Chasse : le Conseil d’Etat applique le principe de précaution et suspend l’autorisation de chasse de la tourterelle des bois

Sep 12, 2020 | Environnement

Par une ordonnance du 11 septembre 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu l’exécution de l’arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire du 27 août 2020 relatif à la chasse à la tourterelle des bois en France métropolitaine pendant la saison 2020-2021 en tant que cet arrêté fixe à un nombre supérieur à zéro le total des prélèvements autorisés pour l’ensemble du territoire métropolitain. Analyse

 Résumé

1. Par un arrêté du 27 août 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire a fixé à 17 460 spécimens le quota maximal de prélèvements de la tourterelle des bois en France métropolitaine pendant la saison 2020-2021

2. Les associations « Ligue pour la protection des oiseaux » et « One Voice » ont saisi le juge des référés du Conseil d’Etat d’une demande de suspension de l’exécution de cet arrêté du 27 août 2020

3. Par une ordonnance du 11 septembre 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu l’exécution de l’arrêté du 27 août 2020.

Commentaire

Cette ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat est importante à plusieurs titres.

1. Elle fait échec à la tentative de l’Etat de priver les associations de la possibilité de saisir utilement le juge des référés en autorisant la chasse de la tourterelle des bois à la veille de l’ouverture de la période de chasse

2. Elle assure l’effet utile du droit de l’Union européenne grâce à la suspension de l’exécution d’une décision administrative certainement contraire à ce dernier

3. Elle comporte une critique très sévère des conditions dans lesquelles l’administration a fixé le nombre d’oiseaux pouvant être tués. Une simple « règle de trois » et une « approximation » ont ainsi conduit l’administration a autoriser le prélèvement de 17460 membres d’une espèce en cours d’effondrement.

4. En faisant application du principe de précaution, le juge de référés ne permet plus à l’administration de se prévaloir d’une incertitude scientifique au bénéfice de la chasse.

D’une manière générale, cette ordonnance est d’une particulière sévérité pour l’administration qui ne pouvait ignorer, non seulement le risque créé par sa décision mais aussi l’illégalité de cette dernière, notamment au regard des exigences du droit de l’Union européenne. A notre sens, cette ordonnance pourrait marquer un tournant dans le contentieux de la chasse et contribuer, même progressivement, à ce que l’administration soit contrainte de décider différemment dans ce domaine.

La condition d’urgence est remplie dés lors que les 17460 tourterelles n’ont pas encore été toutes tuées

Une demande de suspension en référé d’une décision administrative ne peut être accueillie favorablement par le juge des référés qu’à la première condition que celle-ci présent un caractère d’urgence (article L.521-1 du code de justice administrative).

Or, il ne peut y avoir urgence à suspendre l’exécution d’une décision administrative qui a déjà produit tous ses effets. Au cas présent, la première question posée au juge des référés du Conseil d’Etat était donc celle de savoir si l’arrêté du 27 août 2020 autorisant le « prélèvement » de 17460 tourterelles des bois avait déjà été complètement exécuté, ce nombre ayant déjà été atteint.

La période de chasse de la tourterelle est ouverte à compter du dernier samedi du mois d’août qui cette année, correspondait au samedi 29 août 2020 (arrêté du 24 mars 2006 relatif à l’ouverture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau). L’arrêté du 27 août 2020 fixant le nombre de tourterelles pouvant être tuées a été publié le 28 août 2020, soit la veille du jour de l’ouverture de la période de chasse.

Cette manière de procéder permet ainsi à l’arrêté d’autorisation de chasse de s’appliquer immédiatement. Elle permet aussi de tenter de priver les associations de défense de l’environnement de la possibilité de saisir le juge des référés. En effet, entre la date d’entrée en vigueur de l’arrêté et la date à laquelle le juge des référés se prononce : la totalité du quota de 17460 tourterelles aurait pu être tuée. De telle sorte que le juge des référés n’aurait pu alors que constater que son intervention devenait inutile. En d’autres termes, le temps que le juge des référés intervienne : l’autorisation litigieuse aurait produit tous ses effets.

