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Décisions administratives individuelles et principe de sécurité juridique : en l’absence d’information sur les délais et voies de recours, le délai raisonnable de recours est, en principe, d’un an (Conseil d’Etat)
Par un arrêt d’assemblée n°387763 du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat a jugé qu’en l’absence de mention des délais et voies de recours par l’acte de notification, les décisions administratives individuelles peuvent faire en principe, l’objet d’un recours par leur destinataire, dans la limite d’un « délai raisonnable » d’un an. Un arrêt d’une particulière importance mais, également, assez complexe.
Résumé. L’arrêt d’assemblée rendu ce 13 juillet 2016 par le Conseil d’Etat :
1. confirme que le délai de recours de deux mois n’est opposable au destinataire d’une décision administrative individuelle qu’à la condition du caractère complet de la mention des délais et voies de recours qui peuvent être formés contre cette décision ;
2. précise que, lorsque l’obligation d’information sur les délais et voies de recours n’a pas été respectée ou lorsque la preuve de son respect ne peut être rapportée : un délai de recours raisonnable d’un an est opposable au destinataire d’une décision administrative individuelle ;
3. précise que ce délai raisonnable d’un an n’est pas opposable à l’auteur du recours qui se prévaut de « circonstances particulières » ou d’un délai de recours supérieur, défini par un texte.
Notons que cet arrêt du 13 juillet 2016 a été rendu par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat, ce qui témoigne de son importance.
I. Les faits et la procédure
Dans ce dossier, un ancien brigadier de police avait reçu, le 26 septembre 1991, notification de l’arrêté du 24 juin 1991 lui concédant une pension de retraite. Cette notification ne comportait pas toutes les mentions requises mais indiquait toutefois que l’intéressé disposait d’un délai de recours de deux mois pour, éventuellement, former un recours en annulation.
Ce n’est toutefois que vingt-deux années après cette notification que cette personne a introduit, devant le tribunal administratif de Lille, un recours tendant à l’annulation de cet arrêté du 24 juin 1991.
Ce recours a été rejeté par le tribunal administratif de Lille, par ordonnance du 2 décembre 2014 au motif qu’il était tardif. Le Conseil d’Etat a, alors, été saisi par la voie du recours en cassation.
II. L’appréciation du caractère complet de la mention des délais et voies de recours contre une décision administrative (article R. 421-5 du code de l’administrative)
Le premier intérêt de l’arrêt rendu ce 13 juillet par l’Assemblée du contentieux tient au rappel du contenu de la règle selon laquelle la notification d’un acte administratif doit comporter la mention complète des délais et voies de recours qui peuvent être exercés à son encontre.
Le tribunal administratif de Lille avait en effet rejeté le recours formé par l’ancien brigadier de police, par une ordonnance du 2 décembre 2014 au motif que le recours était tardif, et ce, sur le fondement des dispositions de l’article R. 421-5 du code de l’administrative. Cet article précise :
« Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».
Au cas présent, le tribunal administratif de Lille a jugé que l’acte de notification comportait bien l’indication des délais et voies de recours qui pouvaient être exercés. En conséquence : le recours aurait dû être formé à l’intérieur d’un délai de recours de deux mois à compter de la notification de la décision administrative litigieuse. Or, le recours a été formé vingt-deux années plus tard.
Saisi d’un pourvoi en cassation de cette ordonnance, le Conseil d’Etat va toutefois annuler celle-ci au motif que la mention des délais et voies de recours n’était pas complète. En conséquence, le tribunal administratif de Lille ne pouvait pas rejeter le recours comme étant tardif au motif que la notification de la décision administrative contestée comportait bien l’indication des délais et voies de recours : tel n’était pas le cas.
La Haute juridiction souligne ainsi la portée qu’il convient de donner à l’article R.421-5 du code de justice administrative :
« qu’il résulte de ces dispositions que cette notification doit, s’agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire ainsi que l’autorité devant laquelle il doit être porté ou, dans l’hypothèse d’un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci doit être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle ; »
L’obligation de mention des délais et voies de recours définie à l’article R.421-5 du code de justice administrative impose, notamment, l’indication de la juridiction compétente pour statuer.
Or, au cas présent, la notification de la décision litigieuse ne comportait pas la mention de la juridiction compétente pour connaître d’un recours. Partant, le tribunal administratif de Lille ne pouvait juger irrecevable ce recours sur le fondement de l’article R.421-5 du code de justice administrative.
Le Conseil d’Etat va, à son tour, rejeter le recours comme étant tardif mais pour un motif différent de celui retenu par le tribunal administratif de Lille.
