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Devoir de vigilance : « le plan de vigilance d’une telle entreprise touche directement la Société en son ensemble » (tribunal judiciaire de Nanterre)
Par une ordonnance du 11 février 2021, n°20/00915, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal judiciaire de Nanterre compétent pour statuer sur la demande de plusieurs associations et communes tendant à ce que la société Total se conforme à ses obligations en matière de vigilance.
Résumé
Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a reconnu aux requérantes un droit d’option entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce pour une demande tendant à ce que la société Total mette son plan de vigilance en conformité avec les exigences légales. Cette ordonnance est en contradiction avec celle rendue par la même juridiction, le 30 janvier 2020, pour des faits similaires.
I. Contexte
1.1 Sur le devoir de vigilance
La loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, dite « loi sur le devoir de vigilance », impose à certaines grandes entreprises d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance au sein de leur rapport annuel de gestion.
Selon l’article L. 225-102-4 du code de commerce, lorsqu’une société mise en demeure de respecter cette obligation n’y satisfait pas dans un délai de trois mois, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre de la respecter. En outre, si l’urgence le requiert, le juge des référés peut lui aussi être saisi.
Toutefois, aucune précision n’est apportée sur le tribunal compétent pour prononcer l’injonction.
1.2 Sur l’ordonnance rendue le 30 janvier 2020
En premier lieu, le 29 octobre 2019, trois associations ont assigné la société Total devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour non-respect de ses obligations en matière de vigilance dans le cadre de projets pétroliers menés en Ouganda et en Tanzanie.
Par une ordonnance du 30 janvier 2020, n°19/02833, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent au bénéfice du tribunal de commerce de Nanterre. Son ordonnance précise que « le plan de vigilance et son compte rendu de mise en œuvre font ainsi partie intégrante de la gestion de la société ». Aussi, le tribunal a interprété strictement la loi en prenant en considération la volonté du législateur d’introduire le plan de vigilance dans le code de commerce.
Par arrêt du 10 décembre 2020, n°20/01692, la Cour d’appel de Versailles a confirmé cette ordonnance.
En deuxième lieu, le 28 janvier 2020, d’autres associations et des collectivités territoriales ont assigné la société Total devant le tribunal judiciaire de Nanterre sur le fondement de l’article L. 225-102-4 du code de commerce et l’article 1252 du code civil afin qu’il lui soit enjoint de respecter ses obligations. La société défenderesse a alors soulevé l’incompétence matérielle du tribunal judiciaire.
Pourtant, ce moyen a été écarté par l’ordonnance commentée.
II. Contenu
En premier lieu, le juge de la mise en état rappelle que la compétence du tribunal de commerce n’est pas exclusive :
« Ainsi, l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance sont en lien direct avec la gestion de la SE Total, critère qui fonde la compétence du tribunal de commerce. Pour autant, ce constat ne commande pas à lui seul l’incompétence du tribunal judiciaire, la loi ne précisant pas que la compétence définie par l’article L 721-3 du code de commerce, en particulier en 2°, soit exclusive. Ce caractère demeure ainsi à déterminer et touche à la question du droit d’option invoqué par les demanderesses. »
Partant, si plan de vigilance est en lien avec la gestion de la société cela n’entraine pas l’incompétence de facto du tribunal judiciaire.
En deuxième lieu, le juge judiciaire vise ensuite l’arrêt du 18 novembre 2020, par lequel la Cour de cassation a consacré l’option de compétence du demandeur non commerçant :
«8. Après avoir rappelé que la compétence des juridictions consulaires peut être retenue lorsque les défendeurs sont des personnes qui n’ont ni la qualité de commerçant ni celle de dirigeant de droit d’une société commerciale dès lors que les faits qui leur sont reprochés sont en lien direct avec la gestion de cette société, c’est à bon droit que l’arrêt énonce que, toutefois, lorsque le demandeur est un non-commerçant, il dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce et qu’ayant constaté que les demandeurs n’avaient pas la qualité de commerçant, il en déduit qu’ils disposaient d’une option de compétence leur permettant de saisir valablement le juge civil d’une action en concurrence déloyale dirigée contre une société commerciale et deux de ses salariés». (cf. Cass., Uber, 18 novembre 2020, n°19-19.463)
Celui-ci dispose ainsi d’un droit d’option entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce lorsque les faits reprochés sont en lien direct avec la gestion de la société.
En troisième lieu, le tribunal judiciaire démontre que le litige dépasse les considérations commerciales.
Tout d’abord, il considère que le plan de vigilance d’une entreprise dépasse le strict cadre de la gestion commerciale :
« (…) Or, si le plan de vigilance affecte incontestablement le fonctionnement de la SE Total, il excède très largement, par sa raison d’être et les risques dont il est destiné à prévenir la réalisation, le strict cadre de la gestion de la société commerciale (…) ».
Ensuite, il ajoute que le plan de vigilance d’une société comme Total touche la « Société » dans son ensemble :
« (…) Il est ainsi certain, au regard de la nature des atteintes à cartographier, surveiller et prévenir, au-delà du cercle déjà étendu des travailleurs œuvrant directement ou indirectement pour la SE Total, que le plan de vigilance d’une telle entreprise touche directement la Société en son ensemble, impact qui constitue sa raison d’être, et relève de la responsabilité sociale de la SE Total, de manière plus évidente encore que l’action objet de l’arrêt Uber (…) ».
Il indique en outre que l’effectivité du plan de vigilance dépend d’un contrôle social fort et d’une définition large de l’intérêt à agir :
« La lettre de l’article L 225-102-4 du code de commerce révèle que la préservation des droits humains et de la Nature en général ne peut se contenter d’un « management assurantiel » et ouvert évoqué dans les travaux parlementaires et de la normalisation par le marché qu’induit la présentation du plan de vigilance en assemblée d’actionnaires mais commande un contrôle judiciaire. Et, celui-ci ne peut passer que par un contrôle social fort permis par la publicité du plan de vigilance et par une définition lâche de l’intérêt à agir, l’action étant très largement 11 ouverte (« toute personne justifiant d’un intérêt à agir »). »
Il précise enfin que les requérants ne mettent pas en œuvre un intérêt commercial mais bien un intérêt général qu’ils représentent :
« Ici, les associations et collectivités territoriales demanderesses ne mettent pas en œuvre un intérêt de nature commerciale mais exclusivement la part de l’intérêt général qu’elles représentent et qui est précisément celle qui déborde de la dimension commerciale de la gestion de la SE Total. »
En définitive, le juge de la mise en état rejette l’exception d’incompétence soulevée par la société Total et réserve l’examen du litige au fond au tribunal judiciaire. La société défenderesse a alors interjeté appel de cette ordonnance devant la Cour d’appel de Versailles.
Isabelle Michel
Juriste – Gossement Avocats.
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