Toutefois, au cas présent, le juge des référés constate que la totalité des 17460 tourtelles des bois n’a pas encore été tuées, de telle sorte que son intervention n’est pas privée d’intérêt et qu’il y a bien urgence sur la demande de suspension des associations requérantes :

« 5. Il n’est pas contesté qu’eu égard à l’objet de l’arrêté dont la suspension est demandée, qui détermine les conditions dans lesquelles la tourterelle des bois peut être chassée depuis le 29 août 2020 jusqu’au 20 février 2021, au nombre maximal de prélèvements qu’il retient pour la chasse de cette espèce et qui n’est pas encore atteint, ainsi qu’à l’état de conservation de celle-ci, la condition d’urgence est remplie.« 

Il convient de souligner que cette analyse de la condition d’urgence est assez brève. Ce qui témoigne certainement de « l’envie » du juge des référés de se prononcer sur le fond sans entrer dans un débat sur le nombre d’animaux d’ores et déjà tués à la date de sa décision. Ce point est important : il pourrait peut-être être enfin mis un terme à cette pratique détestable qui consiste pour l’administration à prendre une décision de telle manière qu’elle ne peut puisse pas être contestée devant le juge des référés car ayant ayant produit tous ses effets à la date à laquelle celui-ci se prononce.

Autoriser la chasse la veille de son ouverture est évidemment une manière de priver les associations du recours au juge des référés. Or, si ce dernier se montre très souple – comme ici – dans l’appréciation de la condition d’urgence : la pratique peut être privée d’une grande partie de son intérêt.

La condition tenant à l’existence d’un doute sérieux est remplie

Deuxième condition pour que le juge des référés puisse suspendre l’exécution d’une décision administrative : l’auteur de la requête doit démontrer l’existence d’un moyen (argument) de « nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». (article L.521-1 du code de justice administrative).

Sur la connaissance du risque scientifique et juridique par l’administration. L’ordonnance du 11 septembre 2020 est d’une particulière sévérité pour l’administration. En effet, cette dernière a bien souligné le risque d’une autorisation de la chasse pour la conservation de l’espèce, dans la notice de présentation du projet d’arrêté lors de la consultation publique. L’administration avait connaissance du risque et, au regard des exigences du droit de l’Union européenne, ce que prend soin

« 8. En premier lieu, il résulte de l’instruction, et notamment de la note de présentation du projet d’arrêté rédigée par l’administration elle-même en vue de la consultation du public sur celui-ci prévu par l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, que le nombre de tourterelles en Europe a diminué de près de 80% entre 1980 et 2015, tout particulièrement sur la voie de migration occidentale dont fait partie la France, laquelle représente avec 400 000 à 480 000 couples, 10% de la population reproductrice européenne, en diminution de 44% sur les dix dernières années. L’espèce est en déclin selon le Museum national d’histoire naturelle et est classée comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). »

L’administration connaissait d’autant plus le risque, non seulement scientifique mais aussi juridique que la France a récemment fait l’objet d’une mise en demeure par la commission européenne sur ce dossier précisément :

« 12. En cinquième lieu, il résulte de l’instruction, et notamment de la mise en demeure adressée le 25 juillet 2019 par la commission européenne à la France que si quatre-vingt zones de protection spéciale mentionne la tourterelle des bois dans les formulaires de données standard, la taille minimale de sa population n’est disponible que pour 15 sites représentant, au total, seulement 0,3% de la population française, et d’autre part, que la tourterelle ne fait l’objet d’aucune mesure de conservation spécifique, son habitat n’étant jamais pris en compte dans l’évaluation de l’incidence des projets conduits. Par ailleurs, si l’administration et la fédération nationale des chasseurs ont listé, dans la présente instance, les actions conduites sur les habitats favorables notamment à la tourterelle des bois, aucune d’entre elles ne permet de mesurer l’évolution de l’état de conservation de cette espèce et l’administration a différé, compte tenu notamment de l’état d’urgence sanitaire, l’adoption du plan national de gestion de la tourterelle du premier semestre de l’année 2020 à celui de l’année 2021.« 

Sur l’insuffisance d’analyse du risque par l’administration. Le point le plus sévère de l’ordonnance est sans doute le suivant le point 13 aux termes duquel le juge des référés souligne que le nombre d’oiseaux dont la chasse a été autorisé a été fixé de manière tout à fait irrationnelle :