II. La définition du délai de recours raisonnable en l’absence d’information sur les délais et voies de recours
Le Conseil d’Etat juge à son tour que le recours est tardif.
A la différence du tribunal administratif de Lille, la Haute juridiction juge que le caractère incomplet de la mention des délais et voies de recours sur l’acte de notification ne permet pas d’opposer un délai de recours de deux mois au requérant.
La Haute juridiction va cependant parvenir au même résultat – le rejet du recours comme étant irrecevable car tardif – à la suite d’une analyse différente.
Précisément, le Conseil d’Etat va interpréter les dispositions de l’article R.421-5 du code de justice administrative au regard du principe de sécurité juridique. Principe dont il déduit une nouvelle règle de procédure :
« 5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance; »
Aux termes des considérants 4 et 5 de l’arrêt rendu ce 13 juillet 2016 par le Conseil d’Etat, la situation est désormais la suivante :
1. Le principe demeure celui selon lequel le délai de recours de deux mois contre une décision administrative individuelle est opposable à l’auteur d’un recours lorsque la notification de la décision administrative litigieuse comporte l’indication complète des délais et voies de recours qui peuvent être formés à son encontre.
2. Lorsque l’obligation d’informer l’intéressé sur les délais et voies de recours n’a pas été exécutée ou lorsque la preuve de l’exécution de cette obligation ne peut être rapportée : le délai de recours de deux mois n’est plus opposable mais, pour autant, il existe encore un « délai de recours raisonnable ». Ainsi, en l’absence de la mention des délais et voies de recours, on ne passe plus d’un délai de recours de deux mois à « plus de recours du tout ». On passe d’un délai de recours de deux mois à un « délai de recours raisonnable » d’un an.
3. Ce délai de recours raisonnable est fixé à un an à compter : soit de la date de notification, soit de la date de prise de connaissance établie de la décision litigieuse par le requérant. Il s’agit d’une résurgence intéressante de la théorie de la connaissance acquise.
4. Ce délai de recours raisonnable n’est, à son tour, pas opposable, dans deux cas :
– Soit parce que le requérant se prévaut de « circonstances particulières »
– Soit parce qu’un texte prévoit un délai particulier excédant le délai d’un an.
III. Les conditions d’opposition du délai de recours raisonnable au requérant
Ce « délai raisonnable » d’un an ne peut être opposé au requérant que si plusieurs conditions sont réunies.
1ère condition : le délai raisonnable d’un an n’est opposable au requérant qu’à la condition que la preuve de l’exécution de l’obligation d’information sur les délais et voies de recours ne puisse être rapportée.
Si la preuve de cette obligation d’information – la mention des délais et voies de recours – est rapportée : c’est le délai de deux mois qui est opposable à l’intéressé.
2ème condition : le délai raisonnable d’un an n’est opposable au requérant qu’à la condition que ce dernier ne se prévale pas de « circonstances particulières ».
Il est très important de souligner qu’en l’absence d’information sur les délais et voies de recours, le requérant ne se voit pas automatiquement opposer un délai de recours d’un an. La décision du Conseil d’Etat est très nuancée.
3ème condition : le délai raisonnable d’un an n’est opposable au requérant qu’à la condition que ce dernier soit le destinataire de la décision litigieuse. Le cinquième considérant de la décision du 13 juillet 2016 précise en effet : « le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ».
Si l’obligation d’information sur les délais et voies de recours n’a pas été respectée, le requérant, destinataire de la décision litigieuse, ne pourra plus se borner à faire état de son droit à former un recours sans limite de temps.
Il lui sera désormais conseillé :
– de démontrer, le cas échéant, l’absence de réalisation complète de l’obligation d’information visée à l’article R.421-5 du code de justice administrative ;
– de démontrer, le cas échéant et en l’absence de notification, de l’absence de connaissance de la décision qu’il conteste au-delà du délai de deux mois ;
– d’expliquer – voire de démontrer – pour quel motif il n’a pas pu former de recours dans le délai de recours de deux mois. Il devra ainsi faire état des « circonstances particulières » qui l’ont amené à former un recours, plusieurs mois voire plusieurs années après. A notre sens, la première de ces « circonstances particulières » devrait tenir à ce que le requérant n’a tout simplement pas eu connaissance de la décision litigieuse.
