Urbanisme : légalité du refus de permis de construire même si des prescriptions spéciales étaient possibles (Conseil d’Etat)

Avr 14, 2025 | Urbanisme

Par un avis du 11 avril 2025, n°498803, le Conseil d’Etat a apporté une précision très importante quant au contrôle de légalité des décisions de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable : la possibilité pour l’administration de faire usage de prescriptions spéciales est sans incidence sur la légalité de ces décisions de refus d’autorisation d’urbanisme. Analyse.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a été saisi d’une demande d’avis sur une question de droit de la part du Tribunal administratif de Toulon dans le cadre d’un recours en annulation formé contre un refus de permis de construire, par son demandeur.

La question posée au Conseil d’Etat était la suivante:

« Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l’assortissant de prescriptions ? »

Cette question s’insère dans la problématique plus générale des pouvoirs du juge à l’égard des refus de permis de construire, ainsi que des éventuelles possibilités de régularisation des projets ayant fait l’objet d’un refus de permis de construire.

Il sera rappelé sur ce point que les permis de construire accordés peuvent faire l’objet de régularisations (cf. Articles L. 600-5 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme).

Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de préciser que la régularisation d’une autorisation d’urbanisme entachée d’illégalité est possible en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet, à la condition que la régularisation n’apporte pas au projet un bouleversement qui en changerait sa nature même (Cf. CE, Avis n° 438318 du 2 octobre 2020, avec notre commentaire).

Le cadre juridique du refus de permis de construire ou de l’opposition à déclaration préalable ne contient pas de ce régime spécifique. Le projet ne peut pas bénéficier d’une régularisation de la nature de celle des dispositions précitées en cas de refus de permis de construire, même si cela aurait pu être possible si la demande de permis, au lieu d’être refusée, avait été délivrée.

Une importance primordiale en ressort du sens de la décision rendue par l’autorité administrative, sens qui ouvre ou non le droit de pouvoir soigner le projet pour être conforme aux règles applicables.

Si elle entre dans le cadre de ce domaine, la question posée n’est pas liée à l’usage ou non des pouvoirs de régularisation ci-dessus mentionnés du juge en matière de permis de construire, la réponse étant aisément connue. Elle porte sur l’appréciation de la légalité d’un refus d’autorisation d’urbanisme alors que le projet concerné aurait pu bénéficier d’une décision favorable avec des prescriptions spéciales pour en assurer la conformité avec le droit applicable.

Rappel des possibilités d’évolution de la demande d’autorisation d’urbanisme au cours de la procédure d’instruction

Aux termes de son avis rendu le 11 avril 2025, le Conseil d’Etat s’est fondé sur les règles générales de la délivrance des autorisations d’urbanisme.

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle les dispositions de l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme, imposant, à l’autorité administrative compétente en matière d’autorisations d’urbanisme, de n’autoriser que des projets conformes aux dispositions mentionnées par cet article.

En deuxième lieu, il reprend le contenu de sa décision du 1er décembre 2023, selon laquelle il est précisé que le pétitionnaire a toujours la possibilité d’apporter des modifications à son projet au cours de l’instruction de sa demande. L’évolution ne doit pas changer la nature des constructions demandées (Cf. CE, 1er décembre 2023 n° 448905, avec notre commentaire).

Le rappel de cette règle par le Conseil d’Etat peut interpeller, dès lors qu’elle n’apporte pas par elle-même un élément particulier d’appréciation à la question posée, sauf à donner une alternative aux pétitionnaires à la solution qu’il dégage par la suite.

L’usage des prescriptions spéciales n’est qu’une faculté pour l’administration, et non une obligation.

Statuant sur la question posée, le Conseil d’Etat considère que la délivrance du permis de construire avec des prescriptions spéciales ayant pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés n’est pas une obligation pour l’autorité administrative, mais seulement une faculté :

« L’autorité administrative compétente dispose également, sans jamais y être tenue, de la faculté d’accorder le permis de construire ou de ne pas s’opposer à la déclaration préalable en assortissant sa décision de prescriptions spéciales qui, entraînant des modifications sur des points précis et limités et ne nécessitant pas la présentation d’un nouveau projet, ont pour effet d’assurer la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect. »

L’autorité administrative a le pouvoir, face à une demande d’autorisation d’urbanisme non conforme avec le droit applicable, entre la refuser ou l’assortir de prescriptions spéciales de nature à assurer sa conformité, lorsque cela est possible.

Par conséquent, dès lors que l’autorité compétente n’est pas tenue d’accorder un permis de construire avec des prescriptions spéciales, le Conseil d’Etat en déduit qu’un refus d’autorisation d’urbanisme ne peut pas donc pas être illégal au motif que la demande aurait pu faire l’objet d’une autorisation assortie de prescriptions spéciales :

« Le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales. »

Le pétitionnaire ne peut donc pas ainsi rattraper un refus d’autorisation.

Cette solution renvoie aux limites du pouvoir du juge face à un refus de permis de construire, dans le contexte de son office, limitée au recours pour excès de pouvoir et à l’absence de texte particulier (à l’inverse notamment de son office et de ses pouvoirs dans le cadre du contrôle de la légalité des décisions de refus rendues en matière d’autorisation environnementale).

Si la portée de cette décision peut paraître assez claire, elle méritera toutefois de nouvelles précisions.

De nombreuses dispositions du code de l’urbanisme mentionnent l’usage des prescriptions assortissant une autorisation (Cf. Articles R. 111-2, R. 111-3, ou encore R. 111-26 du code de l’urbanisme, relatifs au règlement national d’urbanisme).

De manière plus subtile, en matière de réseau, récemment, le Conseil d’Etat est venu encadrer les décisions de refus d’autorisation fondées sur l’article L. 111-11 du code de l’urbanisme lorsque le pétitionnaire s’engage à prendre en charge les coûts liés aux travaux sur le réseau public (Cf. CE, 18 décembre 2024, n° 490274, notre commentaire).

Comme cela a déjà pu être relevé, il sera rappelé en particulier qu’en application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, sur la base d’un texte assez précis sur les prescriptions, le Conseil d’Etat considère que, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime qu’il n’est pas légalement possible d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales (Cf. CE, 26 juin 2019, n° 412429, notre commentaire).

Dans le cadre de cette jurisprudence, l’administration est donc tenue de délivrer avec des prescriptions si cela est possible, mais il ne peut pas refuser l’autorisation.

La question posée par le tribunal administratif de Toulon ne portait pas précisément sur cet article, et le contentieux ne devait pas non plus porter sur l’application de cette disposition, car elle était finalement déjà lisible pour le juge administratif.

Toutefois, l’avis du 11 avril 2025 peut créer une certaine incertitude quant à la portée de cette jurisprudence propre à l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. L’avis ne donne en tout état de cause pas de manière explicite la solution.

Le contenu de l’avis indique sur ce point que l’administration a la faculté d’accorder un permis avec prescription, « sans jamais y être tenue », alors qu’elle y est tenue dans le sens de la jurisprudence résultant par exemple de l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. L’avis et cette jurisprudence pourrait également se combiner, dès lors que cette dernière se fonde sur un texte règlementaire spécifique. Cela étant, l’analyse publiée par le Conseil d’Etat fait mention, sous cet avis, de l’abandon de la jurisprudence issue de la décision du 26 juin 2019.

Le juge administratif ne semble en tout état de cause pas être en situation de dégager une jurisprudence générale sur la régularisation des projets faisant l’objet d’un refus, compte tenu des éléments en vigueur du code de l’urbanisme, même pour des non conformités pouvant aisément faire l’objet d’une prescription.

Florian Ferjoux

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