« 13. En sixième et dernier lieu, il résulte des indications données à l’audience que la diminution de 3% du quota de prélèvement litigieux par rapport à la première saison où il avait été fixé n’a été déterminée ni au regard des 4950 prélèvements qui ont été enregistrés au titre de cette saison et dont l’exhaustivité ainsi que la représentativité sont d’ailleurs contestées, ni en prenant en compte l’état de conservation de l’espèce et les prélèvements dans les autres pays de la voie de migration occidentale, ni encore en fonction de données relatives à l’évolution de la population française depuis l’année dernière mais uniquement par application d’une règle de trois fondée sur une approximation de la baisse tendancielle de la population européenne sur les décennies passées alors qu’une telle baisse devait conduire si le gouvernement estimait qu’elle perdurait en dépit de la diminution des prélèvements, à interdire ceux-ci, s’agissant d’une espèce aussi vulnérable, et non à réduire proportionnellement leur quota. » (je souligne)

Une simple « règle de trois » et une « approximation » ont ainsi conduit l’administration a autoriser le prélèvement de 17460 membres d’une espèce en cours d’effondrement. La contradiction est totale : l’administration reconnaît que l’espèce est en cours d’extinction (effondrement de 80% de la population au niveau européen) mais autorise la chasse sans fondement scientifique avéré.

Sur l’application du principe de précaution. La présente ordonnance retient l’attention (notamment celle de l’auteur de ces lignes auteur d’une thèse de doctorat sur ce sujet) en ce qu’elle fait état du principe de précaution.

L’ordonnance rendue ce 11 septembre 2020 précise en effet que la violation du principe de précaution justifie également la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux

« 14. Eu égard à l’ensemble de ces circonstances et au principe de précaution, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué, en tant qu’il fixe un quota de prélèvement supérieur à zéro, méconnaît l’objectif d’amélioration de l’état de conservation de l’espèce, résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009, transposés notamment aux articles L. 425-16 et L. 425-17 du code de l’environnement, apparaît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité. »

Pour mémoire, le principe de précaution est un principe directeur du droit de l’environnement selon lequel « selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable » (article L.110-1 du code de justice administrative)

L’ordonnance ici commentée mentionne le principe de précaution de manière très rapide : le juge des référés n’a pas pris le temps d’expliquer pour quels motifs exacts il considère que ce principe de précaution a été méconnu par la ministre chargée de l »écologie en signant l’arrêté du 27 août 2020.

A notre connaissance, c’est la première fois que le juge des référés du Conseil d’Etat, dans le contentieux de la chasse, fait application du principe de précaution. Très souvent invoqué par les associations requérantes, le moyen tiré de la violation du principe de précaution avait toujours, jusqu’ici, été écarté par le juge des référés. Soit parce qu’il n’existe pas d’incertitude scientifique et que les données de la science permettent bien au juge d’apprécier l’existence et la nature du risque lié à la chasse pour la conservation des espèces, soit parce que les requérants ne sont pas assez précis quant aux motifs qui, selon eux, démontreraient une violation de ce principe.

En faisant application du principe de précaution, l’ordonnance du 11 septembre 2020 marque une étape très importante du contentieux de la chasse.

Cette première application du principe de précaution dans le contentieux de la chasse est d’une particulière importance. Elle signifie que, lorsque la science ne permet pas d’apprécier précisément le risque d’une autorisation de la chasse pour la conservation des espèces : le ministre de l’écologie ne pourra plus s’en prévaloir pour, dans le doute autoriser. Dans une situation d’incertitude scientifique, le ministre de l’écologie devra, d’une part démontrer qu’il met tout en oeuvre pour faire progresser les connaissances scientifiques, d’autre part motiver très rigoureusement sa décision pour en justifier le caractère adapté et proportionné. Ce qui n’était à l’évidence pas le cas dans la présente espèce.

Il faut avoir en mémoire que c’est par une ordonnance de référé du 25 septembre 1998 du Conseil d’Etat que le principe de précaution a, pour la première fois été appliqué par le juge administratif français, dans un contentieux relatif aux organismes génétiquement modifiés. Cette application avait bien entendu eu des conséquences, non seulement pour l’appréciation du sens et de la portée du principe de précaution mais aussi pour la dissémination des organismes génétiquement modifiés. Le même effet pourrait se reproduire dans le contentieux de la chasse. 

Arnaud Gossement

Avocat associé – docteur en droit

Professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

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