Notre pratique d’avocat nous amène également à penser que les administrés, engagés dans un dialogue ou dans un échange d’écrits avec l’administration – qui peut durer des mois sinon des années -, ne savent pas toujours que le premier écrit reçu peut comporter une décision administrative susceptible de n’être que confirmée dans les écrits suivants. Or, en principe, une décision confirmative n’est pas susceptible de recours. Les administrés n’envisagent souvent de former un recours qu’au terme de cet échange et lorsque ce dernier ne leur a pas donné satisfaction : or, au terme de l’échange, le délai de recours de deux mois est peut-être dépassé. Il nous semble que la combinaison de cette règle de procédure du délai raisonnable d’un an avec la théorie de la décision confirmative pourrait être de nature à porter atteinte au droit au recours.
IV. Les fondement et motifs de la règle du délai de recours raisonnable d’un an
L’arrêt rendu ce 13 juillet 2016 est également remarquable en ce que le Conseil d’Etat prend soin « d’expliquer » sa décision aux termes d’un sixième considérant dont l’objet est de préciser la portée de la règle qui vient d’être dégagée. Si le 5ème considérant de sa décision indique que la règle du délai raisonnable d’un an procède du principe de sécurité juridique, le 6ème considérant précise ainsi :
« 6. Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance ; »
Ainsi, si le principe de sécurité juridique est bien le fondement de la nouvelle règle de procédure selon laquelle un délai raisonnable d’un an est opposable à l’auteur du recours en annulation d’une décision administrative individuelle qui n’a pas fait l’objet d’une notification comportant la mention des délais et voies de recours, d’autres considérations ont amené la Haute juridiction à définir, en Assemblée du contentieux, cette nouvelle règle :
1. La règle du délai de recours raisonnable d’un an procède du principe de sécurité juridique ;
2. Cette règle ne porte pas atteinte « à la substance du droit au recours » ;
3. Cette règle « tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques (…) »
4. Cette règle est également justifiée au regard de l’impératif d’une « bonne administration de la justice »
Il convient d’observer que les motifs pour lesquels cette nouvelle règle de procédure a été définie sont ventilés dans les cinquième et sixième considérants de la décision du 13 juillet 2016. Ce qui peut tenir, à notre sens, au fait que l’un de ses motifs – le principe de sécurité juridique – peut servir de fondement de fondement à ce qui constitue, réellement, une nouvelle règle. Les autres motifs sont classés dans le sixième considérant.
V. L’entrée en vigueur du délai de recours raisonnable d’un an
Le sixième considérant de la décision du 13 juillet 2016 précise, s’agissant de cette nouvelle règle de procédure : « qu’il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance ; »
En conséquence, il nous semble, sous réserve d’une précision contraire, que cette nouvelle règle de procédure est applicable à toutes les procédures en cours et à toutes les procédures à venir devant le juge administratif.
VI. La précision du contenu du principe de sécurité juridique
Trois catégories principales de commentaires peuvent être formulées à l’endroit de la décision du 13 juillet 2016 par le Conseil d’Etat.
Le premier commentaire tient à ce que le Conseil d’Etat, en qualité de juge, écrit ici une norme. Ce qui fait déjà l’objet de critiques.
Plus précisément : une nouvelle règle de procédure tenant à ce que le délai raisonnable de recours contre une décision administrative individuelle ne saurait, en principe, excéder un an.
Nous ne partageons pas cette critique. Il était du devoir du Conseil d’Etat de concilier l’obligation d’information sur les délais et voies de recours définie à l’article R.421-5 du code de justice administrative avec les exigences du principe de sécurité juridique. On voit mal pour quel motif il aurait été préférable que le Conseil d’Etat consacre la règle selon laquelle une décision administrative individuelle peut faire l’objet d’un recours sans limite de temps, plutôt que la règle du délai raisonnable d’un an. Il appartient désormais au pouvoir réglementaire s’il souhaite étendre cette durée voire préciser qu’aucun délai de recours n’est opposable en l’absence de mention des délais et voies de recours.
Ajoutons à cela que le Conseil d’Etat a pris soin de ne pas définir un délai « couperet » : le délai raisonnable d’un an ne pourra être opposé à l’auteur du recours que sous réserve de la réunion de plusieurs conditions citées plus haut.
Le deuxième commentaire tient à la complexité de la solution dégagée par le Conseil d’Etat.
Le sens de la règle de procédure du délai raisonnable est complexe : de nombreuses conditions devront en effet être discutées par les parties puis appréciées par le juge administratif avant que cette règle ne soit opposée. Ce qui va contribuer un peu plus à réserver la procédure devant le juge administratif aux spécialistes du contentieux administratif.
