.511-1 du code de l’environnement – et non pas uniquement lorsque les caractéristiques d’une installation soumise à autorisation environnementale font l’objet d’une modification substantielle-, vérifier si les prescriptions d’exploitation garantissent la préservation des espèces protégées et si l’exploitant est tenu de déposer une demande de dérogation à l’interdiction de leur destruction (cf. notre commentaire)

Par une décision n°475236 du 31 décembre 2024, le Conseil d’Etat a jugé que l’administration peut examiner la nécessité pour un exploitant d’obtenir une dérogation espèces protégées à tout moment, sans qu’il soit besoin d’attendre une demande de modification substantielle de l’autorisation environnementale délivrée pour l’installation en cause (cf. notre commentaire).

Il convient de souligner que les conditions de naissance de l’obligation de dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées varient selon que les travaux ont ou non déjà été autorisés :

  • Lorsque les travaux de les travaux de construction et d’exploitation de l’ICPE n’ont pas encore été autorisés : le dépôt d’une demande de dérogation est obligatoire, si les conditions énoncées dans l’avis n°463563 du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 sont réunies.
  • Lorsque les travaux de construction et d’exploitation de l’ICPE ont déjà été autorisés mais que les travaux n’ont pas encore commencé : l’existence d’un « risque suffisamment caractérisé » et de « circonstances de fait nouvelles » imposent au préfet de mettre en demeure l’exploitant de procéder au dépôt d’une telle demande de dérogation (point 7 de la décision du 16 décembre 2025)
  • Lorsque les travaux ont été autorisés et ont commencé : l’existence d’un « risque suffisamment caractérisé » et de « circonstances de fait nouvelles » imposent au préfet de mettre en demeure l’exploitant de procéder au dépôt d’une telle demande de dérogation (point 6 de la décision du 16 décembre 2025)

Arnaud Gossement

avocat et professeur associé à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

A lire également : 

Note du 27 novembre 2025 – Dérogation espèces protégées : qu’est ce qu’une « solution alternative satisfaisante » ? (Conseil d’Etat, 21 novembre 2025, Association Bien vivre à Replonges, n°495622)

Note du 10 janvier 2025 – Dérogation espèces protégées : sa nécessité peut être examinée à tout moment et pas seulement lors de l’examen d’une modification substantielle de l’installation(Conseil d’Etat)

Note du 15 juillet 2024 – Dérogation espèces protégées : le risque d’atteinte doit être étudié à tout moment (Conseil d’Etat, 8 juillet 2024, n°471174)

Note du 10 janvier 2022 – Dérogation espèces protégées : le principe d’interdiction de destruction s’applique aux habitats artificiels et à tout moment (tribunal administratif de Lyon, 9 décembre 2021, n°2001712)

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