La portée de cette nouvelle règle est également complexe car elle va, grandement, dépendre de son accueil par les juridictions administratives, dans les mois et années à venir. Les conditions d’application de cette nouvelle règle sont parfois imprécises. Il en va ainsi de la condition des « circonstances particulières ». En fonction de l’interprétation du contenu de ces conditions par les juges administratifs, la règle du délai raisonnable sera plus ou moins appliquée.
Le troisième commentaire, sans doute le plus important, tient à ce que le Conseil d’Etat procède ici à une interprétation et à une application du principe de sécurité juridique, tout à fait remarquable.
Pour mémoire, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique a été consacré par le Conseil d’Etat, aux termes d’une décision du 24 mars 2006 :
« Considérant qu’une disposition législative ou réglementaire nouvelle ne peut s’appliquer à des situations contractuelles en cours à sa date d’entrée en vigueur, sans revêtir par là même un caractère rétroactif ; qu’il suit de là que, sous réserve des règles générales applicables aux contrats administratifs, seule une disposition législative peut, pour des raisons d’ordre public, fût-ce implicitement, autoriser l’application de la norme nouvelle à de telles situations ;
Considérant qu’indépendamment du respect de cette exigence, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi en particulier lorsque les règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées ; »
Le principe de sécurité juridique, ainsi consacré, ne s’oppose pas à un changement de règlementation mais impose que son auteur définisse des mesures transitoires. A titre d’exemple, une décision d’abrogation relative aux tarifs réglementés « bleus » de vente d’électricité, quelques jours simplement avant la date d’évolution annoncée de ces tarifs est contraire au principe de sécurité juridique (cf. CE, 15 juin 2016, n°383722).
La jurisprudence du Conseil d’Etat ne fait pas toujours état du « principe de sécurité juridique » mais souvent, de «motifs de sécurité juridique » :
« (…) l’exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu’il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s’appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. » (cf. CE, 13 juillet 2016, n°388777)
Ces motifs de sécurité juridique peuvent, notamment, justifier que l’administration procède à la régularisation d’une subvention annulée (cf. CE, sect, 1er juillet 2016, n°363047)
Très souvent invoqué par les requérants, le moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique est, également, souvent écarté par le juge administratif, avec, parfois, une grande rigueur (cf. CE, 16 novembre 2011, n°344972).
Il convient de souligner que le Conseil d’Etat a déjà pu déduire une règle de procédure sur le fondement du principe de sécurité juridique. Ainsi, sa décision n° 375132 du 15 avril 2016 précise que l’exercice d’un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire, montre que son auteur a eu connaissance de la décision litigieuse et fait partir le délai de recours contentieux, même en cas d’absence de publicité régulière (affichage) dudit permis de construire (cf. CE, 15 avril 2016, n°375132).
Toutefois, cette décision du 15 avril 2016 témoigne du souci du Conseil d’Etat de « protéger » le bénéficiaire d’une décision administrative individuelle (un permis de construire dans ce cas) du risque d’être exposé à un recours, sans limite de temps.
La décision du 13 juillet 2016 ne procède pas du même souci car, dans ce dossier, c’est bien le destinataire de la décision administrative individuelle qui peut se voir opposer un délai raisonnable de recours, par application du principe de sécurité juridique. Dès lors, ce principe n’a plus pour seul objet de prévenir une atteinte excessive aux intérêts des destinataires d’une décision administrative.
Le cinquième considérant de la décision du 13 juillet 2016 précise en effet :
« 5. Considérant toutefois que le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance (…) »
L’objet du principe de sécurité juridique n’est donc plus uniquement la stabilité des droits d’une ou plusieurs personnes mais la stabilité du droit en général. Il s’agit ici de prévenir la « remise en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps ». Et cette prévention est réalisée par la limitation dans le temps du délai de recours, non des tiers, mais du destinataire lui-même de la décision administrative individuelle litigieuse. A notre sens, le principe de sécurité juridique a ici vocation à protéger, non pas tant les destinataires de la norme que ses auteurs – l’administration – et son juge.
Il est cependant permis de s’interroger sur les inconvénients de cette interprétation du principe de sécurité juridique, précisément pour les destinataires de la norme. Si la notion de « circonstances particulières » est interprétée de manière restrictive, les situations dans lesquelles ledit destinataire ne pourra plus contester, de bonne foi, une décision administrative individuelle, peuvent se multiplier. Tel sera le cas lorsque ce destinataire aura souhaité nourrir un dialogue avec l’administration. Le risque est donc d’encourager ces personnes à former sans attendre un recours contentieux.
Arnaud Gossement
Docteur en droit – Avocat associé / Cabinet Gossement avocats
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